La reprise de Spirou est une chose impossible. Le grand Franquin, déjà, faisait ce constat : « Je n’avais pas à intervenir [dans le choix d’un successeur à Spirou] sachant combien il est difficile de reprendre une série et de faire la liaison avec le style imposé longtemps par un autre dessinateur. Non seulement c’est difficile mais c’est horriblement désagréable pour les lecteurs de la série en question qui sont en général fâchés d’avance avec le nouveau venu, installés qu’ils sont dans leurs habitudes... »
D’abord série d’écolage : Jijé, Franquin, Fournier, Broca, Tome et Janry y ont tous fait leurs premières armes, Spirou perpétue une tradition attachée à un journal. Il n’est pas en outre la propriété de ses animateurs. La succession de Franquin a traumatisé tous les lecteurs qui stigmatisèrent un peu facilement des auteurs qui n’avaient pas le souffle, et encore moins le génie, du créateur des Idées Noires. Mais ce dernier a souffert en dessinant Spirou. C’était pour lui un boulet aux pieds. Peut-être lui doit-il la dépression qui l’accabla durant de longues années. En la portant au sommet, il a une fois de plus fait la preuve que, selon le mot d’André Gide, « l’art vit de contrainte et meurt de liberté. »
Quand Tome reprit la série avec la complicité de Janry, nombre de nostalgiques ont eu des hauts le cœur. La série Le Petit Spirou est clairement un meurtre du père, et plus certainement encore du grand-père (Jijé). Pourtant, le public l’a plébiscité, le petit groom vendant quatre fois plus que le grand... Que demande-t-on à Morvan et Munuera ? Certes de respecter, autant que faire se peut, le mythe. Mais du point de vue de l’éditeur, c’est vendre des albums tant et plus pour que la série se maintienne dans son catalogue qui est le premier objectif.
La reprise est loin d’être honteuse. Si Munuera a encore beaucoup de mal à maîtriser les personnages principaux, son interprétation laissant filer parfois une grimace, l’histoire est dynamique et bien enlevée, susceptible de séduire un nouveau et jeune public. Cette intrigue fantastique qui redonne de la vigueur au vieux Champignac et qui tente de raccrocher ce nouvel album aussi bien aux classiques de Greg et Franquin (la fameuse saga de Zorglub) qu’aux récits de Tome et Janry , se laisse lire sans déplaisir. Son évocation de Paris sous les eaux est séduisante. Les designs de Buchet pour les robots sont souvent très réussis. On ne voit pas très bien où Morvan nous emmène avec ce retour d’un amour de jeunesse du vieux savant... Constatons seulement que le trio s’est approprié la série. Espérons que, ayant pris de l’assurance, ils en feront le meilleur usage.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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