D’ailleurs René Follet avait beaucoup de choses qu’on pouvait lui envier, c’est peu dire : c’était le prototype de « l’artiste d’artistes » selon la formule consacrée ! Un de ces créateurs qui laissent pantois leurs confrères, un source d’inspiration, un Graal, une sorte d’idéal à atteindre, de ces astres que l’on contemple les yeux levés. Lui qui semblait toujours regarder ses chaussures…
Un artiste d’artistes qui, toutefois, a eu plus de mal à convaincre les lecteurs, moins sensibles globalement, en dépit des évidentes qualités des pages proposées par ce très grand auteur, immense dessinateur à la redoutable technique, capable de tout dessiner avec un égal bonheur. Au niveau des meilleurs de ce côté-là.
Il y a de réelles raisons, objectives, à cette relative indifférence du lectorat devant le magnifique travail de Follet, preuves que la BD n’est pas (que) du dessin. Sinon... Follet a échoué à faire entrer le plus grand nombre dans ses histoires, à allumer ces étincelles essentielles que sont l’imprégnation et le phénomène d’identification. Le lecteur ne lit pas l’histoire, il la vit. Acteur, il est le protagoniste du récit, manipulé volontaire par le conteur, il adore ça. Mais le lecteur a eu du mal à se reconnaître dans les personnages de Follet, aux mouvements si caractéristiques, souvent en S, entre le batracien et la créature simiesque, ces mains qui accompagnent ce ressenti, ces pieds lourds.... Très dynamique, mais....
Il y a aussi ces visages plutôt esquissés, ces yeux schématiques et ce, de plus en plus, au fil des ans, yeux-miroirs de l’âme. Ce qui peut donner des expressions sans séduction facile. Identification, imprégnation...
Il y a aussi que Follet est un artiste de la couleur, à mi-chemin entre l’illustrateur et le peintre. Superbe. René Follet n’est donc pas un ciseleur de la forme des choses, comme le font les tenants du trait pur que l’on appelle trop souvent ligne claire. Il s’ intéresse surtout à la manière dont la lumière se pose dessus. Il est fantastique à ce jeu mais il faut croire qu’en plus du reste, cette vision n’engage pas vraiment la plupart des lecteurs, surtout quand ensuite la mise en couleur des planches n’accompagne pas idéalement le tout. Vaste sujet.
Alors dessinateur ou narrateur ? La BD est une écriture, avec sa syntaxe très particulière et assez unique, sa mécanique difficilement contournable parce qu’en partie inconsciente, quand le lecteur peut se montrer impitoyable. Ou comment passer à côté d’un artiste, maître de son art. Et pas qu’un peu. Paradoxe ?
Toujours est-il que René Follet a laissé des images extraordinaires, à foison. Il y a la touche de son coup de pinceau, ses couleurs aquarellées boostées par de judicieux empâtements, effets de matières. Ses compositions, ses remarquables bruns lumineux et ses couleurs stratégiquement atténuées. On appelle ça l’harmonisation. Et avec ça, quelle énergie ! Une énergie pas racornie par les années, ce qui reste très rare. Tant de choses encore.
Pour moi, René Follet est un de ces personnages solidement arrimés au sol dont on sent le poids et l’air qu’ils déplacent, ces mains magnifiques et expressives qui saisissent parfaitement ce qu’elles tiennent. Tout un art, ces chaussures. Oui, ces chaussures ! Follet le meilleur dessinateur de chaussures ? Et ces vêtements dont on sent aussi tout le poids, la matière...
De lui, je garde en tête deux images : une magnifique illustration dans le Journal Spirou pour un récit de Tom Sawyer en ballon aux personnages dégingandés et parfaitement balancés, sans parler du décorum parfait. Et une couverture peinte des Zingari pour ce même journal. Là on touche au sublime.
Certains passent sur Terre en tutoyant les anges.
(par Pascal AGGABI)
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