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12 septembre, la vision des auteurs

Par Charles-Louis Detournay le 12 septembre 2011                      Lien  
Au travers des regards d’écrivains, de journalistes, de dessinateurs mais aussi de personnalités, ce collectif tente d’appréhender ces dix années passées après le choc de l’attentat, mais également le futur des Etats-Unis.

Difficile de passer outre le sanglant anniversaire du 11 septembre, ainsi que toutes les tragédies qu’il charrie. Pour changer de vision après cette décade, Casterman nous propose un collectif où se confrontent et s’affrontent divers regards acérés sur cette triste actualité.

12 septembre, la vision des auteurs
© Daryl Cagle

Dépourvu d’une réelle colonne vertébrale, il vaut mieux prendre ce collectif selon son humeur du moment : en se délectant d’implacables dessins de presse, en se laissant mener dans l’imaginaire de dessinateurs, d’écrivains et autres artistes, ou en goûtant les pensées de certaines personnalités et journalistes.

Le dessin de presse : une arme contre l’intolérance

Outre la splendide couverture de Bilal, évocatrice du surréalisme dans lequel l’attentat a plongé le monde, la réelle réussite de cet ouvrage est de faire la part belle aux dessinateurs de presse. Ainsi, les dessins de Jul illustrent parfaitement l’échange épistolaire de deux journalistes, l’Américain Roger Cohen et le Français Jean-Luc Hees. Si les propos des deux hommes ne sont parfois pas tendres, c’est le trait acide de Jul qui force le respect : une fois de plus, tout le non-dit d’une caricature remplace parfois bien des pages de textes, en appuyant juste là où cela fait mal.

Toutefois, la palme revient à la “battle” que se livre Plantu et Daryl Cagle. Les deux dessinateurs de presse sont les derniers à avoir accepté le projet ; ils ont donc non seulement pu intégrer la totalité des dix années passées, du premier choc après l’attaque jusqu’à l’exécution de Ben Laden, ce qui n’est pas traité par les autres intervenants. Les deux hommes utilisent tour-à-tour une double pages, et commentent leur propres dessins en jouant sur la largeur du trait de leur outil favori : le feutre.

Le début de la conversation entre les deux dessinateurs, par delà l’Atlantique.
© Daryl Cagle

En trente pages, tout est dit : L’attaque, la peur, la riposte, le fait que les Américains aient eux-mêmes formé Ben Laden, mais également les intolérances respectives de deux camps et les aspects qui les rapprochent, sans oublier la naïve, mais jusqu’ici vaine semble-t-il, élection d’Obama et la terrible menace que les caricatures danoises de Mahomet ont fait peser sur leur métier. Ces pages confrontent les différentes visions des Américains et des Français, rehaussées des commentaires actuels, riches de ce recul nécessaire pour une analyse plus en profondeur. Un monument d’intelligence et de sensibilité érigé contre la bêtise humaine !


Plantu et Daryl Cagle confrontent leur vision du 12 septembre

Des auteurs de bandes dessinées impliqués

Qui d’autre que Miles Hyman, le plus français des dessinateurs américains, pouvait retracer le doute et la paranoïa qui a contaminé son pays d’origine depuis le 11 septembre ? Le dessinateur du Guide sur New York, mais aussi de l’oppressant Images interdites mélange ces deux genres dans son récit : un GI sur le retour est suivi par les services secrets. Il aurait tourné casaque, ayant été « hypnotisé » par un ancien journaliste afghan qu’il gardait en prison.

Teinté d’un pessimisme qui rend cette histoire des plus réalistes, le trait d’Hyman confirme qu’il n’est plus seulement est un des illustrateurs les plus talentueux de sa génération, mais qu’il parvient aussi à mettre habilement en scène des récits tout en profondeur, où les sentiments les plus divers peuvent s’entremêler.

© Casterman / Miles Hyman

Dans un autre genre, le primé Joe Sacco s’est lancé dans la difficile vision futuriste, tentant de démontrer les erreurs vers lesquelles les États-Unis se dirigeraient s’ils s’entêtaient dans certaines démarches. Le ton est quelque peu forcé, mais la démarche a au moins le mérite de mettre les pieds dans le pla, en osant une critique aussi acide que moralisatrice.

