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Intégrales et beaux livres sous le sapin : le Noël du Lombard nous ouvre de nouveaux horizons

Par Charles-Louis Detournay le 15 décembre 2022                      Lien  
Appliquant toujours la méthode de la modération dans sa politique éditoriale, l'éditeur bruxellois aligne trois intégrales pour cette fin d'année. Mais quelle sélection ! La suite de la saga de Warnants & Raives, la première intégrale de "Ringo" à savoir le fameux western de Vance, ainsi que le dernier recueil de l'intégrale de "Jonathan" qui rassemble... un seul album ! Venez, on va tout vous expliquer...

Intégrales et beaux livres sous le sapin : le Noël du Lombard nous ouvre de nouveaux horizonsBien avant la reprise en intégrale des Suites vénitiennes, Le Lombard soutenait le tandem d’auteurs Eric Warnauts & Guy Raives dans leur processus créatif, notamment dans leur saga belge composée de trois diptyques et débutée il y a plus de dix ans. Aux côtés des Temps Nouveaux et des Jours heureux vint se glisser la mini-série d’Après-guerre, qui reprend la vie de nos personnages de 1947 à 1950.

« "Après-Guerre" est la suite des "Temps nouveaux", nous expliquait précédemment Eric Warnauts. Les Alliés se sont séparés en deux blocs : l’empire soviétique d’un côté et l’Occident de l’autre. Berlin est coupée en deux. Et puis, un peu avant 1948 et le blocus de Berlin, il y aura la signature de la déclaration des Droits de l’Homme. On voulait parler d’un peu tout cela, en fait. »

« Et puis, il n’y a pas que ça, prolonge Guy Raives. Nous avions fait mûrir nos personnages, ils commençaient à avoir un peu d’âme et nous trouvions cela dommage de nous arrêter en si bon chemin. Nous les avons donc réutilisés tout en revisitant la Grande Histoire. »

Cette intégrale regroupe donc la totalité de deux récits, complétée par le dossier historique de 4 pages, une par année. L’éditeur y ajoute quatre pages d’illustrations et de mises en couleurs pour bien montrer l’apport de chaque étape au sein du tandem d’auteurs.

Enfin, l’intégrale Ringo

Pourquoi "Enfin" ? Car cette série qui a tout d’une grande, existe depuis près soixante ans et n’avait jamais bénéficié d’une réelle intégrale. Pourtant son dessinateur est plus que réputé, car il s’agit de William Vance. Mais si ! Le dessinateur de XIII, de Bob Morane, de Bruno Brazil et bien d’autres.

Cessons-là l’ironie pour revenir sur les faits. Lorsque Vance fait son entrée au Journal Tintin en 1962, il débute avec de courts récits historiques, comme c’était la coutume. Puis il lance une première série Howard Flynn avec Yves Duval en 1964, avant de se risquer au western réaliste l’année suivante, sur un scénario de Jacques Acar. Son héros Ringo est un convoyeur de fonds pour la Wells Fargo, la compagnie des diligences. Et dans ce far-west à la loi balbutiante, Ringo a fort à faire pour protéger les avoirs de son employeur.

Pas mal d’éléments caractérisent cette série. Tout d’abord sa relative longueur alors qu’elle ne compte finalement que peu d’histoires. Il s’écoule douze ans entre le début et la fin de la série, pour 170 planches au final. Pour ses autres séries, Vance est soit plus productif, soit lâche plus vite l’affaire. Qu’est-ce qui fait exception ici ? Sans doute l’attrait du western qui fascine encore et toujours les dessinateurs. Et ici, Vance y est constamment revenu, autant pour faire évoluer son style que se faire plaisir. C’est vraiment notable par la parution de cette intégrale, qui débute avec un style plus académique, proche du western à la John Ford, et qui se termine avec un dantesque épisode dans une tempête de neige, à mi-chemin entre Sergio Leone et un certain Tarantino qui n’arrivera pourtant que beaucoup plus tard.

