Un libraire nous raconte : « Le délai de réapprovisionnement des libraires en France est de 48h chez Hachette, 72h chez Interforum et 72h chez MDS avec parfois des petites tensions classiques au moment où les volumes augmentent en fin d’année où ça passe à 4 jours chez MDS et parfois à 5 jours chez Interforum. Quoiqu’il arrive, chez Hachette c’est toujours 48 chrono, il n’y a jamais de variation. Sauf qu’avec l’augmentation des volumes chez MDS, dès le mois de juin, on est passé à 4 jours chez MDS, au mois de juillet 5 jours, 6 jours au mois d’août, 8 jours au mois de septembre, quasiment deux semaines au mois d’octobre. On n’arrêtait pas de les alerter et à chaque fois, on nous répondait que les volumes étaient exceptionnels, que cela n’allait pas durer et que cela allait rentrer dans l’ordre. Ils n’y croyaient pas et donc aucune mesure, doublement des équipes, équipes de nuit, etc., n’a été prise. »
De son côté, le distributeur concède un retard « de cinq jours » et explique que cette situation est provoquée par la désorganisation provoquée par la crise du papier comptabilisant « jusqu’à 35% de titres reportés sans avoir une estimation de la date d’arrivée, ce qui rend difficile toute communication préventive. »
Au mois d’octobre, alors qu’ils perdent pied, ils n’arrivent pas à embaucher. La raison ? C’est qu’un dépôt Amazon s’est placé à proximité et une grande part de leurs intérimaires -plutôt chichement payés- sont ainsi débauchés ! Ils se retrouvent sans personnel compétent : « Tous, ils prennent les intérimaires, nous dit le même libraire. Ils proposent 10,38 € à des mecs pour un démarrage à quatre heures du matin, avec une voiture personnelle nécessaire parce qu’il n’y a pas de transport en commun qui mène jusqu’à la plateforme, alors évidemment, ils n’arrivent pas à embaucher ! »
Et de pointer l’imprévision, voire l’incompétence : « Cette semaine, nous en sommes à trois semaines de réappro. Les commandes du 1er octobre ne nous sont toujours pas livrées, et on n’est pas encore dans les gros flux de fin d’année ! »
Il y a pire : depuis fin octobre, ce sont les offices de nouveauté qui sont impactés : « C’est du jamais vu ! Il y a des livres, comme le dernier album de Christophe Blain, "Le Monde sans fin" (avec Jean-Marc Jancovici chez Dargaud) dont je n’ai pas reçu du tout la livraison de la nouveauté, déclare ce libraire qui a plusieurs points de vente en France. Zéro bouquin pendant trois semaines alors que les auteurs passent tous les jours à la radio ! »
Le plus irritant, nous disent les libraires, c’est la réponse de MDS à cette situation, au pire arrogante, au mieux à côté de la plaque. Pour faire face, le distributeur du groupe Média-Participations a décidé d’arrêter de fournir les réassorts à l’unité pour prioriser ceux livrés à au moins trois exemplaires : « Toutes les commandes faites depuis trois semaines sont purement et simplement annulées et ne sont plus acceptées que les commandes à trois exemplaires par ligne ! »
Notre libraire vocifère : « C’est de la vente forcée qui va à l’encontre même de notre métier de libraire indépendant. On a 12 000 références avec des titres qui ne se vendent qu’une fois par an. En revanche, pour les grosses structures avec leurs entrepôts centralisés, cela ne pose pas de problème de commander par trois. C’est une distorsion énorme de la concurrence ! Cent titres sont livrés en priorité -les gros titres- et pour les autres ce n’est pas grave ! C’est incroyable ! »
Le problème, c’est que pour un libraire qui fournit des collectivités comme des bibliothèques, les commandes sont à fournir à l’unité. Comment faire son métier dans ces conditions ? Autre impact négatif sur la trésorerie : les retours ne seraient plus traités depuis plusieurs semaines, et donc non remboursés, ce qui pèse sur les finances. Et ce n’est pas en repoussant les échéances que l’on règle le problème quand les livraisons ont mis des semaines à arriver que l’on en est réduit à accumuler des stocks pléthoriques en prévision de la pénurie.
Le retour à la normale ne serait pas envisagé avant le premier semestre 2022. Et pendant ce temps-là, Hachette, Editis, Gallimard et Amazon se régalent. Affligeant.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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