S’il fallait établir un classement des festivals de bande dessinée les plus agréables, nul doute que les chiffres de visiteurs n’entreraient pas beaucoup en ligne de compte. Et celui d’Aubenas, intitulé « Carrefour européen du 9ème art et de l’image », nous verrons plus loin pourquoi, aurait de fortes chances d’être bien placé. Il utilise pour cela des recettes bien connues. D’abord, un lieu très accueillant. Le chef-lieu de canton de l’Ardèche, jolie petite ville au patrimoine fourni, est une destination de vacances prisée. Niché au cœur d’un département de petite montagne, à deux pas des gorges de l’Ardèche, il dispose dans un rayon de quelques kilomètres d’attraits touristiques de premier ordre. Quant au choix du dernier week-end de mai, il assure presque à coup sûr un chaud soleil et une ambiance de farniente qu’on retrouverait difficilement, disons, fin janvier.
Certains se démarquent par une programmation décalée et misent sur l’alternatif. Aubenas assume son côté franco-belge classique (non, ce ne sont pas des gros mots) avec un goût assez prononcé pour le haut de gamme. L’ombre de Claude Moliterni, qui a donné son impulsion au festival, et de son épais carnet d’adresse, plane encore sur la cité ardéchoise. La liste des précédents invités laisse rêveur (François Boucq, Philippe Druillet, Pierre Christin, André Juillard, Raoul Cauvin, Christian Lax, Jean-Claude Mézières, Jacques Tardi, Jean Van Hamme,…) et montre que le rendez-vous mérite d’être noté dans les agendas des amateurs de BD. Laurent Turpin et Gilles Ratier ont pris le relais de leur ami disparu et continuent de porter le flambeau. Cette année, c’est Jean-Claude Fournier qui eut les honneurs du festival. Et avec lui toute une région riche en auteurs majeurs.
L’auteur de neuf aventures de Spirou et Fantasio met d’ailleurs en lumière d’autres ingrédients de l’alchimie d’Aubenas : la proximité et la bonne humeur des artistes. La verve du créateur de Bizu entrait en action dès le vernissage pour ne plus retomber du week-end. Verve communicative puisque le maire d’Aubenas décora le « grand frère » des dessinateurs bretons du titre de Miss BD 2012. Une écharpe tricolore qui fit bien rire ce grand libertaire et tous ses « compatriotes » présents, Alain Goutal, Michel Plessix et Bruno Le Floc’h en tête.
Pour ne pas faire les choses à moitié, Fournier était venu avec dans ses bagages le Bagad de Saint-Brieuc pour offrir aux oreilles des Ardéchois un morceau de Bretagne. Les deux aubades que le groupe musical interpréta pendant le week-end étaient particulièrement réussies. Ne manquait plus que le cri des mouettes pour être transporté sur le port briochin. Pris par l’ambiance, Fournier, qui joue de la cornemuse depuis 60 ans, donna de sa personne en interprétant à l’impromptu une composition sur la place du château.
(c) Thierry Lemaire
(c) Thierry Lemaire
Comme si les Bretons ne suffisaient pas, un contingent de Belges, naturels ou d’adoption (le carrefour est donc bien européen), augmentait considérablement le volume des blagues vaseuses mais irrésistibles et la consommation de bière des bars de la ville. François Walthéry, Dan Verlinden, Stedo, Philippe Bercovici s’en donnaient à cœur joie pour jouer les gais lurons. Du côté godelureaux, l’équipe Bamboo menée par Philippe Larbier, Erroc et Michel Janvier ne laissait à personne le soin d’ajouter quelques salves d’éclats de rire dans la grande salle dédiée aux dédicaces. Vous l’aurez compris, l’humour bon enfant avait pris ses quartiers de printemps à Aubenas.
Ceux qui voulaient aller plus loin dans la découverte de la bande dessinée n’étaient pas pour autant oubliés. Deux expositions préparées par Pierre Marie Jamet ponctuaient en effet le week-end. La première concernait la carrière de Jean-Claude Fournier, de Bizu aux Chevaux du vent, en passant par Spirou et Les Crannibales. La seconde portait sur le travail de François Bourgeon autour des Passagers du vent. Les auteurs bretons, encore et toujours. D’ailleurs une conférence intitulée "Bretagne, terre de BD" dont les intervenants étaient Fournier, Goutal et Le Floc’h, achevait de manière captivante d’explorer le sujet. L’autre conférence programmée n’était pas moins intéressante, puisqu’elle présentait le travail de Guillaume Ivernel, dessinateur et coréalisateur du long métrage d’animation Chasseurs de dragons (voila donc le carrefour de l’image). Avec un focus sur son prochain projet animé, le film Soulman, un mélange de Blade Runner, Ghost in the Shell et des films de la Blaxploitation.
Small is beautiful ? Pourquoi pas. Aubenas, petit festival aux moyens limités laissera en tout cas une belle trace dans les mémoires des participants et du public. L’équation est donc plutôt réussie. En attendant la prochaine édition qui verra peut-être François Walthéry célébré.
(par Thierry Lemaire)
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