Dans une réalité alternative, au cours des années 1960, les USA menèrent une guerre totale contre le communisme dans les pays d’Amérique latine, dévastant tout l’hémisphère sud du continent, désormais surnommé “la Zone“. La patrie de la Liberté a -bien évidemment- remporté la victoire, grâce à un programme d’amélioration génétique de leurs militaires pour en faire des supers-héros.
Mais on ne revient pas indemne de la Zone. Et pour les soldats, les dommages sont tant physiques que psychologiques. Le pays se retrouve donc peuplé de milliers de vétérans aux capacités extraordinaires tous atteints de syndromes post-traumatiques, et sombrant inexorablement dans la folie.
Alors qu’à San Futuro, anciennement San Francisco dévastée par un séisme, la situation devient incontrôlable à mesure que la ville s’enfonce dans les guerres de gangs, un seul homme, aussi super que ses adversaires, pourra faire respecter la loi : Marshall Law, Joe Gillmore de son vrai nom. Lui aussi est un ancien combattant de la Zone, il s’est engagé dans les forces de police de la ville pour protéger la veuve et l’orphelin de la folie de ses ex-frères d’armes, à qui il voue une haine absolue. Comme il le dit lui-même, « Je suis un chasseur de héros, mais je n’en ai pas encore rencontrés. »
Il fait donc régner la loi et l’ordre à grand renfort de poings américains, tonfa et lateral kick, assaisonnés de bien trop de balles pour qu’on puisse les compter. Est-il finalement bien différents des barjots qu’il massacre à tour de bras ?
Derrière le gore et l’humour noir omniprésent, l’œuvre de Pat Mills et Kevin O’Neill se révèle être une satire audacieuse de l’industrie des comics. On retrouve dans les aventures de Gillmore des références flagrantes à nombre de super-héros iconiques qui mettent en avant l’hypocrisie et la naïveté des encapés. Comment croire un seul instant que quelqu’un doué de supers-pouvoirs dédierait sa vie au bien ? Les deux auteurs ont une réponse bien précise à cette question : ils vont jusqu’à faire de Batman un narcissique névrosé ayant lui-même tué ses parents pour se créer une origin story dramatique dans l’arc Kingdom of the Blind.
Les pérégrinations de leur héros donneront aussi à Mills et O’Neill l’occasion de pasticher la société américaine pour en dénoncer les travers. En créant un univers qui est un miroir à peine déformant des USA de l’époque, ils attaquent pèle mêle le racisme ambiant, le néo-colonialisme, l’interventionnisme qui a conduit à la guerre du Vietnam, la société capitaliste de l’ultra-consommation, et la course au progrès.
Tous ces thèmes - et d’autres encore - sont brassés sans que le comics ne devienne vraiment moralisateur. Le discours politique est sous-jacent, évident mais jamais envahissant, et même Marshal semble être, au final, plus proche du CRS ultra-violent que du justicier sans peur ni reproche.
C’est ce précis, mélange de subversion, d’humour, et de politique, le tout baignant dans une violence presque insoutenable, qui a fait de Marshal Law un personnage-culte, et de ses aventures des incontournables de la BD alternative.
Avec cette intégrale rassemblant les premiers exploits du super-pacificateur, Urban Comics nous offre un ouvrage de très grande qualité, regroupant en fin de volume les couvertures originales et de nombreuses notes diverses pour mieux comprendre le travail des auteurs. Il constitue un point d’entrée parfait pour quiconque souhaite découvrir ce personnage 50 % Superman, 50 % Norman Bates, et... 100 % passionnant.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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