Interviews

Asaf et Tomer Hanuka : « Nous nous sommes séparés pour mieux nous retrouver »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 avril 2008                      Lien  
Les jumeaux Hanuka sont un phénomène. Asaf a fait ses études en France et habite aujourd’hui à Tel Aviv. Tomer a fait ses études à New York où il réside encore aujourd’hui. Actes Sud vient les publier tous les deux, dans une sortie jumelée. Rencontre.
Asaf et Tomer Hanuka : « Nous nous sommes séparés pour mieux nous retrouver »
"Pizerria Kamikaze" par Asaf Hanuka d’après Etgar Keret
Editions Acte Sud

Asaf a publié plusieurs albums en France : La remarquable série des Cassidy avec Martin et Kness et deux albums qui ont fait date avec Didier Daeninkcx au scénario : Carton jaune et Hors limites, le tout chez Emmanuel Proust éditeur. Il vient aussi de faire paraître chez Actes Sud Pizzeria Kamikaze sur un scénario de l’un des romanciers israéliens les plus en vue, un ami de longue date avec lequel ils ont fondé un magazine : Etgar Keret. L’album est tiré de sa nouvelle La Colo de Kneller qui a fait l’objet d’une adaptation au cinéma qui devrait sortir en France cette année. Tomer quant à lui publie son premier livre en France également chez Actes Sud : Placebo Man, un livre composé de courtes nouvelles qu’il signe seul.

"Placebo Man" de Tomer Hanuka
Editions Actes Sud

Vous êtes jumeaux. Tomer, vous habitez New-York et vous, Asaf, vous avez habité successivement la France et Israël. Vous vous êtes partagés le monde ou quoi ?

(Ils répondent ensemble) La réponse courte est : oui (rires). Dans une réponse un peu plus longue, on vous expliquera que nous avons grandi très près l’un de l’autre, vivant, dormant et dessinant dans la même pièce. Pendant des années, nous avons lu les mêmes bandes dessinées, nous avions les mêmes amis, parfois les mêmes vêtements. Au moment de l’adolescence nous avons ressenti le besoin de former nos identités propres. C’est pourquoi nous avons recherché, de façon peut-être plus rigoriste que le commun des mortels, ce qui nous définissait. Asaf était plus attiré par les fabuleux albums de la production française ; Tomer vibrait mieux en regardant les expérimentations déconstructivistes des caricaturistes new-yorkais. Ainsi pouvions-nous « splitter » en suivant chacun nos aspirations personnelles, non sans garder dans notre esprit l’idée de continuer à travailler ensemble. Notre séparation a d’ailleurs favorisé cette collaboration. On peut ainsi dire que nous nous sommes séparés pour mieux nous retrouver.

"Pizzeria Kamikaze" de Asaf Hanuka
Editions Actes Sud

Suivant vos expériences respectives, quelles sont les différences entre les marchés européens et américains ? Quel conseil donneriez-vous à un jeune artiste : publier aux États-Unis ou en Europe ?

Tomer : Il y a en ce moment aux États-Unis une floraison de romans graphiques. J’ai lu que, l’année dernière, on en avait publié pas moins de 500 ! Cela modifie profondément la manière de concevoir la BD ici car la plupart de ces titres ressortent du domaine pamphlétaire. Mais cela a ouvert l’esprit de bon nombre d’éditeurs de littérature qui envisagent désormais la BD plus sérieusement, tandis que le nombre de nouveaux acteurs sur le marché du livre s’accroît de façon exponentielle.

