Romans Graphiques

"Les Pistes invisibles" - Par Xavier Mussat – Albin Michel

Par Gaëlle BEDIS le 16 janvier 2024                      Lien  
Un magnifique ouvrage qui retrace l'échappée subite d'un homme de la société et son retrait dans une forêt sans que personne ne le repère. Magistral.

Lost in society

Les Pistes invisibles, ce sont celles qu’apprend à ne pas laisser le héros de l’histoire au début de sa fuite éperdue dans la nature, après ce qui ressemble à un burn out ou un craquage. Fatigué d’être entouré, de devoir se comporter en société, l’homme qui n’a pas de nom abandonne un jour toute sa vie pour courir la forêt et s’y perdre pendant 25 ans. Il apprend à ne pas laisser de traces lors de ses escapades dans les petits chalets secondaires qu’il visite de temps à autre pour récupérer de quoi assurer sa survie.

Après Carnation et Horst, Xavier Mussat revient avec ce récit d’un individu perdu dans la société moderne et qui décide un beau jour de s’en défaire sans rien avoir prémédité. Pour son personnage principal, l’auteur s’est librement inspiré de la vie et de l’expérience de Christopher Thomas Knight, surnommé "l’ermite de North Pond", un Américain qui aurait vécu pendant 27 ans au cœur des montagnes du Maine sans aucun contact humain, à quelques très rares exceptions près, entre 1986 et 2013, date de son arrestation. [1] Il a été reconnu coupable de plus de 1000 vols mais aucun des objets dérobés ne portait vraiment préjudice à ceux à qui il les avait pris.

"Les Pistes invisibles" - Par Xavier Mussat – Albin Michel
"Les pistes invisibles", extrait 1, par Xavier Mussat – Albin Michel
© Xavier Mussat

Le parcours de cet homme permet à Mussat de questionner et de mettre en perspective des concepts assez vastes comme la recherche de la solitude, l’inadaptation sociale ou encore le regard des autres. Son héros anonyme va réussir à passer inaperçu pendant plus de vingt ans alors qu’il se cache à proximité immédiate d’un camp de vacances et d’une zone de chalets secondaires régulièrement habités.

En démontrant qu’on peut vivre invisible en marge de la société mais sans pour autant vraiment se passer du confort qu’elle procure, le héros déconstruit le mythe de l’homme capable de survivre entièrement seul en pleine nature sans aide. La solitude devient alors une notion relative, le personnage principal se rendant rapidement compte de l’utopie que ce serait d’espérer s’éloigner suffisamment de toute civilisation. Il n’est pas pour autant misanthrope : il ne se sent juste pas en capacité mentale de vivre avec ses semblables. Il connaît aussi le prix à payer pour cette tranquillité : ne pas laisser de traces.

"Les pistes invisibles", extrait 2, par Xavier Mussat – Albin Michel
© Xavier Mussat

À l’heure des réseaux sociaux et de l’ultra-connectivité, où l’humain n’a jamais été autant relié au monde et pourtant seul devant son écran, et où les données personnelles sont nos pistes invisibles, ce discours a une résonance étrange, tout comme la fin proposée qui reflète aussi un changement des mentalités dans la société, peut-être plus confiante dans le monde d’avant la technologie.

"Les pistes invisibles", extrait 3, par Xavier Mussat – Albin Michel
© Xavier Mussat

Une dualité graphique et colorimétrique assumée.

Poursuivant une voie graphique minimaliste inaugurée en 2021 avec Horst, dans lequel il avait réuni ses dessins de concrétions terrestres, Xavier Mussat tente ici l’expérience de la couleur avec un choix osé de bleu et d’orange. Tout comme ces teintes froides et chaudes se complètent sur la palette chromatique, le trait de l’auteur s’équilibre entre dessin naturaliste et formes géométriques simples.

On voit un échantillon de cette dualité dès la couverture qui résume parfaitement toute l’expérience d’immersion qui attend le lecteur. En effet, le personnage au milieu ne se dévoile jamais et n’est jamais réellement incarné. Ce personnage, c’est à la fois nous et le héros anonyme de ce récit original. Nous vivons et voyons ce qu’il vit, ce qu’il voit. Nous sommes lui à travers ses yeux. Nous sommes donc l’autre tout comme l’autre est nous, ce qui boucle parfaitement le raisonnement de l’auteur et décuple la force de sa conclusion que nous vous invitons vivement à découvrir.

Couverture de "Les pistes invisibles", par Xavier Mussat – Albin Michel
© Xavier Mussat

Si cette approche est désarçonnante au début, elle permet de revisiter les codes de lecture de la bande dessinée et de les dynamiter en partie, de façon moins extrême toutefois que ne l’a fait Martin Panchaud avec La Couleur des choses, Fauve d’or 2023 du meilleur album au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême.

(par Gaëlle BEDIS)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782226462305

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