Romans Graphiques

Joseph Kessel : le témoin indompté

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 1er septembre 2023                      Lien  
On pourrait paraphraser la célèbre citation de Napoléon : Quel roman que sa vie ! Le journaliste reporter de guerre, romancier, d’origine russe, né en Argentine, est devenu à la fin de sa vie membre de l’Académie française. Il aura vécu pour ainsi dire la vie du siècle : deux guerres mondiales, la Révolution russe, l’indépendance de l’Irlande, la création de l’Etat d’Israël… Tout cela au premier rang ! C’est la vie de ce témoin privilégié que raconte le biopic de Judith Cohen Solal, Jonathan Hayoun et Nicolas Otéro.

Ses parents, des Juifs russes, avaient tout fait pour combattre l’adversité. Nous sommes à l’époque des grands pogroms contre les Juifs de la « Zone de résidence » occupée par les Russes. Joseph Kessel naît en 1898 en Argentine. Pourquoi l’Argentine ? Parce que ses parents doivent au baron Maurice de Hirsch, le « Moïse des Amériques » qui organise l’exfiltration des Juifs russes vers le Nouveau Monde, la possibilité de faire des bonnes études (médecine) avant de se rendre en Argentine au chevet des « Gauchos judeos ». Mais comme pour plein d’autres juifs, cette terre s’avère elle-aussi assez inhospitalière et, après un retour en Russie en pleine révolution, c’est la France qui devient la terre d’accueil de la famille.

Il est écrit que le destin ne laissera jamais tranquille le jeune Joseph. Il a 16 ans quand la Première Guerre survient. Joueur et buveur, Joseph est envoyé sur le front presque au soulagement de son père Lazare. Le jeune homme est vaillant et gagne ses premiers galons estimé par un capitaine pourtant antisémite qui meurt sur le front. La mort sera sa vie durant une compagne de route : elle emporte dans un suicide son jeune frère Lola, la tuberculose a raison sa première femme, Sandy, qui meurt à 30 ans... Lui-même est attiré par tout ce qui flaire la mort : les bas-fonds et la pègre de Montmartre qui produit son célèbre roman Belle de jour, une mission à Vladivostok où il rencontre le seigneur de la guerre Grigori Semenov sur le Transsibérien dans une séquence qui n’a pas pu échapper à Hugo Pratt pour son Corto Maltese en Sibérie.

Joseph Kessel : le témoin indompté

Il y a en effet du Corto chez cet homme qui devient reporter de guerre et dont les papiers -qui le rendent immédiatement célèbres- racontent la Guerre d’indépendance de l’Irlande, notamment le sac de Balbiggan par les Britanniques ou encore la traite des esclaves en Afrique. L’antisémitisme est un marqueur de ce destin puisqu’il couvre le procès de l’anarchiste juif Samuel Schwartzbard acquitté pour l’assassinat de l’indépendantiste ukrainien Symon Petlioura considéré comme responsable de nombreux pogroms antijuifs lors de la guerre d’indépendance de l’Ukraine. Ce procès est à l’origine de la création de la LICA (devenue LICRA). Croisant Hitler à Berlin avant son accession au pouvoir, il couvre la Guerre d’Espagne, où il rencontre Hemingway.

En 1939, il obtient du Président du Conseil Paul Reynaud de se rendre dans le réduit de Dunkerque où près de 300 000 soldats britanniques, français et belges sont coincés par l’armée hitlérienne et seront sauvés sous les bombes par une armada improvisée de quelque 850 bateaux. Il entre aussitôt dans la Résistance et, se trouvant chez De Gaulle à Londres en 1943, il fait l’interview des principaux résistants en mission en France, matière première de son fameux ouvrage L’Armée des ombres destiné à donner corps à l’action clandestine de la France Libre. Avec son neveu Maurice Druon, il écrit « Le Chant des Partisans », l’hymne de la Résistance.

Journaliste-star dans l’après-guerre, il chronique le Procès de Nuremberg, puis celui de Pétain et reçoit le passeport N°1 du tout-nouvel Etat d’Israël. En voyage de noces au Kenya, il assiste à la répression des Mau-Mau par les Britanniques et, amoureux de ce pays, il rédige son roman le plus célèbre Le Lion. On lui doit aussi l’étonnante enquête, parmi des dizaines d’autres ouvrages passionnants, « Les Mains du miracle », sur Felix Kersten, le « Masseur de Himmler » qui aurait sauvé plusieurs dizaines de milliers de juifs (une BD en a été tirée publiée chez Glénat).

Il finit au fauteuil N°27 de l’Académie Française (aujourd’hui occupé par l’historien Pierre Nora), ironisant lors de sa réception de succéder à une noble lignée française, il s’exclame : « - Qui avez-vous désigné ? Un Russe de naissance, et juif de surcroît. Un juif d’Europe orientale... », se félicitant de ce que « De la sorte, messieurs, vous avez donné un nouvel et puissant appui à la foi obstinée et si belle de tous ceux qui, partout, tiennent leurs regards fixés sur les lumières de la France.  »

Plaisante évocation de ce témoin et écrivain majeur, joliment mis en images et en couleurs par Nicolas Otéro (Le Réseau Papillon, La Cellule, Jusqu’à Raqqa…)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN : 9782368465523

Joseph Kessel l’indomptable – Par Judith Cohen-Solal, Jonathan Hayoun et Nicolas Otéro. – Editions Steinkis

Steinkis ✏️ Nicolas Otero à partir de 13 ans Biopic Shoah France
 
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