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Cent pièces d’exception pour la vente Christie’s

Par Charles-Louis Detournay le 9 novembre 2020                      Lien  
Confinement oblige, la vente annuelle de Christie's consacrée à la bande dessinée se déroule uniquement de manière digitale, ce qui ne retire rien à l'impressionnant échantillon présenté dans un catalogue réduit par rapport à l'année dernière.

Ainsi que nous l’avions déjà évoqué, Daniel Maghen et Christie’s ont interrompu leur collaboration fin 2018, la galerie parisienne ayant décidé de faire cavalier seul. La fameuse maison de vente de l’avenue Matignon a alors choisi le tandem des experts Alain Huberty et Marc Breyne pour prendre le relais et continuer de faire vivre la bande dessinée dans l’institution. Une collaboration qui avait débuté le 20 novembre 2019, avec un chiffre de vente total de près de 3 millions d’euros, et une demi-douzaine de records battus pour certains artistes.

Restait à savoir comment allait s’organiser la seconde vente Christie’s avec les mêmes experts. Avec quel catalogue ? Et quelle adaptation au confinement suite aux mesures qui se sont abattues sur les salles de vente, tant à Paris qu’à Bruxelles ?

Cent pièces d'exception pour la vente Christie's

Une vente uniquement digitale

En dépit de ce que l’on aurait pu croire, le confinement n’a pas vraiment eu d’impact sur la vente. Principalement, parce que les lots ont été exposés avant que les mesures ne se renforcent (9-10 octobre à Bruxelles, et 16-17 octobre à Paris).

Par ailleurs, Christie’s et ses experts avaient déjà l’expérience d’une enchère en ligne, ainsi que nous l’expliquait Alain Huberty en juin dernier, pour la vente Tessier-Sarou : « Nous avions programmé avec Christie’s une vente au mois d’octobre. Mais je les ai eus au téléphone au début du déconfinement pour leur expliquer qu’avec l’arrêt des activités pendant la crise, il nous était impossible d’organiser cela en trois mois. Avec l’engouement constaté pour les ventes en ligne comme je vous le rapportais, nous avons alors pris la décision de ne pas réaliser de vente publique, mais bien uniquement une vacation numérique pour éviter de ne rien avoir en 2020. En effet, le CEO de Christie’s m’a expliqué qu’ils avaient également opéré des ventes online pendant la crise, qui avaient elles aussi connu un boum, au point de dépasser les montants habituels pour des ventes du même type au marteau ! »

Alain Huberty
Photo : Charles-Louis Detournay.

« Notre prochaine vente avec Christie’s sera donc uniquement digitale et se déroulera un mois plus tard en novembre, le temps de rassembler les lots. Je n’ai pas d’inquiétude de ce côté-là, car dès la fin du confinement, des collectionneurs m’ont eux-mêmes contacté pour me demander quand les ventes allaient reprendre et proposer des pièces (un dessin d’Hergé, une planche de Giraud, etc.). Je pense donc que le marché est prêt pour la reprise, voire même demandeur. Quant au futur, on verra dans quelle direction nous irons. Il est possible qu’on maintienne des criées pour les ventes d’hyper-prestiges, mais rien n’empêche de rester au tout numérique pour les autres ventes Christie’s. »

Tout cela s’est donc concrétisé comme annoncé, avec des lots ouverts aux enchères dès le 27 octobre, et qui trouveront leurs acquéreurs finaux ce jeudi 12 novembre. Il est donc encore temps de faire de bonnes affaires, surtout que le catalogue est cette fois aussi diversifié que prestigieux.

L’hommage de Manara à Wonder Woman
Adjugé après vente à 22.000 € (prix marteau).

Un catalogue concentré

L’autre caractéristique notable de cette seconde vacation Christie’s touche à la densité du catalogue de vente. Poussé sans doute par la comparaison avec la vacation Maghen qui se déroulait à la même période, la vente Chritie’s de 2019 rassemblait pas moins de 319 lots, un catalogue important à gérer, tant pour la maison de vente que pour les amateurs.

Changement donc de stratégie pour 2020, avec « seulement » 109 lots proposés cette fois-ci à l’œil attentif des collectionneurs ! Une dimension qui n’est pas sans rappeler la formule « 101 pièces d’exception » telle qu’Huberty & Breyne intitulaient leurs précédentes opérations, que cela soit avec Millon ou seuls aux commandes. De fait, mieux vaut mettre l’accent sur la qualité plutôt que sur la quantité.

Une magnifique composition de Moebius

De la bande dessinée à l’illustration

Ce qui marque avant tout cette vente, c’est la grande diversité des lots proposés. On passe ainsi, par exemple, d’une planche de Calvo datant de 1943 à une superbe illustration de Chabouté réalisée en 2020, d’une planche de Cuvelier réalisée pour Epoxy en 1968 à David B. et L’Ascension du Haut-mal, de Bob de Moor et L’Énigmatique Monsieur Barelli en 1956 à une couverture de Liberatore datant de 1988.

