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Un sacré Choc !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 avril 2014                      Lien  
Avec "Les Fantômes de Knightgrave", le duo Maltaite & Colman revisite le mythe de Choc, ce malfaiteur en Tuxedo et heaume poursuivi, en vain, par Tif & Tondu tout au long de leurs aventures. Où l'on découvre les raisons qui ont fait de Choc un maître du crime...

Le personnage apparaît en 1955 dans Tif & Tondu contre la main blanche, une organisation criminelle dirigée par le mystérieux malfaiteur casqué. L’épisode est signé au scénario par Maurice Rosy, qui fait alors office de directeur artistique chez Spirou et qui marqua durablement la série dont il assure 12 épisodes jusqu’à Tif rebondit (1968) avant que Tillieux ne reprenne la série pour 10 volumes.

Au dessin, le somptueux Will (alias Willy Maltaite) qui définit le personnage par son trait tout en élégance : voici un chef de bande au profil élancé, portant spencer et nœud papillon, fumant un porte-cigarette à travers l’échancrure de son heaume. Qui est-il ? On ne le saura jamais.

Lorsque Rosy quitte Dupuis en 1968, il conserve son personnage et Choc s’éclipse jusqu’en 1984, dans Traitement de choc, grâce à Desberg qui convainc Rosy de lui prêter le personnage. Mais c’est une apparition de courte durée, l’énigmatique malfrat disparaissant dans les épisodes suivants, jusques et y compris dans ceux animés par Lapière et Sikorski, Will n’ayant pas cédé le droit de reprendre graphiquement le personnage.

Depuis toujours, Éric Maltaite, le fils de Will, considérait que Choc était la figure emblématique de la série Tif & Tondu. Will, qui avait laissé tomber ces personnages, avait conservé celui-ci, en accord avec Rosy, caressait l’idée de le voir vivre des aventures indépendamment de l’enquêteur hirsute et de son comparse glabre. Il avait alors imaginé qu’il soit dessiné par son fils.

Mais pour que cette entreprise réussisse, il fallait un scénario à la hauteur, à la fois respectueux de l’univers de départ et suffisamment novateur pour que cela intéresse les générations actuelles. Pour cela, Éric Maltaite pense à son vieux complice de toujours : Stephan Colman.

Un sacré Choc !
Choc T1 : "Les Fantômes de Knightgrave" par Maltaite et Colman
(c) Dupuis

Une vieille complicité

On est surpris d’ailleurs que ces deux là n’aient pas œuvré plus tôt ensemble. ils se rencontrent en 1980 dans les locaux du Journal de Spirou. Maltaite, qui dessine dans l’hebdomadaire de la bonne humeur depuis trois ans, a 22 ans ; Colman, trois ans de moins que lui. Entre les deux jeunes dessinateurs, c’est le coup de foudre. L’un subit l’héritage écrasant d’un Olympe dont les dieux règnent encore : tous les soirs, chez ses parents, le jeune Éric voit défiler les plus grands noms de la bande dessinée classique d’alors : Franquin, Jijé, Morris, Peyo, Tillieux, Roba, Delporte... Quant à Colman, c’est un des espoirs les plus en vue de la nouvelle génération, repéré par Franquin et Delporte et même un temps pressenti pour reprendre Spirou.

Éric, qui sait ce qu’est un bon dessinateur, est séduit par le talent de son jeune camarade. Ce sera le début d’un long compagnonnage qui va les amener à partager un atelier et même des vacances ensemble. Éric donne un coup de main sur le tout premier épisode de Billy The Cat (1982) sur lequel ils ont un scénariste en commun : Stephen Desberg.

Choc T1 : "Les Fantômes de Knightgrave" par Maltaite et Colman
(c) Dupuis

Mais, curieusement, aucune grande collaboration ne naît alors entre eux. Sans doute parce que Colman, graphiste émérite (comme en témoigne alors son album White le choc -titre indiciel s’il en est- paru dans la collection Atomium en 1983) se fourvoie alors un peu dans le domaine de la publicité, et parce que lui-même, mettant ses pas dans ceux de son père, est embarqué dans la logique des séries dupuisiennes, avec 421, signé par Desberg.

