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Et toujours Tintin...

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 octobre 2015                      Lien  
Depuis l'arrivée de Benoît Mouchart à l'éditorial de Casterman et la prise de contrôle de la maison par Gallimard, Hergé a refait une courbe rentrante dans le catalogue de l'éditeur de Tintin. Et à chaque fois, on ne peut s'empêcher de réprimer un soupir : que vont-ils encore nous inventer cette fois-ci pour nous revendre une ixième version du classique indémodable créé par Hergé en 1929? Trois titres parus en cette fin d'année nous indiquent les différentes pistes suivies.
Et toujours Tintin...
Le maître-ouvrage de Pierre Sterckx sur Hergé (Gallimard-Moulinsart)

Il y a celle qui vise le tintinophile compulsif, heureux de découvrir "l’inédit pas vraiment inédit mais jamais vu comme cela quand même". C’est le cas du Hergé, le feuilleton intégral (1950-1958) [Casterman-Moulinsart].

Qu’apporte-t-il ? Le republication de Tintin dans son feuilleton d’origine, tel que le découvrit le lecteur du Journal Tintin dans les années 1950. La publication est prévue en 12 volumes et on commence par le volume 11. Avec, pour les commentaires, la collaboration des tintinologues Jean-Marie Ems, Philippe Mellot et l’incontournable Benoît Peeters.

Une autre chronologie d’une œuvre

L’objet est précieux : il reproduit tous les dessins (couvertures, bandeaux-titres, publicités, annonces, calendriers, culs de lampe...) publiés par Hergé dans le Journal Tintin au moment où paraissent les aventures de Tintin dans On a marché sur la Lune, L’Affaire Tournesol, Coke en Stock, mais aussi de Jo, Zette & Jocko : La Vallée des cobras.

Ces histoires étaient conçues pour le feuilleton, publiées parfois en bandes avec le fameux cliffhanger de fin de séquence. On peut donc découvrir des dessins qui ne figureront pas ultérieurement dans les albums.

L’ouvrage se termine par des commentaires savants sur les sources scientifiques ou historiques de ces albums, tirées des archives-même d’Hergé. Cette relecture apporte quelques interprétations nouvelles, parfois curieuses, comme celle d’attribuer le modèle du dictateur Plekszy-Glatz au maréchal polonais Pilsudski. Le jeu des "rimes d’images" initié par Huibrecht Van Opstal dans Tracé RG, continue son chemin...

Dans le chapitre "Hergé à l’œuvre", les auteurs s’appuient sur un autre genre de correspondance : celle des lettres échangées entre Hergé et les différents experts consultés au moment de l’élaboration de l’œuvre. Éclairants échanges entre le scénariste "propédeutique" de Blake et Mortimer, Jacques Van Melkebeke, le baroudeur-scientifique Bernard Heuvelmans, ou le dessinateur-ingénieur Albert Weinberg, mais également avec les scientifiques de l’espace comme Alexandre Ananoff, flatté que son ouvrage traîne sur la table du Professeur Tournesol.

Ces échanges expliquent autant l’œuvre que l’homme qui vit à ce moment-là une profonde dépression due à l’après-guerre, difficile pour les gens comme lui soupçonnés d’avoir collaboré avec l’ennemi, à une séparation annoncée avec son épouse Germaine, à un surcroît des responsabilités (Tintin est un succès et Hergé est le directeur artistique du journal). L’ouvrage se complète de photos personnelles et du fameux "Studio Hergé" qu’il organise pour faire face à cette situation compliquée. Une chronologie bienvenue, illustrée par une multitude de documents rares ou inédits, notamment des cartes d’anniversaire ou des papillons publicitaires, achève l’album.

Deux bémols sur cet ouvrage : son prix, de 80€, même si ce beau livre constitue un cadeau idéal pour les fêtes ; et le fait que les pages reproduites sont des scans du Journal Tintin. Car il faut savoir que, Tintin étant imprimé par le procédé de l’héliogravure et les albums par le procédé de l’offset, les couleurs étaient refaites. Les éditeurs n’ont apparemment par retrouvé les bleus de coloriage d’origine et se sont contentés de scanner les reproductions.

... et sa version anglaise qui sert de catalogue à l’expostion de Londres.

L’art lumineux d’Hergé

Moins cher (35€), L’Art d’Hergé (Gallimard / Moulinsart) emporte toute notre adhésion. D’abord par son auteur, Pierre Sterckx, récemment décédé, un critique d’art au regard acéré et doté d’un grand talent d’écriture.

Après une introduction biographique qui nous vaut quelques jolies photographies, on découvre le Hergé illustrateur et dessinateur pour la publicité, influencé par l’Art Déco et notamment Cassandre, puis par l’art chinois découvert grâce à l’ami Tchang. Le choix de Sterckx porte sur les différentes techniques : encre de Chine, gouache, gravure sur bois... Il aligne les "cases mémorables" dont il s’était fait jadis une spécialité dans Les Cahiers de la Bande Dessinée. C’est remarquable et cela rend justice à un grand dessinateur.