La seconde caractéristique tient dans la succession de scénaristes : trois scénaristes se succèdent, André-Paul Duchâteau s’offrant même le luxe de signer une histoire sous son pseudonyme de Michel Vasseur. Cela démontre que Ringo était avant tout la série de Vance et qu’il demandait sans doute à des scénaristes de lui écrire une histoire sur base d’un canevas qu’il leur donnait, preuve de l’implication du dessinateur.

Enfin, troisième et dernière caractéristique, la série interrompue depuis plus de quarante-cinq n’avait jamais connu d’intégrale en un seul volume ! Et plus de rééditions depuis 1980, fait exception des deux volumes de Tout Vance publiés en 2004.

Mais alors, que reprend cette intégrale ? Tout le matériel narratif de deux volumes de Tout Vance, à savoir les récits au longs cours parus en albums, ainsi que le court récit La Ville de la peur publié dans la première édition Jeune Europe, mais retiré de la réédition de 1979. À tout cela se rajoutent deux autres courts récits parus dans les Tintin Sélection 6 et 7 (des formats de poche) qui ont été remontés et assemblés pour ne former qu’une seule histoire. Le tout est reproduit dans cette intégrale, avec les mêmes nouvelles couleurs opérées pour les Tout Vance en 2004.

Vous nous voyez venir : le regret de cette intégrale tient à l’absence de dossier. Il y a bien trois pages qui reprennent quelques couvertures, ce qui reste bien faible par rapport au matériel préalablement rassemblé dans les Tout Vance. Surtout qu’il a de splendides couvertures refaites à la fin des années 1970, l’âge d’or de Vance et qu’une seule a été reprise en couverture de ladite intégrale. Puis il y aurait eu beaucoup à dire sur l’importance de Ringo dans l’évolution graphique de l’auteur... Mais on va se rassurer en se disant que tout cela sera abordé par Patrick Gaumer dans sa future monographie.

Une partie du dossier de cette intégrale

Malgré ce regret manifeste, nous vous conseillons vraiment cette intégrale ! Pour trois raisons... Tout d’abord parce qu’il est presque impossible de dénicher le Tout Vance qui reprend les inédits par rapport aux précédents albums (comptez 125 € pour ce volume). Deuxio, car le format de l’intégrale est plus grande que les précédents, ce qui augmente l’immersion voulue par le dessinateur. Tertio, parce que l’éditeur a respecté le dernier montage de Vance qui a présenté les débuts de ses récits en cinémascope dans ses éditions de 1978 à 1980, à savoir des pages à fond noir avec une bande dans la seconde moitié où débute l’histoire. Cet effet de salle de cinéma est accentué par la succession des quatre pages pour chaque histoire, avec le générique qui suit, comme un long métrage. Reste à savoir pourquoi l’éditeur n’a pas laissé la dernière page à fond noir comme l’imaginait Vance ? Mystère, mystère...

Quoiqu’il en soit, tous les éléments sont réunis pour proposer un beau et dépaysant voyage au lecteur. Dès le premier récit de La Piste de Santa Fé, les paysages impressionnent, encore plus les scènes aqueuses où le talent particulier de Vance pointe déjà le bout de son nez. Puis, à partir de ce point de départ, le lecteur profite d’un voyage dans les progressions graphiques de Vance. L’auteur joue successivement sur les atmosphères, les scènes de nuit, les ombres sur les visages, les moyens de locomotions magnifiquement représentés dont la scène de la locomotive, puis les cases à bords perdus qui accentuent le dynamisme sans oublier quelques effets certainement empruntés à la publicité et qui vont servir plus couramment dans Bob Morane.