La couverture de "Sergent Kirk" par Hugo Pratt

La bande dessinée n’est pas la seule mise à l’honneur puisque l’on retrouve des peintures et des illustrations d’artistes comme François Avril, Luis Royo, Romulo Royo ou Philippe Geluck (qui avait atteint un nouveau record lors de la précédente vacation). Mais le 9e art reste majoritaire et, avec ce catalogue volontairement condensé, chaque pièce ressort du lot, chacun valant article pour ainsi dire : le poster de De Gieter pour le Journal Spirou rassemblant tous les points forts de sa série Papyrus, la couverture de René Follet pour l’album Le Jeune Capitaine réunissant les planches des deux premières aventures de Barbe-Rouge qui avaient été écartées par Dargaud vingt ans plus tôt, la quatrième couverture du magazine Fluide Glacial célébrant le grand talent d’Alexis avant qu’il ne disparaisse prématurément quelques mois plus tard… On peut commenter ainsi toute la liste.

La magnifique première planche du "Cadeau de César"
Uderzo - Goscinny

Le défilé des grands maîtres

La couv’ de Frank Miller

Les "grands noms" de la BD figurent évidemment en bonne place : Bilal avec deux planches et une couverture, Boucq avec la couverture du premier Bouncer, Cuvelier, Jean-Claude Forest , Paul Gillon, Jean Giraud avec trois planches dont la splendide scène de la fusillade dans le bar du Cheval de fer, Gotlib, Graton et trois œuvres d’Yslaire dont les pages de garde de Bidouille et Violette, quatre planches de Jijé dont une muséale illustration de la Horde sauvage alors qu’il assistait au tournage de Mon Nom est personne, une couverture et une planche de Willy Lambil ainsi que les fameuses pages de garde des Tuniques bleues, Loisel, Macherot, Manara avec deux planches du Déclic et une superbe couverture de Wonder Woman, une couverture de Jacques Martin et une splendide planche des Légions perdues, une incroyable couverture de Batman par Frank Miller, trois pages successives de MiTacq, pas moins de cinq œuvres de Moebius, une très belle illustration de Morris, une superbe couverture d’Hugo Pratt où il s’illustre en mélangeant les techniques, sept œuvres de Tardi dont les fameuses pages de garde d’Adèle Blanc-Sec, Gil Jourdan par Tillieux bien entendu, mais surtout une incroyable planche avec une vue de Rome signée par Uderzo ainsi qu’une couverture d’Astérix, quatre planches de Vandersteen et une planche mythique de Tif et Tondu ainsi qu’une superbe couverture, toutes signées Will.

Les pages de garde des "Tuniques bleues"

Si l’on devait encore adresser un coup de cœur pour une pièce exceptionnelle, ce serait certainement pour cet ensemble de trois dessins réalisés par Tardi pour la sortie de 120, rue de la gare qui rassemblent tous les éléments principaux de l’intrigue au sein d’un triptyque habilement agencé : Nestor Burma dans son manteau noir, la mystérieuse tueuse de Lyon- Perrache, l’inspecteur Faroux, le lion de Belfort de la place Denfert-Rochereau, la Traction-avant, la funeste maison du 120, l’équivoque Maître Montbrison, les silhouettes sombres de Paris sous le couvre-feu et l’évocation des rêves surréalistes typiques de Léo Malet. Une magnifique composition réalisée pour trois affiches destinées pour le métro parisien en 1988 et qui sacre l’une des meilleures adaptations d’un roman en bande dessinée.

Le triptyque de Tardi

Autre pièce mémorable, cette superbe planche de La Fièvre d’Urbicande, le plus célèbre des albums des Cités obscures, dont l’édition définitive en couleurs sort ces jours-ci.

La planche de La Fièvre d’Urbicande

Unique planche muette de l’album, il s’agit surtout d’une des rares exemplaires de la série à être sur le marché, l’auteur ayant conservé puis donné l’ensemble de ses originaux à des fondations afin que ses albums puissent être imprimés dans le futur dans le plus grand respect de son travail.

Hergé bien sûr

Si la vacation ne comporte pas d’œuvres signées Franquin cette fois-ci, Hergé est par contre la star incontestée de celle-ci, avec six lots, tous très différents ! Sont ainsi proposés à la vente une planche crayonnée à la mine de plomb de Tintin au Tibet différente de la version finale, deux cases du Temple du Soleil, un dessin publicitaire et surtout cet incroyable album d’On a marché sur la Lune, signé par un astronaute de chacune des sept missions lunaires habitées !

L’album dédicacé par Hergé et les astronautes ayant participié à la conquête de la Lune.

Le clou de la vente reste néanmoins cette muséale planche du Sceptre d’Ottokar ! On se rappelle qu’une planche du même album avait déjà été au cœur de la vacation précédente, adjugée à 394.000 € alors qu’elle était estimée à 280-300.000€. Celle-ci la surpasse pourtant en qualité : dans un décor montagneux et austère, Hergé guide le regard du lecteur pour qu’il ne perde pas une miette de cette intense course-poursuite. La surprise, la tension puis la libération se lisent pratiquement sur le regard du conspirateur, tandis que l’on comprend que Tintin ne pourra pas le rattraper avant la frontière.

La planche du "Sceptre d’Ottokar"
© Hergé - Moulinsart, 2020.

On attend les résultats avec impatience.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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