Je voyais d’avance ce que pouvait donner un pop up pour adultes avec des dessins de Binet, d’Edika, de Hugot, de Solé (Sr et Jr), de Mo CDM, etc. etc. etc.
Le best-seller de l’année.
J’avais une idée derrière la tête (mais parfaitement avouée) : si ça marchait, on lançait une collection de pop-up plus petits, avec chaque fois un scénar’ par un auteur de Fluide, illustré par un dessinateur de Fluide.
Le livre me prit un an. Exactement deux minutes pour écrire le scénario, le reste à réaliser la suite. Scénario : « Votre héros est chez lui. Un perturbateur survient, de préférence le facteur. » Mon livre le plus court de ma carrière. Au final, dans l’ordre alphabétique, se proposèrent Binet, le tandem Bouilhac-Raynal, Jean-Yves Ferri, Hugot, Julien CDM, Lamorthe, Mo CDM, Jeff Pourquié, Jean Solé et Tronchet. Vu le coût d’un tel ouvrage, 10 était le maxi possible.
Ferri fut chargé de la double couverture où il mélangea dessin et collage d’une marionnette réalisée en carton et ficelle, où le perturbateur était un groupe de flics enquêtant sur un meurtre. Solé montra Superdupont chassant un Antifrance intrusif avec des camemberts et une baguette de pain ; Binet dessina madame Bidochon au lit avec le facteur (dont la sacoche contenait de délicieux calendriers avec des minous), tandis que le mari était dans le placard ; Pourquié avait imaginé des Mormons qui, en sonnant, provoquaient un court-jus dans le robot en construction par un savant fou ; Hugot offrait à son Pépé Malin deux créatures qui déshabillaient à tour de rôle dans son fourgon Citroën, sans perturbateurs inopportuns ; Claire Bouilhac et Jake Raynal mettaient leur Melody Bondage en situation de changer de costume selon chaque type de perturbateur ; Lamorthe offrit un chef d’œuvre avec une infinité de gags dans tous les coins (dont comment faire disparaître le World trade Center) et le perturbateur King Kong enlevant la statue de la Liberté ; Mo CDM, plus près du scénario, expliquait que ce con de facteur ouvrait la porte au très mauvais moment vu le monstre créé par le savant idiot ; Tronchet mettait en scène un rendez-vous où Jean-Claude Tergal attendait au lit d’être perturbé par son Isabelle ; enfin Julien CDM montrait son Cosmik Roger, au bar, tripoteur de grosse mais accusant (devant le mari perturbateur) son copain galactique privé de main de l’avoir fait.
Fluide appartenant alors à Casterman, maison qui conçoit beaucoup de très beaux pop-up, un de ses ingénieurs dirigea la réalisation et le tout partit en Chine, dernier pays à savoir en faire techniquement. Cela partit par bateau (économie, économie !) et revint de même. Cela prit des mois mais la bête sortit.
L’éditeur y avait cru et en avait tiré dans les 8 000 directs (vu le voyage en Chine, fallait parier). Mais nous fûmes les seuls à y croire. Devant les ventes moins fortes que je n’avais espéré, je me renseignai auprès des copains libraires BD : « - Tu n’en as pas vendu, des Pop up Fluide ? » « - Quel pop up ? ». La plupart n’en avaient même pas entendu causer par les représentants ! Pourquoi ? Tous les libraires étaient a posteriori alléchés. Mais non, ce bouquin était « trop lourd » à emporter, « c’était pas un album », et de toute façon chez Caster, ils faisaient tous leur chiffre avec ‘’Tintin’’ (ils n’avaient pas de consigne par album !), ils n’allaient pas s’emmerder avec un truc pareil, qu’il fallait ouvrir, déplier, commenter… Ils ne l’emportaient même pas dans leurs tournées.
Croisant le chef des représentants dans les couloirs, je lui faisais remarquer « Alors, qu’est-ce que tu as encore inventé cette semaine pour ne pas vendre nos livres ? ». Il n’aimait pas trop me croiser. Mais dans les temps qui suivirent, plusieurs auteurs parmi les meilleurs quittèrent le navire pour des raisons semblables : j’ai les noms ! Et voilà comment on plante une idée d’enfer ! Quel gâchis !
Du coup, les ventes n’ayant pas atteint la moitié du tirage, Fluide décida de… pilonner le reste ! Vous avez bien lu. Relisez. Oui. Pilonner. Détruire. Le rendre introuvable. À jamais. Bien entendu sans prévenir les auteurs. Qui n’auraient jamais laissé faire une connerie pareille. Ne pas prévenir les auteurs qu’on va pilonner est un délit. Devant un tribunal, ça peut coûter très cher, surtout quand il y a 11 auteurs ! Nous ne l’avons pas fait. JE ne l’ai pas fait, parce que je suis trop gentil. Synonyme de trop con. Évidemment, Fluide n’a jamais fait la collection dont je rêvais. Mais nous aimions beaucoup ce journal. Mais cet amour était moins partagé que nous imaginions, comme l’avenir le prouva.
Il y a quelque temps, j’ai retrouvé un petit stock de ce ‘’Pop up’’. Dans mon atelier, quand quelqu’un entrait et le voyait, il était prêt à l’acheter à n’importe quel prix. Il ne m’en reste presque plus. Je crois que je vais les vendre au prix d’une planche du ‘’Marsupilami’’, y a pas de raison. Si j’avais été averti du naufrage, j’aurais acheté TOUT le tirage restant au prix du kilo de papier (c’est la loi). Aujourd’hui, avec un prix de revente marsupilamien, j’aurais gagné tellement de fric que j’aurais racheté le journal.
Ce qui lui aurait évité les déboires qui n’ont pas manqué de suivre. Mais c’est une autre histoire…
(par Yves FREMION)
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En médaillon : Yves Frémion - Photo : Sophie Vignault.
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