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Décès de Maurice Rosy, modeste pilier de l’âge d’or de Spirou

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 24 février 2013                      Lien  
C'était un grand dessinateur aux idées simples, poétiques et souvent expérimentales qui fit une carrière formidable dans le livre pour enfants et qui avait a été auparavant, de 1954 à 1971, longtemps aux côtés d'Yvan Delporte, le directeur artistique des grandes heures de Dupuis et du journal de Spirou. Peu connu du grand public, on lui doit cependant des scénarios pour Spirou, pour Boule & Bill, pour Tif & Tondu, pour Bobo... C'est un grand homme qui nous quitte.
Décès de Maurice Rosy, modeste pilier de l'âge d'or de Spirou
Maurice Rosy dans les années 1950
Photo : DR

Né le 17 novembre 1927 à Fontaine-l’Évêque en Belgique, Maurice Rosy est décédé hier, le 23 février 2013 à l’âge de 85 ans.

Fils unique d’un cloutier, le jeune Maurice travaille dès son enfance dans l’entreprise familiale, mais il est incité par un de ses professeurs à entrer dans une école d’art. Son père refuse. Il reste quelques années à la clouterie tout en s’initiant au piano, alors que ses doigts sont régulièrement blessés par son activité professionnelle.

Il se cultive en écoutant toutes les après-midis les concerts et les pièces de théâtre classique à la radio nationale. Un jour, il se décide à affronter son père et lui rend son grand tablier de cuir. Sans formation et sans moyens, il hésite entre le dessin et la carrière musicale. Il survit en jouant dans des bals le week-end.

C’est Yvan Delporte, déjà employé chez Dupuis depuis 1951, qui va décider de son orientation. Grâce à lui, il rencontre Franquin dans le célèbre café-concert de Charleroi La Mansarde, où la chanteuse Barbara avait alors ses habitudes (Rosy l’hébergeait régulièrement). Le dessinateur de Spirou avait remarqué la décoration de la table sur laquelle ils avaient posé leurs verres. Il demanda qui en était l’auteur : c’était Maurice Rosy, et lui en commanda aussitôt une ! Discutant avec Franquin lors de ses aller-venue décoratives, il lui donne son opinion sur le Journal de Spirou. Franquin trouve ses réflexions éclairantes et le recommande à Charles Dupuis.

Un exemple du graphisme moderniste imposé par Rosy chez Dupuis
DR

Convoqué par l’éditeur de Marcinelle et soutenu par son copain Delporte, Rosy est engagé en 1954. "Au début, je suis rentré comme cela, sans emploi", nous expliquait-il.

Lors de son entretien d’embauche, il donne à Charles Dupuis son avis sur les trois hebdomadaires de l’éditeur : le féminin Bonnes Soirées, le journal de programmes radio Le Moustique et le fameux Journal de Spirou. Interrogé par Charles Dupuis sur l’hebdomadaire de la bonne humeur, Rosy ose lui dire que, selon lui, les trois meilleures séries sont Spirou, Buck Danny et Lucky Luke. Pour cette dernière, Charles Dupuis fait la moue. Il n’y croyait pas : trop marrant, pas assez sérieux à son goût. Pourtant, c’est le cow-boy solitaire, plus influencé par le graphisme américain contemporain, qui tire le plus l’œil du futur directeur artistique de Spirou : "Je trouvais que les autres séries de Spirou étaient un peu trop guindées."

Dans Les Pirates du Silence, Rosy fait parler le Marsupilami
Ed. Dupuis.

Sans aucune formation, Le projet de Risquetout, un spin-off de Spirou initié en 1954 par Georges Troisfontaines, maître d’œuvre des régies publicitaires de Dupuis et fournisseur de contenu par l’intermédiaire de sa société la World’s Press (propriétaire de séries comme Buck Danny ou L’Oncle Paul, par exemple), lui donne sa chance.

Troisfontaines est en charge de la maquette du Moustique. Rosy est chargé par Dupuis d’accorder les versions francophones et flamandes de ce journal (Moustique et Humoradio). Il montre alors des dispositions graphiques remarquables et convainc Dupuis à créer un bureau à Bruxelles. Troisfontaines loue à Dupuis une partie de ses bureaux de la galerie du Centre qui devient le carrefour où se rencontrent tous les dessinateurs de la maison. La cohésion du Spirou de l’âge d’or s’installe. Charles Dupuis monte à Bruxelles tous les mardis et les vendredis et s’amuse avec cette bande qui le fait sortir de son pesant milieu familial. Rosy devient rapidement le "fournisseur d’idées" de la maison.

