Le personnage apparaît en 1955 dans Tif & Tondu contre la main blanche, une organisation criminelle dirigée par le mystérieux malfaiteur casqué. L’épisode est signé au scénario par Maurice Rosy, qui fait alors office de directeur artistique chez Spirou et qui marqua durablement la série dont il assure 12 épisodes jusqu’à Tif rebondit (1968) avant que Tillieux ne reprenne la série pour 10 volumes.
Au dessin, le somptueux Will (alias Willy Maltaite) qui définit le personnage par son trait tout en élégance : voici un chef de bande au profil élancé, portant spencer et nœud papillon, fumant un porte-cigarette à travers l’échancrure de son heaume. Qui est-il ? On ne le saura jamais.
Lorsque Rosy quitte Dupuis en 1968, il conserve son personnage et Choc s’éclipse jusqu’en 1984, dans Traitement de choc, grâce à Desberg qui convainc Rosy de lui prêter le personnage. Mais c’est une apparition de courte durée, l’énigmatique malfrat disparaissant dans les épisodes suivants, jusques et y compris dans ceux animés par Lapière et Sikorski, Will n’ayant pas cédé le droit de reprendre graphiquement le personnage.
Depuis toujours, Éric Maltaite, le fils de Will, considérait que Choc était la figure emblématique de la série Tif & Tondu. Will, qui avait laissé tomber ces personnages, avait conservé celui-ci, en accord avec Rosy, caressait l’idée de le voir vivre des aventures indépendamment de l’enquêteur hirsute et de son comparse glabre. Il avait alors imaginé qu’il soit dessiné par son fils.
Mais pour que cette entreprise réussisse, il fallait un scénario à la hauteur, à la fois respectueux de l’univers de départ et suffisamment novateur pour que cela intéresse les générations actuelles. Pour cela, Éric Maltaite pense à son vieux complice de toujours : Stephan Colman.
Une vieille complicité
On est surpris d’ailleurs que ces deux là n’aient pas œuvré plus tôt ensemble. ils se rencontrent en 1980 dans les locaux du Journal de Spirou. Maltaite, qui dessine dans l’hebdomadaire de la bonne humeur depuis trois ans, a 22 ans ; Colman, trois ans de moins que lui. Entre les deux jeunes dessinateurs, c’est le coup de foudre. L’un subit l’héritage écrasant d’un Olympe dont les dieux règnent encore : tous les soirs, chez ses parents, le jeune Éric voit défiler les plus grands noms de la bande dessinée classique d’alors : Franquin, Jijé, Morris, Peyo, Tillieux, Roba, Delporte... Quant à Colman, c’est un des espoirs les plus en vue de la nouvelle génération, repéré par Franquin et Delporte et même un temps pressenti pour reprendre Spirou.
Éric, qui sait ce qu’est un bon dessinateur, est séduit par le talent de son jeune camarade. Ce sera le début d’un long compagnonnage qui va les amener à partager un atelier et même des vacances ensemble. Éric donne un coup de main sur le tout premier épisode de Billy The Cat (1982) sur lequel ils ont un scénariste en commun : Stephen Desberg.
Mais, curieusement, aucune grande collaboration ne naît alors entre eux. Sans doute parce que Colman, graphiste émérite (comme en témoigne alors son album White le choc -titre indiciel s’il en est- paru dans la collection Atomium en 1983) se fourvoie alors un peu dans le domaine de la publicité, et parce que lui-même, mettant ses pas dans ceux de son père, est embarqué dans la logique des séries dupuisiennes, avec 421, signé par Desberg.
Ce n’est que quand Colman décide de lever quelque peu le crayon pour mieux écrire des scénarios (on lui doit quelques-unes des aventures les plus réussies du Marsupilami dessiné par Batem), après le décès de Will en 2000, que le déclic se fait. En complicité avec Rosy, auprès de qui Colman, dans de longues conversations téléphoniques, évoque ses premières ébauches de scénario, ces aventures de Choc s’élaborent, contant des origines qui expliquent comment l’enfant bâtard d’un soldat anglais de la guerre de 1914 avec une jeune française, a grandi dans un environnement qui a forgé et l’homme, et son désir de revanche.
Dans cet album, on rejoint la thèse de Jean-Paul Sartre dans Saint Genet, comédien et martyr ou dans L’Enfance d’un chef : le mal est d’abord le produit d’une société avant d’être celui d’un homme. Cette enfance de Choc, dont on découvre l’identité et le très symbolique prénom : Eden, évocation d’un Paradis perdu : celui de l’enfance, justifie par sa dureté le malfaiteur qu’il deviendra plus tard. L’acier de la lame ne se forge pas autrement que par l’eau et le feu.
Elle démarre dans l’East London, non loin de Whitechapel, le quartier des prostituées de Jack l’éventreur. Elle se poursuit dans des maisons de correction où le jeune Eden subit les violences et même le sadisme de ses gardiens. Tout ceci est raconté dans des flashbacks parallèles au casse le plus audacieux que le maître du crime va réussir au cœur même de Londres, faisant preuve d’une maestria implacable au savoureux goût de revanche. Le script et les dialogues sont brillants, c’est du Tillieux revu par Tarantino.
Quant au dessin de Maltaite, il est simplement bluffant et n’est pas sans évoquer celui du Colman de White le Choc par son coup de pinceau qui rend parfaitement les matières, les espaces, les ambiances. Longtemps Maltaite est resté prisonnier de cette école de la Ligne claire un peu décorative qui était celle de son père. Il semble qu’ici, il se soit enfin libéré, qu’il ait trouvé ses marques. La collaboration entre les deux complices fait merveille. C’est incontestablement un des albums marquants de ce début d’année.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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