Ce n’est que quand Colman décide de lever quelque peu le crayon pour mieux écrire des scénarios (on lui doit quelques-unes des aventures les plus réussies du Marsupilami dessiné par Batem), après le décès de Will en 2000, que le déclic se fait. En complicité avec Rosy, auprès de qui Colman, dans de longues conversations téléphoniques, évoque ses premières ébauches de scénario, ces aventures de Choc s’élaborent, contant des origines qui expliquent comment l’enfant bâtard d’un soldat anglais de la guerre de 1914 avec une jeune française, a grandi dans un environnement qui a forgé et l’homme, et son désir de revanche.

Choc T1 : "Les Fantômes de Knightgrave" par Maltaite et Colman
(c) Dupuis

Dans cet album, on rejoint la thèse de Jean-Paul Sartre dans Saint Genet, comédien et martyr ou dans L’Enfance d’un chef : le mal est d’abord le produit d’une société avant d’être celui d’un homme. Cette enfance de Choc, dont on découvre l’identité et le très symbolique prénom : Eden, évocation d’un Paradis perdu : celui de l’enfance, justifie par sa dureté le malfaiteur qu’il deviendra plus tard. L’acier de la lame ne se forge pas autrement que par l’eau et le feu.

Elle démarre dans l’East London, non loin de Whitechapel, le quartier des prostituées de Jack l’éventreur. Elle se poursuit dans des maisons de correction où le jeune Eden subit les violences et même le sadisme de ses gardiens. Tout ceci est raconté dans des flashbacks parallèles au casse le plus audacieux que le maître du crime va réussir au cœur même de Londres, faisant preuve d’une maestria implacable au savoureux goût de revanche. Le script et les dialogues sont brillants, c’est du Tillieux revu par Tarantino.

Quant au dessin de Maltaite, il est simplement bluffant et n’est pas sans évoquer celui du Colman de White le Choc par son coup de pinceau qui rend parfaitement les matières, les espaces, les ambiances. Longtemps Maltaite est resté prisonnier de cette école de la Ligne claire un peu décorative qui était celle de son père. Il semble qu’ici, il se soit enfin libéré, qu’il ait trouvé ses marques. La collaboration entre les deux complices fait merveille. C’est incontestablement un des albums marquants de ce début d’année.

Choc T1 : "Les Fantômes de Knightgrave" par Maltaite et Colman
(c) Dupuis

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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19 Messages :
  • Un sacré Choc !
    22 avril 2014 13:06, par Nicolas Anspach

    Didier,
    Entre 2003 et 2010, Eric (Maltaite) et Colman ont signé trois albums de "Sam Speed", avec la complicité de Batem, Saive, etc.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 avril 2014 à  13:39 :

      Je n’ai pas dit qu’ils ne collaboraient jamais ensemble, je parle de "grande collaboration", une œuvre qui n’appartiennent qu’à eux deux. Ces contributions sont certes conséquentes, mais elles sont disparates (même si on reste dans la "famille" : Batem, Saive...) et n’émanent jamais du seul duo, chose qu’à titre personnel, j’attendais depuis longtemps.

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  • Un sacré Choc !
    22 avril 2014 22:17, par Liaan

    Ah, comme quoi, il peut y avoir de la bonne bédée moderne...

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    • Répondu le 23 avril 2014 à  00:03 :

      Il fume avec un heaume sur la tête ! Ça doit lui piquer les yeux et il devrait être facile à neutraliser du coup, non ? Sans parler de l’odeur qui doit rêgner là-dedans, ça part pas après une douche.

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    • Répondu le 23 avril 2014 à  01:45 :

      De la bonne BD moderne... avec un personnage datant de 59 ans. Chacun voit la modernité où il veut.

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      • Répondu le 23 avril 2014 à  09:31 :

        Comme avec Batman, alors ?

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      • Répondu le 23 avril 2014 à  15:02 :

        59 ans, ce n’est plus très jeune

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      • Répondu le 23 avril 2014 à  20:59 :

        Ce n’est pas parce que le personnage a été créé il y a longtemps que l’album est ringard. On assiste à une redéfinition, allez donc y voir par vous-mêmes !

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  • Un sacré Choc !
    23 avril 2014 10:04, par Hiyam

    Y a pas que Jean Sol Partre qui a dit ça,dude. Rousseau aussi et ma femme de ménage.

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  • Un sacré Choc !
    24 avril 2014 13:59

    belle BD, mais un peu trop de violence gratuite !!!

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    • Répondu par Jérôme le 24 avril 2014 à  16:47 :

      Je ne veux pas jouer les Marge Simpson, mais je trouve que ça n’a pas sa place dans Spirou, qui est quand même un journal pour enfants.

