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"Initial_A", la mésaventure pas très virtuelle de Thierry Murat [INTERVIEW]

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 juin 2023                      Lien  
Qui craint l’Intelligence artificielle (IA) ? Tout le monde, à commencer, semble-t-il, ceux-là même qui ont enfanté l’algorithme qui l’a rendue possible. Évidemment que le domaine de la bande dessinée n’échappe pas à cette interrogation contemporaine. Nous n’avons pas manqué, sur ActuaBD.com, de raconter l’arrivée de l’IA dans nos métiers, de s'en moquer même. Mais aujourd’hui, cela ne plaisante plus. Thierry Murat, un auteur reconnu, publiant depuis plus de vingt ans, qui avait entrepris de faire une vraie bande dessinée d’auteur avec ce nouvel outil, avait signé son projet avec un grand éditeur de la place. Un ouvrage dont le sujet était précisément de porter un regard critique sur l’algorithmisation du monde. Alors qu’il avait reçu un à-valoir conséquent, que le projet en était à la phase finale travaillée en concertation avec l’éditeur, il apprend que le livre est annulé. Il semble que des pressions venues de collègues créateurs soient à l’origine de ce renoncement. Choqué mais pas pour autant anéanti, l’auteur a décidé de lancer un Ulule pour publier cet ouvrage que d’aucuns avaient tenté d’effacer. Rencontre avec son auteur.

Comment vous est venue l’idée de ce livre qui semble un prolongement de votre ouvrage « Cerveaux augmentés  » que vous avez coréalisé avec Miguel Benasayag ?

Oui, effectivement, c’est la suite logique. Mais c’est un sujet qui me préoccupe depuis bien plus longtemps. Cela pourrait se dater au moment où j’ai pris conscience de la nocivité des réseaux sociaux et décidé de m’en déconnecter aux alentours de 2019. C’est aussi pour cette raison que j’ai proposé ce titre « Cerveaux augmentés (humanité diminuée ?) » pour la nouvelle collection bd/sciences humaines créée par les éditions Delcourt et La Découverte. C’est un essai graphique dans lequel Miguel Benasayag et moi-même proposons un diagnostic de la virtualisation de l’humanité dans cette civilisation numérisée à outrance qui oublie trop souvent d’articuler la puissance de la technologie avec le respect du vivant. C’est une sorte d’entretien dessiné entre nous, que j’ai mis en scène sur 180 planches de bande dessinée.

"Initial_A", la mésaventure pas très virtuelle de Thierry Murat [INTERVIEW]
Le précédent ouvrage de Thierry Murat

En ce qui concerne mon nouveau roman graphique, « initial_A. », la dimension critique de la numérisation du monde est effectivement toujours la même, mais la problématique narrative est différente. C’est un récit de science-fiction poétique. Une sorte de « conte philosophique » que j’avais écrit en 2020, mais que j’ai retravaillé plus sérieusement en 2022 après ma rencontre avec Miguel Benasayag. Miguel m’a offert tellement de pistes de réflexions philosophiques, lors de notre collaboration qu’inévitablement mon travail en solo sur le livre d’après s’en est trouvé enrichi.

Cette fable, « initial_A. », aborde l’idée qu’une civilisation en bout de course, trop algorithmée, peut être aussi une civilisation à réinventer qui peut se reconstruire par la fiction, par le Récit. Au fil de ma bibliographie, depuis 20 ans, je n’avais jamais exploré la science-fiction frontalement. Seulement une tentative de récit d’anticipation, dans « Ne reste que l’aube » (Futuropolis, 2021), l’histoire d’un peintre immortel dans son loft-atelier, vivant isolé tel un dandy, avec pour seule compagnie sa gouvernante qui n’est autre qu’une IA. Tout cela dans un contexte de fin de 21e siècle dirigé par un réseau social dominant, une dictature participative...

Je n’avais donc jamais imaginé de scénario radicalement SF, à proprement parler. L’envie était pourtant là depuis très longtemps, certainement depuis mon adolescence… Alors, avoir 55 ans en 2020 m’a sûrement fait prendre conscience de l’urgence d’écrire là-dessus. Sur la numérisation du monde, sur l’algorithmisation des cerveaux, l’ultraconnexion permanente et délétère qui accélère notre chute vers un effondrement.

