On ne présente plus Trondheim, tête à claques fondateur historique de L’Association, Grand Prix d’Angoulême 2006 (il aurait récemment, dit-on, claqué la porte de l’Académie des Grands Prix, comme Morris, la classe !) qui, à peine nommé, a transformé avec Benoit Mouchart la nomenclature des prix en un cloaque conceptuel seulement compréhensible par un petit club fermé de snobs parisiens, aidé à pousser dehors le sponsor patron de la grande distribution Michel-Édouard Leclerc, qui a du être très motivé à vendre des BD depuis, et insulté au passage quelques journalistes "incompétents", forcément.
Mais ce n’était là que potacheries et pignolades de façade, car l’homme est d’une grande gentillesse sous son masque de rapace. Ce qui ne l’empêche pas de témoigner d’une dévorante ambition. En quelques années, il lancé chez Delcourt, Shampooing, une collection à succès qui publie pas moins de trois albums de Bastien Vivès cette année (Trondheim ne "surproduit" pas, il donne au public ce qu’il demande) ; il a repris avec ses copains le contrôle de L’Association et a hypnotisé Frédéric Niffle, le rédac-chef de Spirou, au point qu’il est devenu l’homme fort de l’hebdomadaire de Marcinelle, scénarisant ou dessinant par moments la moitié du journal. De Trondheim, on connaît d’ordinaire l’œil vif et le bec redoutable, il faudra commencer à regarder ce qu’il tient dans ses serres...
Car en élisant Trondheim parmi leurs pairs en 2006, les membres de l’Académie des Grands Prix ne se trompaient pas : On n’atteint pas ce degré d’influence sans un talent exceptionnel et les deux nouveautés qu’il dégaine ce mois-ci en sont la parfaite illustration.
Il y a d’abord cette Zizi, Chauve-souris dont le tome 1 est sorti début septembre. Zizi est une petite fille facétieuse qui n’a pas sa langue dans sa poche, en particulier lorsqu’il faut dégoûter le nouveau petit copain de sa mère, célibataire en quête d’un nouveau compagnon, ou lorsqu’il faut répondre à sa maîtresse, ce qui lui vaut de nombreuses punitions.
Heureusement, un vent favorable a jeté dans la forêt des cheveux de la gamine une chauve-souris qui y a élu domicile et avec qui elle entretient une revigorante complicité. La créature de la nuit s’accorde parfaitement à son imagination fantasque peuplée de dragons et de loups-garous.
Intelligente, pétillante, la série Zizi est taillée sur mesure pour Guillaume Bianco. Ce créateur passé de Shanghai à l’atelier Gotfferdom de Christophe Arleston, a été révélé au grand public en 2010 avec un titre inaugural de la collection Métamorphoses chez Soleil, Billy Brouillard (3 titres parus). Nous n’avions pas manqué de vous en parler. Le scénario de Trondheim colle parfaitement aux univers habités du Toulonnais et il ne fait aucun doute que cette série, taillée sous forme de strips pour paraître dans des quotidiens et dont le terreau est suffisamment riche pour nourrir un film d’animation, sera l’un des points forts du catalogue Dupuis dans les années à venir.
Il y a ensuite cet incroyable Texas Cowboys dont Trondheim signe le scénario pour Matthieu Bonhomme, là encore un dessinateur d’exception.
De Bonhomme, on connaît Esteban, Messire Guillaume (avec Gwen de Bonneval au scénario, Ed. Dupuis) ou Le Marquis d’Anaon (avec Fabien Vehlmann, Ed. Dargaud). Il est l’un des meilleurs talents de sa génération, grand espoir d’une bande dessinée "tous publics". "Sacré Bonhomme !" titrions-nous.
Son dessin classique témoigne d’une grande maîtrise graphique capable d’appréhender tous les univers de l’aventure. Il le prouve une fois de plus avec ce western époustouflant où, en dépit de flashes back un peu abrupts à la limite du conceptuel, le lecteur est emporté dans une chevauchée digne d’un John Ford revisité par Goscinny. Nous ne sommes pas loin de la parodie (renforcé par l’aspect de l’album, découpé en feuilletons, avec des couvertures inspirées des Dime Novels), tout en restant dans la fascination pour ce récit de genre qui a marqué l’histoire du cinéma. On pense aux Charlier & Giraud de Blueberry et l’on goûte pleinement l’hommage, tant Bonhomme parvient à rendre le vibrato et la plénitude graphique du grand dessinateur récemment disparu.
Trondheim réussit donc sa rentrée avec deux albums virtuoses, bien représentatifs de la qualité de la création d’aujourd’hui.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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