Et de fait, son arrivée dans l’équipe aux côtés de Delporte provoque une ouverture graphique sans précédent, un rubriquage plus dynamique, plus rigolo, avec une volonté de mise en valeur des séries des séries de bande dessinée qui n’existait pas avant. Ensemble, ils inventent l’animation du journal, et celui-ci deviendra en effet sacrément animé et pas seulement en son sein : on doit notamment à Rosy la conception artistique et éditoriale de la collection Gags de Poche pour Dupuis. On lui doit également la réalisation, aux côtés d’Eddy Ryssack et de Raoul Cauvin, des premiers films d’animation pour les studios TVA Dupuis pour la Radio Télévision Belge entre 1961 et 1965.

En 1955, il crée avec Will le personnage de Choc pour la série Tif & Tondu
Ed. Dupuis

Scénariste de Choc

Parallèlement, ce graphiste doué fournit des scénarios à ses amis dessinateurs. Ce sera d’abord, naturellement, pour Franquin : Spirou - Le Dictateur et le champignon (1953). Il le retrouvera dans Les Pirates du silence (1955) où il réalise l’exploit de faire parler le Marsupilami. Il scénarise un Jerry Spring : Yucca Ranch pour Jijé (1954).

Mais c’est surtout son apport fondamental à la série Tif et Tondu pour lequel il crée pour Will, dans La Main Blanche (1955), le célèbre personnage de Choc, que les historiens retiennent.

Il en deviendra un des scénaristes les plus emblématiques, portant ses personnages aux marges d’une science-fiction étonnamment poétique (La Main blanche, Le Retour de Choc, Passez Muscade, Plein Gaz, Le Grand Combat... 13 albums au total). Il voulait emmener la série vers des univers plus surprenants mais le conservatisme de la maison Dupuis l’en empêche : "Choc est un personnage ambivalent, nous confiait-il, on pourrait le lancer dans des directions différentes. Du temps de Dupuis, cela aurait été une mauvaise surprise, il n’aimait pas que l’on change la fonction des personnages."

Dommage, ce "Dark Vador" avant la lettre aurait pu faire un personnage éblouissant : "Il n’est pas si éloigné. Celui qui m’a contrarié beaucoup au niveau des idées, notamment pour Choc, c’est quand même Delporte : si je faisais téléphoner un gars dans une cave, il me disait : "Ah non, pas de téléphone !... J’aurais aimé que Tif & Tondu désarçonnent le lecteur, que celui-ci ne soit pas dans le confort." Mais il n’a pas réussi à imposer ses idées. C’est Maurice Tillieux, que Rosy avait introduit dans Spirou à la suite de l’échec Risquetout, qui en assure le scénario par la suite.

Rosy écrit de nombreux mini-récits pour Salvé, Ryssack, Deliège... En 1959, il collabore avec Roba sur le premier épisode des aventures de Boule et Bill. Pour Paul Deliège, il crée le personnage quasi existentialiste du prisonnier Bobo (1961). Pour Bara, il écrit un épisode de Max l’explorateur (1964) ; pour Derib, il crée le personnage d’Attila (1967)...

Maurice Rosy chez lui à Paris en avril 2011
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Comme graphiste, il offre à Spirou ses pages les plus expérimentales
Ed. Dupuis

Un illustrateur apprécié

Après l’éviction de Delporte de chez Dupuis (1968), il prend ses distances, crée un studio qui produit du graphisme sous le pseudo commun de Kornblum, travaille de plus en plus comme illustrateur avec la Hollande et décide de monter sur Paris, où il avait publié ses premiers dessins dans Paris-Match au début des années 1950.

Dans les années 1970-90, il est un des illustrateurs les plus prisés de Paris
Ed. Nathan

Là, l’attend une brillante carrière d’illustrateur pour les plus grands éditeurs jeunesse de la place : Bayard, Nathan, Bordas... Pas loin de cent titres publiés. Il travaille pour la publicité (notamment sur le personnage de Malabar). Laissant son passé belge loin derrière lui, il autorise quand même la reprise de M. Choc sous d’autres plumes, parce que "cela allait de soi".

Dans son appartement parisien, il menait une vie posée mais active, souvent sollicité par les historiens de la BD séduits par sa gentillesse et sa mémoire sans faille. Il est un des grands témoins de la récente biographie de Delporte et de La Véritable Histoire de Spirou des époux Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault (Ed. Dupuis). Ceux qui l’ont connu se souviennent d’un personnage modeste, d’une gentillesse confondante et d’une grande humanité. La rédaction d’ActuaBD adresse ses condoléances à sa famille et à ses amis qui sont nombreux.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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