Je ne suis absolument pas collapsologue, je suis simplement auteur. Ce n’est qu’un scénario. C’est de la fiction… Depuis une dizaine d’années, j’écris les histoires que je dessine et je dessine les histoires que j’écris. Une demi-douzaine de bouquins chez Futuropolis, notamment. J’y mets mes peurs autant que mes espoirs, en évitant d’exprimer des certitudes… Ne pas donner de leçon… Jamais. C’est ma façon à moi de raconter le monde.

L’Intelligence Artificielle et son impact sur le monde à venir est le sujet de l’album. Mais vous le traitez sous un angle particulier…

Un des sujets principaux d’« initial_A. » est l’algorithmisation du monde et de l’humanité.

Dans cette histoire, l’hybridation homme/machine est arrivée à son terme… et pose le problème de « qu’est-ce qu’être humain ? ». Où est la frontière ? La question est posée dans le récit, mais je ne donne pas de réponse. Je ne suis ni prophète ni idéologue. Ce qui est sûr, c’est que j’espère pour les générations futures une hybridation, hélas inévitable, dans laquelle la vie et la culture pourront coloniser la technologie et non l’inverse. Et non pas comme cela se produit aujourd’hui, de manière binaire, dans un principe de soumission à sens unique, sans contrepartie.

Un univers chimérique. Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out
Vers une "glaciation cognitive ?" Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out

C’est très violent. La civilisation du tout numérique est une dictature insidieuse. Il est certes possible de renverser les dictatures. L’histoire nous l’a montré. Mais là… c’est un monstre globalisé, omnipotent, qui est difficile à combattre, et impossible de terrasser. On ne peut que le coloniser avant qu’il nous colonise totalement. C’est la seule issue à mon sens. Et cela passera par une utilisation raisonnée de la machinerie algorithmique par les humains. Et non l’inverse. Le déni et les interdictions ne me semblent pas être les meilleures méthodes.

Dans « initial_A. », je parle surtout de l’utilisation que feront les humains de l’intelligence artificielle. Ou plutôt, de ce qu’ils en ont fait, puisque dans ce récit de SF il semblerait que nous soyons projetés dans un futur vaguement indéterminé, sur une planète étrangement familière… où la voix off nous parle d’un monde au passé. Est-il détruit, ce monde ? Est-il à reconstruire ? Est-il à raconter autrement ? Le récit s’articule donc autour d’une succession mystérieuse de flash-back dystopiques, insérés dans un « ici et maintenant » qui à tout d’une fable aux frontières de la réalité.

Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out

On lit çà et là des choses très alarmistes au sujet de l’IA . Sam Altman, le créateur d’Open AI et de ChatGPT parle, pour l’humanité, d’une « menace d’extinction ». C’est votre ressenti ?

J’ai le sentiment que Sam Altman nous fait le syndrome de Victor Frankenstein : « - Oh mon dieu, j’ai créé un monstre ! Stop on arrête tout ! » Et au même moment les actions de Nvidia (le plus gros producteur de microprocesseurs dédiés à la technologie de l’IA) prennent 30% à la hausse.

Je ne sais pas où est la cohérence cynique de tout cela. Quel est l’intérêt de la démarche paradoxale d’un tel discours ?... Si vous me demandez mon ressenti, je serais plutôt du côté des paléontologues qui regardent les inventions de l’histoire humaine se succéder les unes derrière les autres. Sans diaboliser le brave Prométhée qui a volé le feu à Zeus…

Mais là… c’est peut-être différent parce que l’on touche à la narration. Comment l’humanité se raconte… ou plutôt comment les machines vont raconter l’humanité à sa place… C’est un bouleversement anthropologique majeur. C’est un débat qu’il faut ouvrir urgemment, sans faire l’autruche... De là à parler d’extinction, je ne sais pas… Il est certainement question de la fin de quelque chose… De quelque chose d’important. Mais pas la fin de l’humanité, d’après moi.