Si c’était d’ailleurs également le but du duo d’auteurs Munoz & Sampayo, le résultat semble moins pertinent : en prenant le regard des immigrés intégrés aux cuisines de la Maison Blanche, ils tentent de démontrer les grandes divergences qui coexistent dans le système américain, tout en voulant prouver que l’excès de sécurité conduit dans une finalité bien éloignée de l’objectif. Malheureusement, le thème rejoint le sentiment du lecteur, car on se perd plus qu’on ne profite du récit. On ne peut pas tout réussir.

La pluralité des regards

Il serait ardu de détailler tous ces témoignages, les articles ou les essais des différents intervenants : la franchise de la diva et ambassadrice à vie de l’ONU Barbara Hendricks, la lettre du romancier Russel Banks à son petits-fils, la sombre nouvelle de Jérôme Charyn illustrée par Miles Hyman, la poésie urbaine illustrée de CharlÉlie Couture, ainsi que la vision utopique et écologie de l’architecte Jacques Ferrier, etc.

S’il en est au moins une qui attirera l’amateur de bande dessinée, c’est l’intervention du président 2012 du Festival d’Angoulême. Art Spiegelman s’était déjà longuement penché sur la question de cette attaque dans son album À l’Ombre des tours mortes, c’est pour que cela l’auteur new-yorkais n’a pas souhaité y revenir par le dessin, mais s’est livré dans une interview magnifiquement illustrée par son ami Mattotti.


Son témoignage est confondant de justesse et effrayant de sincérité : il explique que « l’Amérique est un empire décadent, mais [que] la chute de Rome a pris du temps…. Il dit également : ce n’est pas une coïncidence si les zombies sont si tendance : des morts-vivants sans cervelle qui ne s’étonnent pas de perdre leurs membres. […] Ce qui m’a le plus effrayé après le 11 septembre[…], ça a été de voir le gant de velours disparaître et de découvrir la main de fer. […] C’est une sacrée vision que New York puisse passer sous la loi martiale aussi rapidement. […] Aussi effrayant que l’attentat terroriste lui-même. »

En deux cents pages, ces visions de journalistes, d’artistes et de personnes engagées apportent donc une grande diversité d’illustrations sur cet événement qui a si profondément marqué la planète, ainsi que ses conséquences. Comme tout collectif, chaque lecteur pourra apprécier tel témoignage, en laissant de côté un autre, qui trouvera pourtant un accueil plus chaleureux chez son voisin. Son contenu bigarré symbolise pourtant l’état du monde après le 11 septembre : éparpillé façon puzzle.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Image de couverture en médaillon : Enki Bilal.

 
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4 Messages :
  • 12 septembre, la vision des auteurs
    12 septembre 2011 14:06, par Basil

    On notera que la galerie BDARtist(e) organise à partir du 12 septembre une exposition de la couverture de Bilal et des planches de Munoz et de Miles Hyman.
    Exposition du 12 au 21 septembre.
    Vernissage ce soir 12 septembre à partir de 19h.

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  • 12 septembre, la vision des auteurs
    12 septembre 2011 16:27, par Tiras

    Voilà un opportunisme mercantile bien dégueulasse.

    Répondre à ce message

    • Répondu le 12 septembre 2011 à  21:40 :

      Je n’ai pas lu le livre, mais qui êtes vous pour juger de son coté mercantile ? Vous préfèrez la BD neuneu à la BD témoin de son temps ? France2 et d’autres grandes chaines ont témoigné, la plupart des quotidiens et hebdos également. Il peut donc y avoir risque d’overdose du public. Il est à mon avis moins risqué de faire du fric en publiant une énième réédition de Tintin, Alix ou Corto.

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  • 12 septembre, la vision des auteurs
    12 septembre 2011 21:25, par Remy Molaite

    Ce livre est assez étrange car à première vue j’ai eu du mal à rentrer dedans quand je l’ai feuilleté. Ni un album de BD, ni un livre de dessin. Il y a de tout, du texte, de la BD des dessins, le tout assez hétéroclite car dans des styles vraiment très opposés d’une partie à l’autre mais cela donne un livre qui se révèle intéressant, touchant. Comme vous le signalez, le texte de l’interview de Spiegelman est très intéressant. Un ouvrage qui mérite donc d’être découvert.

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