En empruntant le prénom de Phileas Fogg, le voyageur du Tour du monde en quatre-vingt jours de Jules Verne, ce nouveau label nous fait une invitation au voyage dans la littérature de genre : polar, thriller, enquête, fantastique, aventure historique, science-fiction… sous la forme de « romans graphiques » dont la matière sera essentiellement puisée dans le riche catalogue du groupe Editis qui recouvre des labels aussi connus que Robert Laffont, Plon, Sonatine, Pocket, Fleuve Noir, Presses de la Cité, Héloïse d’Ormesson, les Escales, XO, Julliard…
Ce n’est pas rien : Editis, c’est plus de 900 millions d’euros de chiffre d’affaires et une quarantaine de maisons d’édition. Le pari est de recruter les « marques » les plus connues de ce catalogue pour les décliner en bande dessinée. C’est malin : cela rassure les libraires, mais aussi les lecteurs (souvent des lectrices) pour les amener vers le 9e art.
La production devrait être mesurée : « entre 6 et 10 titres par an » nous dit le président d’Edi8, Vincent Barbare, « en fonction des résultats », tandis que Moïse Kissous qui est l’opérateur BD de cette manœuvre, y voit un moyen de faire revenir les gens en librairie après la période de confinement que nous venons de vivre.
Et le programme, d’entrée, semble alléchant :
Dès octobre 2020 :
Gravé dans le sable de Michel Bussi, adapté par Jérôme Derache & Cédric Fernandez
Le Syndrome [E] de Franck Thilliez, adapté par Sylvain Runberg & Luc Brahy
En 2021 :
Les Déracinés de Catherine Bardon, adapté par elle-même et par Winoc
Autographie d’une courgette de Gilles Paris, adapté par Ingrid Chabbert & Camille K
L’Île des oubliés de Victoria Hislop, adapté par Roger Seiter & Fred Vervisch
Le Mystère des Saints-Pères de Claude Izner, par Jean-David Morvan & Bruno Bazile
Des créations originales
L’Agence des invisibles par Marc Levy associé à Sylvain Runberg, avec Espé au dessin
Simenon, une biographie signée Rodolphe & Christian Maucler
En 2022 :
La Nuit des temps de René Barjavel, adapté par Christian De Metter
Glacé de Bernard Minier, adapté par Philippe Thirault & Mig
Seul le silence de R.J. Ellory, adapté par Fabrice Colin & Richard Guérineau
Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra, adapté par Stella Lory
Crise de l’imaginaire ?
Voilà donc les épousailles entre la BD et la littérature consommées. Ce n’est pas bien nouveau : cela fait bien longtemps que la BD était partie à l’assaut de la littérature : le sujet était sur la table dès les années 1930 avec Tarzan et Buck Rogers, comme le rappelle un article paru sur ActuaBD.com en 2007, La BD à l’assaut de la littérature.
La tendance a été longtemps d’adapter des œuvres dans le domaine public. Puis les classiques contemporains, comme Leo Mallet chez Casterman ou encore Stefan Wul chez Ankama. On a même vu des auteurs de best-sellers modernes, comme Frédéric Begbeider ou Bernard Werber tenter l’exercice, avec des résultats très contrastés et pas toujours concluants.
Ce qui change ici, c’est que ce sont les groupes de littérature qui font de plus en plus le siège de la bande dessinée. Là encore, ce n’est pas nouveau : Gallimard s’y était employé naguère en rachetant successivement les labels Futuropolis puis Casterman tout en créant Gallimard BD et Denoël Graphic. Hachette a créé les labels Hachette Collections, leader dans la diffusion en kiosques et en vente par correspondance, Robinson, Marabulles, Hachette Comics et a surtout rachetés Astérix et Albert-René ou encore le beau label de mangas Pika. Mentionnons encore, dans le domaine de la jeunesse, le label Rue de Sèvres irrigué par le catalogue de L’École des loisirs.
Récemment, Albin Michel avait annoncé son grand retour à la BD, un peu sur le même schéma, avec Virginie Despentes, Roland Dorgelès, ou Yuval Noah Harari dans la besace.
Faut-il voir là le contrecoup du rachat du prestigieux groupe Le Seuil par Média-Participations où un éditeur de BD se payait un fleuron de la littérature ? Les « pure players » comme Delcourt ou Glénat (par ailleurs alliés avec ces grands groupes dans le domaine de la distribution) doivent se sentir de plus en plus cernés…
Ou est-ce la traduction, comme l’évoquait récemment notre ami Yves Frémion sur ActuaBD.com, le résultat d’une « crise des imaginaires » qui serait le fait des « pires manipulateurs de l’édition », ces « publieurs », selon le distinguo que faisait naguère Jean-Louis Gauthey pour désigner les éditeurs qui n’étaient pas des créateurs ?
L’avenir le dira, en attendant souhaitons bon vent à Phileas dont le voyage devrait durer un peu plus de quatre-vingts jours.
Voir en ligne : LE SITE DE PHILEAS
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion