Dès la première page, Thierry Murat pose le contexte de la collaboration et de la naissance de cet ouvrage, co-construit avec Miguel Benasayag. Après avoir résisté à la dictature militaire en Argentine, ce philosophe questionne aujourd’hui la virtualisation accrue de l’existence humaine et propose à travers ses écrits une résistance plus globale à ce phénomène qu’il considère comme dangereux. Les débuts de leur collaboration se heurtent d’ailleurs à des soucis de communication virtuelle, clin d’œil ironique au sujet abordé.
Essai augmenté, lectorat informé.
Autant le dire tout de suite : le format et le contenu de cet essai graphique sont denses. Très denses. Il faut rester concentré pour ne pas se perdre dans le fil de certaines réflexions très poussées et une seconde lecture peut s’avérer nécessaire pour pleinement comprendre la totalité du propos.
Heureusement, les auteurs ont apporté quelques coupures bienvenues dans le rythme de lecture avec notamment les pastilles humoristiques "Les aventures de Thierry et Miguel" et quelques pages de publicités elles-mêmes bourrées de références amenant à réfléchir. Celle sur la dopamine algorithmée est particulièrement éloquente.
Le tout est divisé en sections chronologiques datées, au fur et à mesure que le dessinateur progresse dans sa lecture et sa représentation des idées à mettre en avant.
Un graphisme engagé et parfaitement adapté
Mais le véritable tour de force de cet ouvrage réside dans l’adéquation parfaite entre le trait atypique de Thierry Murat et les propos assez alarmistes tenus dans cet ouvrage.
Les couleurs choisies se déclinent dans un camaïeu de gris et noir, couleurs de l’inconnu, de l’anonymat, du deuil et... du cerveau. Or, il est bien question ici de l’humain rendu anonyme par une technologie virtuelle qui veut lui faire faire le deuil de sa singularité et qui fonce tête baissée dans un monde qu’il ne maîtrise pas et ne lui apporte rien en échange. Ces couleurs sont aussi celles de la plupart des appareils électroniques permettant d’accéder au monde virtuel dénoncé ici.
Les touches de blanc viennent littéralement éclairer la pensée développée, cette couleur étant réservée aux phylactères de texte et à quelques sources lumineuses éparses dans les dessins (la Lune, une ampoule, les diodes, les étoiles...).
Thierry, Miguel et leur éditeur, seuls personnages réels et humains de l’ouvrage, sont représentés en ombres chinoises, profils noirs sur fonds gris, comme les dernières traces en creux de l’homme normal.
Cerveaux augmentés (humanité diminuée ?) est donc un essai graphique de vulgarisation ambitieux, porteur de nombreux sens de lecture possibles dépendants du lectorat et qui remet au centre de la réflexion ce qu’est vraiment le cerveau humain : un organe éminemment complexe qui fonctionne en symbiose avec le reste du corps, et non pas un simple espace de stockage qui pourrait survivre seul.
(par Gaëlle BEDIS)
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