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Cuervos - T4 : Requiem - Par Marazano et Durand - Glénat

Par Yves Alion le 3 juin 2006                      Lien  
La déchéance, tant physique que sociale, d'un parrain colombien de la drogue réveille les appétits des uns, souligne la couardise des autres et provoque une sanglante redistribution des cartes à l'heure où la mondialisation jette les entreprises familiales les mieux gérées -fussent-elles criminelles- aux oubliettes de l'histoire...

Joan Mendez est un ministre éminent du très conservateur gouvernement colombien. C’est aussi, dans son fief de Medellin, l’un des gros bonnets de la drogue, qui règne de façon brutale sur son clan. Mais pour l’heure, Joan est surtout un homme à terre, brisé par le décès de sa femme Beatriz, terrassée par un cancer dont elle était atteinte depuis des années mais dont elle n’avait jamais informé les siens. Joan reste avec ses deux enfants. Ernesto, le cadet, joue les fils à papa et profite tant qu’il peut de la crainte que son père inspire dans la région. Il est de toutes les fêtes, toutes les frasques, là où l’argent coule à flot sans que personne ne cherche à en connaître la provenance.

Cuervos - T4 : Requiem - Par Marazano et Durand - Glénat
La nouvelle reine des narcos

Alexia, son aînée, semble quant à elle s’être affranchie de la tutelle familiale pour suivre des études de gestion en Europe. De retour à Medellin pour l’enterrement de sa mère, la jeune femme affiche une certaine indépendance. En se donnant à Emiliano par exemple, l’un des hommes de main de son père, elle ignore ostensiblement toute hiérarchie sociale. Ernesto tente de faire la morale à sa sœur, qui l’envoie promptement sur les roses. Joan, lui, ne veut plus parler à sa fille, qu’il considère comme une traînée. Mais le parrain, qui décidément ne se remet pas de la mort de sa chère Beatriz, déraille de plus en plus souvent, de plus en plus gravement. Au point d’inquiéter ses hommes, à l’heure où la concurrence avec les gangs de Cali oblige les uns et les autres à prendre des décisions lourdes. Fidèles à Joan, mais avant tout pragmatiques, les lieutenants du vieux lion font appel à Alexia pour reprendre les rênes du cartel. Contre toute attente la jeune femme accepte la marché et entreprend de faire le ménage...

Ma petite entreprise

Quatrième et dernier tome de la série, ce « Requiem » porte bien son nom, qui enterre les derniers espoirs de rédemption des personnages. Ce qui ne veut pas dire que les auteurs n’aient pas d’empathie pour eux : ils ne sont que les pièces d’un puzzle foireux dont on ne sait plus trop qui en est l’ordonnateur.

Un joyeux éclectisme des cadrages

Chaque famille mafieuse affiche au fond le même itinéraire et peu importe la latitude sous laquelle elle s’inscrit. C’est toujours la même histoire, celle d’un gamin des rues, un peu plus débrouillard que les autres, qui pour subsister accepte de donner un coup de main à des voyous de sa connaissance, avant de monter les échelons et contrôler toute une région. Joan n’échappe pas à la règle.

Mais quand démarre ce tome 4, son heure de gloire est passée et c’est à la longue agonie de cet homme brutal mais fragile que l’on assiste. Agonie physique, notre homme étant manifestement atteint de la maladie d’Alzheimer -ce qui en l’occurrence prête à conséquence quand il se met à griller un fusible et défourailler sur tout ce qui bouge. Agonie professionnelle (si l’on ose dire), à l’heure où la concurrence se fait vive et qu’il importe de serrer les rangs, de serrer les dents. Crépuscule baroque et cynique qui laisse un goût de cendres dans la bouche. L’effet est garanti. D’autant que le trait et les couleurs de Durand collent de façon parfaite à l’édifiante histoire de Marazano. Pas d’enluminures, pas de couleurs réalistes non plus. Mais une dynamique du dessin qui jamais ne se dément. Les pages acquièrent ainsi une certaine autonomie, dominantes de couleurs à l’appui et joyeux éclectisme des cadrages. Les cases sont parfois définies, parfois non. Les vignettes se chevauchent par moments, comme si une caméra invisible zoomait sur un détail significatif.

Il n’est pas gratuit de parler de cinéma ici, tant le mouvement, la vitesse semblent inhérents à l’ensemble. Sans oublier les très nombreuses plongées qui nous forcent un peu la main, nous invitant à observer ces pauvres insectes humains au destin chaotique. Un coup de poing. Un chef d’œuvre.

(par Yves Alion)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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