On parle ici d’IA générative d’images, mais il y a aussi les algorithmes utilisés dans la finance, dans le trading, dans les cabinets de conseils, dans la reconnaissance faciale, dans la surveillance civile ou dans l’armée, sur des robots tueurs... Sans oublier les smartphones contaminés par les algorithmes de Tik Tok, en particulier, qui bousillent gravement la relation que les ados entretiennent désormais avec leurs semblables. La numérisation de leur réel est en train de modifier leur être-au-monde, et ça ne semble pas faire partie des inquiétudes et des priorités collectives. Bref, le sujet est vaste…

Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out

Quand on lit votre album, on a l’impression que ce qui fait la substance de l’humanité, c’est la narration (c’est très biblique : « Au commencement était le verbe… »). Or, là, il semble qu’elle échappe à Alice, l’héroïne de l’album, qui dialogue avec une entité omnisciente. Quel est le sens de cette parabole ?

Oui. Vous avez raison. C’est un peu une parabole biblique sans le côté religieux. Plutôt épique ou mythique comme dans « Les Métamorphoses  » d’Ovide. L’idée de départ de ce scénario, c’est exactement ça : « au commencement était le verbe ». L’humanité se construit depuis la nuit des temps par la fiction, par la narration, qui donnent sens au réel. Les choses existent parce qu’on les nomme.

Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out

Tout est récit dans notre civilisation d’être humain : l’argent, la moralité, la religion, la science, la guerre… etc. Absolument tout. L’humanité n’existe que grâce aux récits qui la constituent. Et là, soudain, effectivement, Alice le personnage central de cette histoire « initial_A. » doit refaire connaissance avec ce Récit qu’elle a perdu, ou oublié. La voix off, cette entité omnisciente dont vous parlez dans votre question, est là pour essayer de relancer le court du Récit qui semble s’être éteint comme le feu sacré. Alice se retrouve ainsi narratrice malgré elle pour le rallumer… C’est une parabole qui je crois résonnera différemment selon les lecteurs. Pour moi, le sens de ce dialogue entre Alice et « la voix-qui-parle » n’est autre qu’une tentative d’introspection de l’humanité qui veut sauver sa peau. In extremis.

Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out

Pour faire votre album, vous vous êtes appuyé sur Midjourney qui génère des images à partir d’injonctions -les « prompts »- que vous impulsez. Quel a été le processus créatif ?

À la fin de l’été 2022, J’avais repéré rapidement l’annonce de la mise en ligne, via Discord, de l’application Midjourney. Le rapprochement inattendu entre ma propre activité de dessinateur et le sujet de l’essai graphique que je terminais avec Miguel Banasayag était totalement incroyable et inattendu.

Le dessinateur que je suis se connecte donc sur le programme Midjourney dont tout le monde parle sans l’avoir essayé. Cette puissante IA de génération visuelle traduit du texte en image avec une « pertinence » déconcertante... L’outil est puissant. Un déclic se produit... Quelque part entre terreur et émerveillement. Le mysterium tremendum, en quelque sorte… La base de tout processus artistique.

En travaillant sur ces générations d’images « artificielles », j’ai alors cherché de manière empirique une méthode pour apprivoiser les algorithmes afin de trouver la justesse visuelle, les bonnes descriptions, les angles de vue, la qualité d’expression verbale qui vont conditionner la précision des scènes imaginées, le langage de la forme picturale et de la composition d’univers... C’était vertigineux... En quelques semaines, j’avais prompté, généré, trié, sélectionné, archivé plusieurs milliers d’images. Toutes singulières, inédites et surprenantes...

Je me suis alors rendu compte que le propos de mes questionnements, à cet instant, était exactement le même que dans le scénario de « initial_A. » que j’avais écrit deux ans plus tôt. Explorer la frontière... Il me restait à construire les pages. Une à une, pendant cinq mois. Et à chercher dans cette architecture invisible d’entre les cases, comment faire dialoguer ces images entre elles avec mon scénario. Faire mon métier d’auteur de bande dessinée, tout simplement, mais d’une façon nouvelle et inattendue.

Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out

Mais, où est la frontière ?... Dans cette hybridation combinatoire, qu’est-ce qui est humain et qu’est-ce qui ne l’est pas ? C’est justement le sujet du scénario… La démarche est paradoxale, je l’entends. Critiquer l’algorithmisation du monde en utilisant cet outil de génération d’images, c’est culotté, je l’assume. Mais au-delà de ça, je suis certain que je n’aurais jamais pu aller aussi loin dans la réalisation de ce livre sans expérimenter réellement la fameuse frontière homme/machine qui est le thème central de l’histoire. Mettre les mains dans le cambouis, pour y voir plus clair en quelque sorte m’a permis d’aller au bout de ce livre expérience.

Il s’est produit quelque chose d’imprévu dans la manière de travailler la relation texte-image qui a évidemment influé sur la narration. Ce livre n’aurait pas raconté la même chose si je l’avais dessiné comme d’habitude. Ce qui s’est passé est de l’ordre de l’improvisation en jazz, même si la trame principale du récit écrit en 2020 n’à pas bougé. Il y a dans cette démarche une grande part de savoir, de connaissance, de prévu et d’imprévu, qui mène jusqu’au final. Réaliser un livre de 150 pages comme cela, c’est assez étonnant à vivre.

Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out

Mais finalement, cette expérience est assez proche de celles que j’ai vécues sur mes livres précédents, en traditionnel avec mes pinceaux et mon encre de chine, lorsque je travaille sans story board, sans filet. C’est comparable comme énergie de travail. Mais bien évidemment, aussi, très différent et assez déboussolant…

On reproche à Midjourney de « voler » les images des autres pour créer les siennes. Vous qui êtes un auteur confirmé depuis plus de vingt ans, comment prenez-vous ce reproche ?

Je l’entends… je comprends les craintes qui sont toujours associées aux avancées de ce type. Des pas de géant, trop grands pour nos petites jambes. On peut évidemment comparer à l’arrivée de la photographie vers 1840, et la grogne, la révolte que cela a provoqué dans le milieu de la peinture, convaincu que l’art du portrait allait disparaitre et que l’art, au sens large, allait mourir. Mais loin de toutes ces prédictions catastrophistes, l’art pompier à cédé la place à l’art moderne…

Dans toutes ces peurs d’être volé, spolié, il y a une part de paranoïa que je ne partage pas du tout avec les militants anti-IA. Je n’ai pas peur de me faire effacer par une IA, ou de me faire voler mon style par les algorithmes. Je trouve ça absurde. Dans les images que j’ai générées pour ce livre, je n’ai rien volé à personne. Ou alors à tout le monde, peut-être… À l’ensemble de la production humaine, alors... la peinture, le dessin et aussi les photos de vacances sur facebook de Monsieur et Madame tout-le-monde. Bref. Toute la production visuelle de l’humanité, numérisée. Un peu comme le fait un humain qui apprend la création artistique en regardant, en digérant, et en « recrachant » quelque chose d’inédit qui lui est propre. Pour un humain cela prend toute une vie. Pour la machine, seulement quelques semaines ou quelques mois d’apprentissage profond. Le deep learning est de l’apprentissage. Ce n’est pas du vol.

Tout ceci est difficilement audible car cela revient presqu’à dire que la machine apprend comme le cerveau humain. Posez la question à un chercheur en intelligence artificielle, il vous expliquera mieux que moi comment fonctionnent les GAN, les réseaux antagonistes génératifs, le deep learning… etc.

Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out

Ce qui me chagrine, c’est que ce sentiment de se sentir systématiquement volé par la machine est un peu surjoué, la plupart du temps. Souvent par des artistes qui n’ont pas un univers très abouti ou en cours de construction… et qui se sentent, de ce fait, fragilisés. Et bien sûr, je comprends leur peur. Évidemment. Mais ce qui est sûr c’est que l’abus de proximité de style existe depuis toujours et n’a pas attendu l’IA ; d’ailleurs, la proximité de style n’est pas de la contrefaçon, et encore moins du plagiat.

Depuis la nuit des temps, les artistes utilisent d’autres images pour créer les leurs, en réinterprétant des mythes anciens, en utilisant la photo pour les graphistes, en reprenant les codes des maîtres qui les ont précédés (néo-classiques, préaraphaélites, Ligne claire, etc.). Est-ce différent avec Midjourney ?

C’est le même principe, mais c’est beaucoup plus rapide. Et c’est cela qui est effrayant.