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      • Répondu par Phil "Icecool" Tomblaine le 27 avril 2014 à  16:47 :

        Le débat "sexe et violence dans Spirou" n’est pas nouveau : j’avais moi-même - sur BDGest - pesté contre les propos grivois et gros mots échangés en début d’album, mais l’ambiance dressée au fil des pages est tellement réussie que l’on oublie ces "impairs de jeunesse". Ceci dit, donc, le journal a aussi diffusé les premiers tomes de XIII, 421, Soda, Bob Marone, Lady S ou encore les récents Dents d’ours (pour ne citer que ces exemples !),où morts violentes et/ou créatures dénudées ne sont pas rares...
        Il ne s’agit donc pas de censurer inutilement mais d’avertir les chères têtes blondes... qui en voient (malheureusement dans certains cas) bien d’autres.

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      • Répondu par jacques-humule le 28 avril 2014 à  16:18 :

        ça fait longtemps que Spirou n’est plus un journal pour enfants, laissant (toute) la place à Mickey.

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      • Répondu par Rik le Rouge le 30 avril 2014 à  22:30 :

        Spirou a toujours été un journal pour toute la famille. Et les enfants ne lisent pas que des BD "formatées" pour eux. Quand, enfant, à partir de 8 ans, je lisais Spirou, je lisais aussi bien Archie Cash que Boule et Bill, en passant par Aymone ou Sam et l’Ours. Et cela ne me choquait pas. Au contraire, la diversité faisait et fait toujours l"intérêt et le charme du magazine.
        Aujourd’hui, mes filles de 12 et 14 ans lisent Spirou, je lis Spirou du haut de mes 45 ans, et ma mère de 84 ans lit Spirou dès qu’elle en a l’occasion.
        Le staff Dupuis a dit quelque part que la moitié des lecteurs du journal sont des enfants, l’autre moitié des adultes.
        Et c’est très bien.

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    • Répondu le 28 avril 2014 à  16:12 :

      Oui oui, revenons aux années 50 et 60, quand la censure obligeait Spirou à poursuivre des gangsters armés en les menaçant de son doigt tendu (le revolver ayant été -heureusement pour nos têtes blondes ou brunes- effacé). Vive la censure qui obligea Morris à recommencer sa couverture de Billy the kid représentant ce dernier utilisant un revolver comme tétine. Assez de toute cette violence ! Ce n’est pas à la télé, dans les séries, les infos ou les émissions de telerealité que l’on verrait de quoi choquer , traumatiser, influencer les enfants ! Et supprimons les vieux dessins animés looney tunes ou tex avery où l’on ne voit que trop de coups de poing, d’explosions, de pianos sur le crâne. Le monde dans lequel nous vivons est un petit paradis, ne le maculons pas avec les turpitudes que certains auteurs pervers ont dans le crâne.

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      • Répondu par MD le 28 avril 2014 à  19:52 :

        Il ne s’agit pas de revenir à la censure des années cinquante, période particulièrement sclérosante et imbécile pour les auteurs. Simplement, je m’étonne à titre personnel du manque de cohérence de l’hebdo Spirou : d’un coté, des BD classiques du vétéran Raoul Cauvin, les marsu kids, Game over et cie qui semblent idéales pour un lectorat agé de 5 à 15 ans, de l’autre, les pages de Lewis Trondheim, Sapin, Duhoo, Yann et Henriet sur Dent d’ours, ou Choc qui parle ouvertement de grêves réprimées dans le sang, de viol, de sadisme, ce sont des oeuvres que l’on verrait aussi bien dans les pages de l’echo des savanes ou l’Immanquable, qui eux s’adressent à un public de jeunes adultes ou de nostalgiques.

        Je ne comprends pas cette attitude qui consiste à faire le grand écart entre diverses générations de lecteurs. Un bel exemple de schyzophrènie éditoriale ! Pour ma part, je ne lis et apprécie que les oeuvres adultes, les autres me tombent des mains, ce n’est pas que je méprise les auteurs Jeunesse, c’est simplement que j’ai passé l’âge !