Le hors-série du Point sur Tintin, en kiosque actuellement et en librairie en novembre.

Passant ensuite en revue les 24 albums et les principaux personnages, il conclut sur l’art du dessin et sur la ligne claire d’Hergé. Hergé ne retient que les "lignes décisives" constate-t-il, c’est "un art de l’épure". Il explore sa perspective, son art du noir et blanc, parle de "beauté silencieuse", même quand c’est la musique qui est représentée. L’ouvrage se clôt sur les peintures réalisées par Hergé et surtout sur sa collection de peintures dont Sterckx, historien et pédagogue de l’art, a bien souvent conseillé l’achat : Lucio Fontana, Frank Stella, Serge Poliakoff, Roy Liechtenstein, Louis Van Lint, Tom Wesselman, Jean Dubuffet, Stefan De Jaeger, Andy Warhol qui fait son portrait. Un maître-ouvrage !Il sert d’ailleurs de catalogue à une exposition qui a lieu en ce moment à Londres, Tintin : Hergé’s Masterpiece, à la Somerset House.

Pour les fauchés et les curieux de Tintin, il y a ce Hors-Série Le Point, Les Animaux de Tintin. Le thème fait reculer : encore un prétexte pour nous vendre Tintin sous toutes ses formes ! Eh bien, non : Jacques Langlois qui cornaque ce numéro a une fois de plus la ressource de s’entourer de plumes fertiles et le bestiaire passé en revue s’avère passionnant.

Caramba, pas de raté !, et puis, pour 8,90€, on aurait tort de se priver.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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14 Messages :
  • Et toujours Tintin...
    20 octobre 2015 16:51, par Liaan

    « Hergé illustrateur et publiciste »
    On doit employer le terme de "publicitaire" plutôt que publiciste.
    Publiciste (1748) de Public. 1.Vx Écrivain public -2.(1789) Vieilli Journaliste - 3. Abusiv. Agent de publicité. V.Publicitaire.
    Le Petit Robert ©1989

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 octobre 2015 à  17:56 :

      Nous avons précisé le propos. Merci.

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    • Répondu le 20 octobre 2015 à  18:07 :

      Publiciste était un autre mot pour dire éditeur.

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      • Répondu par simon brauman le 21 octobre 2015 à  06:59 :

        Quand publiera-t-on une enquête sérieuse parlant de la part d’ombre d’Hergé, dans les mêmes maquettes luxueuses que l’idolâtrie et le bizness nous servent trimestriellement ? Cette part obscure est énorme et scandaleuse et en plus on croit bien la connaître.
        Qui montre les 2 vignettes antisémites de l’étoile mystérieuse alors qu’on met en avant celles beaucoup plus discutables du banquier typé Blumenstein ?
        Qui parlera de l’équipe du journal Tintin composée avec Jacques Van Melkebeke dans la cave, d’un club de dessinateurs tous plus qu’à droite ? Qui parlera des échanges entre Hergé et Ralph Soupault le dessinateur de « je suis partout » emprisonné 3 ans à Fresnes pour collaboration et qui fût à deux doigts de faire paraître dans Tintin de bonnes histoires pour enfants, en même temps qu’il collaborait au journal d’extrême droite Rivarol sous le pseudonyme de Leno ?
        Des forums sont pleins de documents et réflexions intéressantes sur cette part d’ombre sans qu’aucun ouvrage à ce jour n’atteigne un large public et ne l’informe objectivement.
        Bernard Henry Levy si tu m’entends...

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        • Répondu par MD le 21 octobre 2015 à  08:59 :

          Il y a un livre aux Editions nouvelles de Benoit Mouchart : A l’ombre de la ligne claire qui revient sur les amitiés dangereuses de Hergé...

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        • Répondu par Sergio SALMA le 22 octobre 2015 à  02:15 :

          Vous étiez où ces 20 dernières années ? A vos questions , plein de livres et d’articles y ont répondu ; toutes ces zones d’ombre ont été explorées en long et en large. Il y a 20 ans Pierre Assouline écrivait une biographie qui a fait grincer quelques dentiers , de nombreuses autres interventions soulignent tous ces aspects que vous pensez avoir débusqués dernièrement. Il y a désormais internet , tout cela est trouvable. Comprenez au moins qu’on ne va pas sortir des "beaux livres" , faire de l’édition à destination des amateurs de cet auteur en exposant encore une fois ces informations et je vois vraiment pas ce que BHL pourrait faire de ce sujet. Suggestion : écrivez donc vous-même l’ouvrage ultime si vous avez de jolis scoops .Je vous fournis le titre s’il n’est déjà pris : "Zones d’ombre sur la ligne claire".

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        • Répondu par Renaud Chavanne le 26 octobre 2015 à  15:16 :

          Bonjour M. Brauman,

          On vous a fait des réponses avec les livres de Mouchard et d’Assouline, mais incomplètes...