Le principe de : « Sans Bruegel pas de Rembrandt, sans Rembrandt pas de Goya, sans Goya pas de Van Gogh, sans Van Gogh pas de Picasso, sans Picasso pas de Warhol, sans Warhol pas de Banksy… » c’est un principe qui se déroule en quelques secondes sur Midjourney, alors qu’il aura fallu des siècles à l’humanité pour mettre en place une telle évolution. C’est vertigineux.

Et c’est là, devant nous. On ne pourra pas l’empêcher. Les créations les plus abjectes, les plus immondes verront le jour avec ce type d’outils et ce sera toujours par la faute de l’humain qui pilote la machine. Jamais la faute de la machine seule. Il faut absolument comprendre cela. Lorsque je vois dans la presse en ligne une image créditée © midjourney, c’est faux, ça n’existe pas. La machine ne produit rien toute seule. C’est un peu comme si on signait une photo © kodak. Remettre urgemment l’humain créateur au centre de tout cela, c’est la seule issue pour rester maître de la machine et non pas l’inverse.

Il va falloir apprendre à différencier ce qui relève de la démarche d’auteur, créative, critique et ce qui est de l’opportunité commerciale, ou simplement du deepfake, du plaisir malsain de falsifier le réel. La contrefaçon du réel ce n’est pas de l’art. Mais transcender le réel, oui. C’est l’essence même de l’acte créatif. Il va falloir apprendre enfin à clarifier tout ça. Et c’est tant mieux car cela fait trop longtemps qu’il y a confusionnisme à tous les étages dans notre postmodernité qui galope avant de réfléchir.

Nous avons rencontré des auteurs violemment opposés à ce procédé. Vous-même, avez été « censuré » pour avoir utilisé l’IA. Votre éditeur, qui avait signé un contrat avec vous et versé un à-valoir conséquent a préféré y renoncer sous la pression, semble-t-il, de certains auteurs. Comment avez-vous vécu cette situation ?

Mal. Je vis très mal cette situation. C’est très violent de se faire interdire de publication par sa propre famille artistique. C’est un sentiment d’abandon et de rejet d’une démarche sans avoir pris la peine de regarder et de lire l’œuvre. C’est une interdiction, une annulation, uniquement sur le principe et non sur le contenu. C’est donc un procès d’intention. Mais sans procès. Juste une condamnation. J’y vois aussi un refus de débattre. Arbitraire et totalitaire. Pour la faire courte, j’ai eu très peur. La censure fait vraiment peur quand on la prend en pleine face.

Certains pensent que cette annulation est liée à des raisons juridiques, mais ce n’est absolument pas le cas. Les avocats du groupe éditorial qui a signé le contrat ont analysé pendant un mois les textes de lois à ce sujet, pour, in fine, signer le contrat en toute légalité. Les raisons sont ailleurs. Un petit nombre de personnes, au sein même de la maison d’édition, n’ont pas supporté l’idée de la publication de cet ouvrage et ont convaincu la direction de l’annuler. Cela s’est fait sans dialogue, ni concertation. Bref, la cancel culture met une fois de plus en danger la liberté de la pensée et de l’imaginaire.

C’est d’autant plus douloureux que j’ai réellement été accompagné dans l’élaboration de cet ouvrage par l’éditeur qui a suivi le projet et que je crois profondément à la nécessité du filtre éditorial pour l’existence de livres de qualité.

Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out

Vous avez décidé de faire un financement participatif Ulule pour le publier. Comment pensez-vous convaincre les souscripteurs ?

Par l’honnêteté de ma démarche et ma vision de la liberté de création, tout simplement. Inviter les gens à sortir de leur zone de confort intellectuel, systématiquement, et à interroger le monde dans une réflexion sur tout ce que cela nous raconte sur cette époque condamnée à multiplier les toutes premières fois… dans une accélération exponentielle et chaotique sans précédent.

«  initial_A.  » est un livre d’auteur qui utilise l’IA dans une vraie démarche esthétique et philosophique, qui associe le fond et la forme afin de porter un regard lucide sur notre futur. Effacer une œuvre comme celle-ci, ne résoudra rien…
Je tiens à préciser que je ne suis pas un promoteur de l’IA, simplement un curieux, un artiste qui ne s’interdit aucun outil, aucune expérience artistique, tant que cela est porteur de sens.