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        • Répondu par Sergio Salma le 29 avril 2014 à  12:37 :

          Finalement est-ce tout ça ne rejoint pas l’idée du slogan du journal concurrent : "le journal des jeunes de 7 à 77 ans" ? Sinon, si vous observez toutes les œuvres de fiction vous constaterez un durcissement de ton, une violence accrue, c’est un fait ( un bien ou un mal je ne sais pas). Mais il n’y a aucune schizophrénie ; c’est le propre d’un journal de proposer un panaché d’ambiances, d’auteurs, de types de récits. Dans les années 60 déjà, on pouvait aller dans le même magazine d’un Boule&Bill à un Paul Foran, dans les années 70, on avait du Jess Long avec des histoires relativement violentes( un homme âgé atteint de lupus), un érotisme bon enfant avec Natacha et puis de l’aventure pure et dure côtoyant Poussy de Peyo. Les écarts étaient du même ordre.

          On accepte l’idée après coup que dans Pilote Blueberry était publié au verso de Philémon , si on y réfléchit c’est à peu de choses près la même dichotomie qui sépare les réalistes des "poètes graphistes" , les lecteurs des uns décriant les autres et inversement. Dans Pif, on avait Rahan et Dicentim le petit Franc ; sans doute le spectre était-il aussi large mais sans doute aussi ,comme vous le ressentez, la noirceur n’était-elle pas aussi présente. L’humeur générale a changé, les lignes ont bougé , les générations nouvelles ont beaucoup plus l’habitude d’une relative agressivité. Ce qui est aujourd’hui "enfants admis" aurait sans doute été censuré à une autre époque. C’est justifié en partie par une espèce d’apprentissage intuitif , la candeur de certaines œuvres anciennes doit paraître bien fade pour de nombreux jeunes consommateurs qui n’ont plus la lecture comme seule source de divertissement .

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        • Répondu le 30 avril 2014 à  02:12 :

          Cette. Schizophrénie éditoriale, comme vous dites, ne date pas d’hier. Déjà, dans les années 70, se côtoyaient sybilline et archie cash. Cela faisait déjà débat dans le courrier des lecteurs auprès des parents scandalisés. Mais moi et mes potes de l’époque, jeunes pré-ados (comme on ne le disait pas encore à l’époque) donc premiers concernés, cela ne nous gênait pas de passer de l’un à l’autre. D’ailleurs il y a toujours eu de la cruauté et de la violence dans les histoire que nous adressons aux enfants : regardez "le petit poucet", un père- ogre, certes- n’est-il pas poussé à égorger de sa main ses propres filles. N’y a-t-il plus grande violence ? Et que dire de "peau d’âne" qui traite quand même de l’inceste paternel ? Et des "malheurs de Sophie" ou le sadisme et le masochisme, entre autres perversions, parcourent les pages ? C’est justement un des rôles des histoires pour enfants, les préparer au monde, qui n’est pas tout rose loin s’en faut.

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  • Un sacré Choc !
    26 septembre 2014 00:55, par AntoineL

    Un peu tard sans doute, je viens de finir l’ouvrage et souhaitais demander ici les lumières de quelqu’un qui connaîtrait mieux que moi (qui en ignore tout) la série Tif et Tondu.

    Je n’ai pas été très emballé par cet album pour au moins deux raisons. Premièrement, la structure en "flash-backs emboîtés" qui n’apporte pas grand chose, à part une fausse impression de complexité et m’a rendu la lecture plus laborieuse qu’autre chose. Bon, en même temps je l’ai lu sur un écran, peut-être que ça fonctionne mieux avec le jeu des doubles pages...

    Ensuite, je l’ai trouvé extrêmement caricatural dans la construction des personnages et pas très clair dans le ton. Et je voudrais savoir si c’est caractéristique de la série mère Tif et Tondu.
    Je veux dire que par moment les auteurs insistent beaucoup sur la mélancolie, le malheur, la bio façon Dickens avec un sérieux qui rend certains détails un peu faciles et superflus (le comportement du père traumatisé qui emprunte aux codes des albums de guerre mais sans la subtilité d’un Bruno Le Floc’h ou de Chloé Cruchaudet, la réaction de l’antiquaire...).

    Et alors à d’autres moments (la période située dans les années 1950), le ton lorgne du côté des Innommables avec des caricatures de policiers anglais racistes et hautains, des truands qui sortent systématiquement des blagues avant de tuer leur prochain. Sauf que contrairement à la série de Yann et Conrad, le mélange des contextes historiques, de l’humour et de la violence ne fonctionne pas très bien. Enfin c’est mon avis. Le dessin, en revanche est plutôt attachant.

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