Comme nous vous l’annoncions le 4 février dernier, Stéphane Beaujean, le directeur artistique du FIBD quitte son poste, officiellement à partir du 15 mai prochain.
On sait désormais que c’est pour prendre la direction éditoriale des éditions Dupuis, succédant ainsi à Sergio Honorez qui, après 13 ans à ce poste auprès de l’éditeur de Marcinelle, reste dans le groupe Média-Participations pour prendre en charge le développement audiovisuel de Belvision, le mythique studio d’animation bruxellois, aux côtés de Raphaele Ingberg. Producteur notamment de Yakari, Belvision est un des bras armés de l’audiovisuel dans le groupe et l’arrivée de Sergio Honorez à ce poste -lui qui était issu du monde de l’audiovisuel- consistera à créer des contenus originaux issus des univers du groupe.
Ce jeu de chaises musicales voit donc l’arrivée chez Dupuis du « wonder boy » de la programmation artistique du FIBD. Journaliste, libraire et éditeur (il avait lancé le magazine KaBoom), Stéphane Beaujean avait intégré l’équipe de Benoît Mouchart en 2013 comme conseiller stratégique et artistique puis, après le départ de Mouchart pour Casterman, pleinement comme directeur artistique à partir de 2016.
Une programmation exemplaire
Il a su donner à la programmation du FIBD une stature et une ampleur jamais atteinte jusqu’alors. Disons-le tout net : il a sauvé la peau du festival. Alors que la position de L’Association du FIBD et la gouvernance de 9eArt+ étaient contestées suite à un conflit très dur avec la Cité de la BD qui aboutit à l’éviction de son Directeur général Gilles Ciment, il avait dû affronter à son arrivée une énorme polémique suite à l’absence de femmes nominées au Grand Prix d’Angoulême et à une remise des prix qui avait tourné à la tartufferie (voir notre dossier Angoulême). Le FIBD faisait suite aussi à la houleuse année 2015 marquée par l’assassinat en janvier de la rédaction de Charlie Hebdo.
Avec intelligence et tact, Stéphane Beaujean a contribué avec son équipe à réformer le système des Prix du FIBD, à pacifier la relation avec la Cité de la BD (où Pierre Lungheretti, le successeur de Gilles Ciment, a su de son côté faire preuve de tout son talent politique) et à imposer une programmation qui a su ménager à la fois les thématiques « grand public » et patrimoniales (expos Hermann, Morris, Hugo Pratt, Alex Alice, Venise et Casanova, Emmanuel Guibert, Marion Montaigne, Tom Tom et Nana de Bernadette Després, Jean Harambat, Jean Frisano, Calvo, Pierre Christin, Catherine Meurisse, Nicole Claveloux… ), ménager une place pour l’édition alternative (expos JC Menu, Knock Outsider, Révolutions pour Flblb, Sophie Guerrive, Gilles Rochier… ) et la production internationale, dans un choix artistique caractérisé par l’éclectisme et surtout par un tropisme marqué pour la bande dessinée japonaise, une position réaliste puisque celle-ci constitue désormais 40% du marché de la BD en France (Venues de Katsuhiro Otomo, de Frank Miller, de Robert Kirkman, de Chris Claremont ou de Yukito Kishiro ; expositions Will Eisner, Kazuo Kamimira, Richard Corben, Osamu Tezuka, Hiro Mashima, Naoki Urasawa, Batman, Taiyo Matsumoto, Tsutomu Nihei, Milo Manara, Rutu Modan, Wallace Wood…)
Cette programmation avait redonné incontestablement du lustre au FIBD, calmé les esprits en dépit des nombreuses polémiques (encore cette année) et réservé aux auteurs, dans un meilleur respect de la parité, toute leur place. Les catalogues que Stéphane Beaujean a édités pour le festival sont tous devenus de sérieuses références et montraient déjà l’éditeur qui est en lui.
Du côté des prix, le Festival n’avait pas échappé à son image « élitiste », c’est un peu le jeu, mais force est de constater que les sélections officielles sous son mandat obéissaient à un jeu éminemment politique où la prime traditionnellement donnée aux petits labels était néanmoins contrebalancée -sans mépris- par une (petite) place laissée aux grandes maisons d’édition, notamment en rétablissant le Prix Goscinny du scénario et le Prix du public dans le palmarès du FIBD.
Un recrutement intelligent
Ces états de service montrent que les éditions Dupuis ont recruté un éditeur ambitieux à l’esprit ouvert qui saura autant mettre en valeur ses classiques qu’ouvrir le catalogue à de nouvelles initiatives éditoriales et à de nouveaux talents.
Qui succèdera à Stéphane Beaujean à la direction artistique du FIBD ? On n’en sait rien pour l’heure. Il ne sera pas facile de relever le défi pour le Délégué Général du FIBD Franck Bondoux, après une année 2020 qui est devenue davantage une « année des calamités » qu’une année de la BD.
Le 9e art aura pourtant bien besoin d’un coup de boost en janvier prochain !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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