Extrait d "Initial_A" de Thierry Murat. Ed. Log Out

Nous venons de créer un label indépendant : LOG OUT. Ce logo en forme de barre de téléchargement est, paradoxalement, une invitation généreuse à se déconnecter d’un réel ultraconnecté. Une proposition d’échappée belle par la lecture de fiction, par la puissance de l’imaginaire dans tous ses états, afin de redonner du sens au réel intime et partagé.

Je reçois beaucoup de témoignages de collègues auteurs (et pas des moindres… De belles et grandes signatures de la BD) qui saluent ma démarche et me remercient d’ouvrir ce débat essentiel, sereinement. À mon tour de les remercier ici pour leur soutien précieux, remercier aussi tous les contributeurs (amis, libraires, lecteurs…) qui se sont déjà engagés à nos côtés sur cette publication, cela me redonne le courage de continuer à raconter des histoires dessinées !

Voir en ligne : Pour soutenir le projet de Thierry Murat sur Ulule

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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10 Messages :
  • Pourquoi, avec un album prêt à la publication, l’auteur ne s’est-il pas tourné vers d’autres éditeurs plutôt que Ulule ? Peut-être que ChatGPT à la réponse…

    Répondre à ce message

    • Répondu le 5 juin 2023 à  11:05 :

      Ces images sont sans vie. Les personnages ont des yeux morts, sans âme ni regard. Et c’est le cas dans tous les productions d’images d’IA jusqu’à présent. Mais faut-il s’en étonner ?

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      • Répondu par yaglourt le 14 octobre 2023 à  13:27 :

        Mais oui bien sûr, vous avez passé en revue les millions d’images générées par IA 🤡

        Répondre à ce message

    • Répondu par Richard (Teljem) le 5 juin 2023 à  11:11 :

      Parce que chez un autre éditeur il aurait à nouveau subi la bronca de ses "collègues" pour faire annuler la sortie.

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      • Répondu par Milles Sabords le 6 juin 2023 à  05:44 :

        Bronca ou pas, ses collègues n’auraient pas pu empêcher la sortie de l’album chez d’autres éditeurs ; chaque éditeur reste maître de ses publications et de son entreprise et la loi n’interdit pas la publication de ce type d’ouvrage.

        Répondre à ce message

    • Répondu le 5 juin 2023 à  13:14 :

      C’est vraiment devenu tendance de vouloir empêcher la parution d’un livre ou d’effacer son contenu, quel que soit le motif.

      Répondre à ce message

      • Répondu le 5 juin 2023 à  20:28 :

        Surtout que c’est contre-productif : en voulant empêcher la parution d’un livre, on lui fait de la publicité. Alors que l’écrasante majorité des livres passent inaperçus, se vendent mal et sont pilonnés dans les 3 ans qui suivent.

        Répondre à ce message

  • Ce n’est pas simplement "une peur d’être volé", c’est du vol. Cet auteur a bien fait attention à ne pas du tout se renseigner sur le problème, l’aubaine est trop bonne pour s’auto-congratuler et usurper le statut de victime. Non seulement l’apprentissage humain n’est en rien similaire à une IA, mais aucun des auteurs dont les travaux sont dans les bases de données des IA n’a pu donner son consentement. Des artistes infiniment plus talentueux et renseignés que Thierry Murat s’inquiètent publiquement de l’IA mais on ne sait par quel truchement, il a réussi à ne rien voir ! Ça en dit long sur le contenu de cette BD

    Répondre à ce message

    • Répondu le 6 juin 2023 à  08:38 :

      La notion de "vol" en art est des plus floues. Même quand la justice s’en mêle, le débat est sans fin. La photographe Lynn Goldsmith a fini par gagner contre les ayant-droits d’Andy Warhol, lequel lui avait "volé" sa photo de Prince, mais la procédure a duré 40 ans.

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    • Répondu par yaglourt le 14 octobre 2023 à  13:29 :

      Dans ce cas il faut faire un procès aux 100% artistes qui pompent d’autres artistes...

      Répondre à ce message

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