Une illustration de Tomer Hanuka
(C) Tomer Hanuka

Asaf : En France, le marché semble complètement consacré à ce genre de publications, sous la forme d’albums. Les thèmes en sont moins limités qu’aux States : Heroic Fantasy, Science Fiction, tranches de vie, récits historiques… Tout est possible. Contrairement aux créateurs américains condamnés soit à produire du super-héros, soit à éditer ses bandes dessinées en dehors des grands circuits commerciaux, le créateur européen a le loisir de passer plus de temps sur une page et de choisir le thème qu’il veut traiter. Les ouvrages sont aussi plus valorisants grâce à une publication en grand format avec une couverture cartonnée. Autre différence : La bande dessinée francophone a réussi à échapper au marché étroit des adolescents fanatiques consommateurs de BD pour s’ouvrir à un public plus adulte. Elle s’est faite une place respectable à côté de la littérature et du cinéma. Elle est considérée comme une forme d’art à part entière. Si nous avions une recommandation à faire à un artiste, c’est d’essayer de trouver dans ces différents marchés quelle est la meilleure option qui lui convient.

Une illustration de Asaf Hanuka
(C) Asaf Hanuka

L’Américain Paul Pope ou le Français Olivier Coipel travaillent directement, l’un pour le marché français, l’autre pour le marché américain. Croyez-vous que cette approche « mondialiste » est désormais une nécessité pour un créateur de notre époque ?

Tomer : Il faut une bonne histoire avant tout. Si un auteur publie un livre dont les qualités sont universelles, il n’y a aucune raison que le projet ne se fasse pas, dans quelque langue que ce soit. Les particularismes locaux, les « styles » s’effacent dès lors que s’impose une bonne histoire.

Asaf  : Le monde est plus accessible qu’avant. C’est dû essentiellement aux avancées de la technologie mais aussi à une certaine fatigue des créateurs face aux nationalismes. Dans le « village global » dans lequel nous vivons aujourd’hui, seul l’art importe.

Tomer, vous avez jusqu’à présent mené un magnifique parcours d’illustrateur aux States dans un style très différent de celui de vos bandes dessinées. N’avez-vous jamais essayé d’appliquer cette méthode de travail à vos BD ?

Oui. Ma dernière histoire, je l’ai faite pour une recueil intitulé Meathaus SOS. C’est une histoire en 10 pages que Asaf a dessinée et que j’ai encrée et mise en couleurs. J’y ai appliqué ce que j’ai appris des illustrations que j’ai faites ces dernières années, que ce soit en terme de texture, de conception de couleur ou de lumière. Vous pouvez en voir un exemple ci-dessous.

"Meathaus SOS", une collaboration commune entre Asaf et Tomer Hanuka
(C) Assaf et Tomer Hanuka

Asaf, vos bandes dessinées ont été saluées en France par la critique et ont plutôt bien marché. Cela ne vous a jamais tenté de marcher dans les pas de votre frère aux États-Unis ?

Ah, mais, je l’ai fait ! Nous sommes représentés par le même agent à New York et j’ai réalisé de nombreux travaux pour des magazines américains. Je continue d’ailleurs à le faire. Mais la bande dessinée est ce qui est cher à mon cœur et où je préfère expérimenter et réaliser un travail personnel.

"Placebo Man" de Tomer Hanuka
Editions Actes Sud

Les dessinateurs israéliens ont la cote en France en ce moment. Rutu Modan a été récompensée par le dernier Prix France Info et par un Essentiel à Angoulême pour Exit Wounds (Actes Sud). Uri Fink sera publié en France bientôt… Y a-t-il une spécificité israélienne en matière de bande dessinée ? Quelle est la situation de la bande dessinée en Israël ?

Tomer : Difficile de dire s’il y a une « esthétique israélienne ». Les cas que vous citez, par exemple, sont très différents les uns des autres. Peut-être ont-il en commun un certain cynisme, même si ce mot dépasse ma pensée, en raison de sa charge négative. Disons qu’il y a un certain pragmatisme dans la façon d’aborder la réalité.

Asaf : La bande dessinée en Israël est florissante, même si elle est encore en train de chercher son public. On a l’impression que cette génération est en train d’accomplir cette « révolution », celle d’en faire un mode d’expression « acceptable ».

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Didier Pasamonik.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD