Un homme, un bonnet vissé sur la tête et les poings enfoncés dans les poches de son blouson, marche. A-t-il une destination ? Cherche-t-il quelque chose ou quelqu’un ? Nous ne le saurons pas et cela importe peu. Il marche, d’un pas égal, inlassablement, entre les immeubles, sur le bitume, avec le béton pour matière à réflexion.
Il pense beaucoup aussi. La marche est propice aussi bien au retour sur soi qu’à la mise en perspective du monde. Un monologue intérieur, régulier comme un métronome, calqué sur le rythme de ses pas, nous révèle ses pensées. Il évoque la ville qui l’entoure, la marche qui l’aide à vivre, les choix qui lui ont permis de survivre.
Au fur et à mesure de sa marche, il nous permet de découvrir un décor urbain à la fois écrasant et majestueux. Les lignes sont nettes, droites pour la plupart même si les courbes existent. Les immeubles deviennent des grilles et les fenêtres imposent un rythme : la géométrie est partout présente. Ce monde, constitué de parallèles et de perpendiculaires, est en noir et blanc, sans nuances. Dans cette ville habitée par des hommes-fantômes, il n’y a que la lumière éclatante ou le noir de l’ombre.
Clément Charbonnier Bouet parvient à sublimer la ville. Non pas à la rendre plus belle ou plus puissante qu’elle ne l’est, mais à révéler sa beauté cachée. Car lui qui a longtemps habité la proche banlieue parisienne est familier des grands ensembles et des barres qui limitent l’horizon. Au cours de ses propres marches, en particulier depuis la naissance de son premier enfant, il a pris davantage conscience de ce Monde parallèle.
Le dessinateur, formé aux arts appliqués et au design, a le trait sûr. Il lui faut peu de lignes pour rendre ses décors évocateurs et ses personnages reconnaissables. Si certaines de ses cases, prises isolément, sont abstraites, l’ensemble est référencé avec discrétion. Difficile de ne pas penser au constructivisme et au Bauhaus, à Le Corbusier et Oscar Niemeyer.
D’autres avant nous ont laissé des cathédrales gothiques ou des hôtels classiques. Nous transmettrons des paysages bétonnés, aux rues encadrées de falaises de parpaings. Inutile de juger semble nous dire Clément Charbonnier Bouet : tout est déjà là. Alors marchons. Et apparaîtra, au rythme des pas qui sont la véritable mesure de la distance pour un homme seul, ce qui d’habitude demeure une grisaille monotone.
Monde parallèle a l’honneur d’être le centième volume de la collection Ciboulette de L’Association, fondée en 1992 et très symbolique de la reconnaissance du roman graphique, qui a accueilli notamment Livret de phamille de JC Menu, Le Petit Christian de Blutch, Le Guerre d’Alan d’Emmanuel Guibert ou encore Persepolis de Marjane Satrapi. L’originalité de la narration et la maîtrise du trait le méritent !
(par Frédéric HOJLO)
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Monde parallèle - Par Clément Charbonnier Bouet - L’Association - collection Ciboulette - 16,5 x 24,5 cm - 96 pages en noir & blanc - couverture souple avec rabats - parution le 18 janvier 2019.
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