          Vous pouvez voir aussi Les Guerres d’Hergé, de Maxime Benoît-Jeannin, bien plus incisif, quoique controversé. Pas inintéressant du tout à mon avis même si politique très incorrect.

          Voir aussi le texte de Boris Eizykman dans Plates bandes à part, ainsi que, fort instructive, l’indignation de Pierre Fresnault-Deruelle et de Jacques Samson qui suit.

          Vous trouverez ça sur Amazon.fr ou sur Stripologie.com.

          Si vous les lisez, revenez nous dire ce que vous en avez pensé, je suis curieux.

          Bien cordialement,

          Renaud Chavanne
          r.chavanne@stripologie.com

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        • Répondu par woos le 11 août 2016 à  17:36 :

          Quand j’entends les corbeaux (eh oui, les gauchistes n’ont pas l’exclusivité de ce mot) s’attaquer à Hergé, soi-disant fasciste et nazi, j’ai des hauts-le-coeur. Hergé a dessiné des histoires pour enfants de 7 à 77 ans qui sont des chefs d’oeuvre, bien nécessaires en temps de guerre. Hergé a d’ailleurs emmené son héros sur la mer (étoile mystérieuse, licorne, Rackham Le Rouge) pou éviter toute dérive politique. On ne va tout de même pas lui reprocher ad vitam aeternam dans l’Etoile ces deux juifs qui se frottent les mains devant la catastrophe imminente. Hergé était fidèle à son Roi qui avait décidé d’arrêter la guerre. Et surtout messieurs les censeurs qu’auriez-vous fait en temps de guerre, "collaborer" en travaillant et vous joindre à la Résistance au dernier moment ?

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  • Et toujours pas de Tintin...
    21 octobre 2015 00:16

    C’est plutôt "Et toujours pas de Tintin...", on nous refile les mêmes vieilles histoires sous des formats différents, mais on attend encore et toujours un nouvel album de Tintin.

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    • Répondu par Guerlain le 21 octobre 2015 à  15:42 :

      parfois je me demande si cette demande d’un nouvel album de Tintin est si évidente.
      Sachant que la fondation n’en veut pas, que la position d’Hergé n’était pas claire (au contraire d’un Pratt qui voulait que Corto et Koinski lui survive, d’Uderzo qui a organisé la reprise d’Astérix avec la bénédiction des ayants-droits de Goscinny), n’est-ce pas juste une agitation de vieux nostalgiques qui savent que, de toute façon, si reprise il y a, ils ne seront plus là pour le voir. Mais si d’aventure ils y sont encore, se feront une joie de hurler à la trahison et regretter amèrement cette reprise ?
      Nous vivons sans nouveau Tintin depuis plus de 30 ans. Moulinsart a depuis tellement fétichisé le personnage que je vois mal comment on pourrait lui redonner vie sans que cela ne semble une hérésie de tracer ne fut-ce qu’un trait qui ne soit pas d’Hergé.
      Le fétichisme autour de l’oeuvre d’Hergé l’a rendu intouchable.

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      • Répondu par Oncle Francois le 22 octobre 2015 à  11:36 :

        Vous avez raison, ami Guerlain, il vaut mieux éviter une probable déception, les reprises sur Astérix, Iznogoud, Lucky Luke et beaucoup d’autres icones de papier, riches d’un passé glorieux de plusieurs décennies et de dizaines d’albums excellents, sont parfois ; sont exigeantes pour les repreneurs et parfois décevantes pour les acheteurs, il n’y aura à la limite que les éditeurs pour se frotter les mains, car cela permettra de relancer les ventes des albums historiques.
        Plus on identifie un personnage à un auteur (Gaston à Franquin, Tintin à Hergé, Alix à Jacques Martin, Astérix à Goscinny, etc), plus on risque la déception. L’empreinte des créateurs s’est imprégnée, imprimée dans nos mémé-moires, de façon indélébile. Maintenant, si un auteur souhaite relancer Jo Zette (chaussette ?) et Jocko, ou même Totor, je lui donne ma bénédiction !

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  • Et toujours Tintin...
    21 octobre 2015 21:34, par jeandive

    y a -t-il dans les 2 ouvrages principaux beaucoup de materiels vraiment inédits ou bien les retrouve-t-on plus ou moins dans les differents livres deja publiés sur l’art d’hergé ?

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    • Répondu par ecureuil le 27 novembre 2015 à  17:19 :

      Pour le feuilleton, beaucoup des documents soit-disants inédits de la deuxième partie de l’ouvrage se retrouvent déjà dans la collection "Archives Tintin" de Atlas ce qui n’a rien d’étonnant puisque les auteurs sont les mêmes : Embs et Mellot.

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  • Et toujours Tintin...
    27 novembre 2015 17:32, par ecureuil

    C’est Jean-Marie Embs

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