L’ouverture en cinémascope via les deux doubles-pages du dernier récit

Mais l’apogée reste Les Trois Salopards dans la neige : la poudreuse, le vent qui balaie les flocons, les regards, les ombres, etc. Vance est inspiré par Leone, et le restitue fabuleusement. Même ses héroïnes prennent de l’épaisseur : la fille d’un sénateur, Miss Betty, telle qu’il aurait pu la dessiner quelques années auparavant, laisse la place à Lupita, une femme de caractère qui en fait baver à notre héros. D’ailleurs, Vance se lasse de dessiner cette femme trop sage, pour lui préférer la neige, qui pose un terrible chape sur le dénouement. Par contre, il ne cesse d’approcher sa caméra de la méchante, car c’est finalement elle l’héroïne du récit.

En définitive, Ringo était sans doute un héros trop lisse pour perdurer. Bruce Hawker a pris le relais par la suite, mais il nous reste quelques épisodes épiques, dont ce monument qu’est Trois Salopards sous la neige. Sa lecture graphique vaut déjà à elle-seule l’achat de cette intégrale !

Jonathan : l’intégrale d’un seul album !

On casse parfois du sucre sur le dos des éditeurs, mais il faut reconnaître qu’ils n’ont pas toujours la vie facile. Prenons un exemple : Le Lombard veut valoriser une magnifique série qui est à son catalogue depuis des dizaines d’années, et propose de réaliser une série de recueils en grand format, chacun regroupant trois puis deux albums. Mais arrivé au tome 16, l’auteur indique qu’il clôture là la série. Alors l’éditeur regroupe les deux derniers tomes pour finir l’intégrale...

Jusqu’au moment où l’auteur annonce refaire finalement un ultime récit. Quand l’auteur en question s’appelle Cosey, que sa série Jonathan reste des plus emblématiques, on ne peut qu’applaudir. Mais que faire alors avec l’intégrale ? Laisse-t-on le dernier récit de côté, ou attend-on que le dernier recueil soit épuisé pour le rééditer avec trois albums à la place de deux ? Voilà des solutions qui n’auraient pas vraiment respecté le lecteur. Alors Le Lombard a tranché, en réalisant un dernier recueil composé d’une seule aventure, à savoir la fabuleuse La Piste de Yéshé qui méritait bien à elle seule cette édition en plus grand format.

Double-page extraite du dossier

Mais l’éditeur ne s’est pas arrêté là et a étoffé l’ensemble d’un solide dossier complémentaire de 40 pages, histoire d’apporter du contenu à l’intégrale. Difficile pour Cosey de se plier à nouveau au jeu de l’interview, il l’avait déjà copieusement réalisé pour le recueil précédent. Puis on avait déjà bien parlé de lui dans Une autobiographie imaginaire en BD parue en 2011 et dont le format vient s’intégrer à celui de cette intégrale.

Alors finalement le dossier de 40 pages est écrit par Nelly Rieuf-Bista, une française spécialiste dans le Tibet depuis 23 ans, où elle a créé un musée dédié à l’art et la culture monastique, ainsi qu’un atelier de restauratrices d’art ladakhies. Au début du dossier, elle parle de sa rencontre avec Cosey et surtout de la manière que possède l’auteur de retranscrire la vie dans ces contrées avec autant de justesse que d’émotion.

Extrait du dossier

La Tibétaine d’adoption évoque avec passion et minutie les croyances et la culture des habitants de la région : le fait de vivre avec les saisons, la vie dans les villages, la journée d’un moine, la philosophie, etc. Puis ses écrits très documentés profitent des photos et des dessins de Cosey, mettant en évidence son lien viscéral avec le Tibet, ce qui est d’ailleurs le cœur de ce dernier récit de Jonathan.

Notons encore cette très belle carte en double page qui retrace le périple de Jonathan, et par-delà, les différentes rencontres qu’il a pu vivre dans cette partie de l’Asie, et que l’on a vécu au gré des albums de la série. Un volume qui clôt avec brio l’une des plus belles et singulières séries de bandes dessinées européennes.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782808205153

Jonathan Le Lombard ✏️ William Vance ✏️ Cosey
 
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