Les tintinophiles l’avaient découvert en 1979, lorsqu’il contribua à la très belle exposition Le Musée imaginaire de Tintin au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. On découvrit alors un homme qui était le conseiller d’Hergé en matière artistique, lui faisant acheter les grands peintres de l’époque, de Lichtenstein à Warhol, en passant par Pat Andréa. Il fut longtemps directeur de l’École de Recherche Graphique (ERG) de Saint-Luc, la proximité de son établissement avec l’Institut qui hébergeait la première école de bande dessinée en Belgique, fut pour beaucoup dans son influence sur la nouvelle génération de la bande dessinée belge, , "la Génération spontanée", de Schuiten à Thierry Van Hasselt ou Éric Lambé, contribuant à lui conférer une profondeur artistique qui lui manquait jusqu’alors.
Pédagogue exceptionnel, il faut l’avoir vu, dans les années 1980, accueillir Moebius dans des conférences publiques à Bruxelles qui attiraient jusqu’à 1000 spectateurs dans une ambiance enfiévrée. Sur-actif, il enseigna aussi bien en Belgique, qu’en France et ailleurs. Il fit venir Keith Harring à l’ERG et offrit un retentissement exceptionnel à la venue de Tchang en 1981 à Bruxelles. C’est avec lui et grâce à lui que les éditions Magic Strip ont pu publier Tchang revient ! (1981) un ouvrage qui mêlait ses deux passions : Hergé et la peinture.
La peinture, qu’il connaissait en érudit, tant dans la période classique que dans ses avant-gardes les plus en vue, il lui consacra bon nombre d’ouvrages, notamment à propos de Brueghel l’ancien, d’Holbein, de Vermeer, de Magritte, de Warhol... Des peintres de la clarté dont nous parlions souvent quand nous devisions ensemble sur la fameuse « Ligne claire ».
Hergé, à qui il consacra pas moins de quatorze ouvrages (notamment une biographie, avec Thierry Smolderen) dont le prochain à paraître, qu’il venait d’achever, et qui s’annonce magnifique : « L’Art d’Hergé ». Il devrait sortir fin août chez Gallimard en France et chez Rizzoli aux États-Unis. On peut voir Pierre dans cette vidéo ci-dessous faire avec un brio incomparable l’analyse d’une case du Lotus bleu (pardon pour les publicités). Une lecture amoureuse de l’œuvre sans pareille.
La bande dessinée, il en fut l’un des théoriciens les plus lumineux, loin au-dessus de la plupart de ses collègues, par l’intelligence, l’érudition et la clarté de l’énoncé. On se souvient notamment de ses "Cases mémorables" dans les Cahiers de la Bande Dessinée, articles dans lesquels il parlait de la bande dessinée, du 9e Art !, comme nul autre avant lui. Il était un collaborateur régulier des hors-séries de Beaux-Arts Magazine sur la bande dessinée. Il faut le dire : Pierre Sterckx a profondément modifié notre regard et notre discours sur la bande dessinée, comme a pu le faire à une autre époque un autre érudit de l’image, l’Italien Umberto Eco.
Comme commissaire d’expositions, on se souvient de son "Au Tibet avec Tintin" au Musée du Cinquantenaire en 1994, inauguré en présence du Dalaï-Lama, "Sexties" à Bozart à Bruxelles en 2009, où il mettait en parallèle Pellaert, Forest, Crepax et Cuvelier, et surtout la marquante exposition Vraoum. Bande Dessinée et Art Contemporain à la Maison rouge à Paris, également en 2009, qui fut la première en France à jeter des ponts théoriques entre la bande dessinée et l’art contemporain.
On ne saurait conclure sans parler de ses qualités d’écriture. Outre ses essais sur l’art et la bande dessinée, l’homme s’était essayé au théâtre avec un certain talent, je pense notamment à ces Petites annonces faites à Marie auxquelles j’avais assisté à Bruxelles, une pièce joyeuse et quelque peu iconoclaste, tant pour la mère du Christ que pour Paul Claudel.
"Pierre avait été un proche ami d’Hergé, nous écrit Benoît Peeters qui nous annonce la nouvelle de sa disparition aujourd’hui. ; il est celui qui a le mieux parlé de son dessin. Mais ses curiosités allaient bien au-delà, vous le savez. Il avait 79 ans, mais m’a toujours paru beaucoup plus jeune, tant il était énergique et enthousiaste. Nous nous souviendrons de lui."
C’est vrai, Pierre, nous nous souviendrons de toi. En guise de merci.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Lire une interview de Pierre Sterckx sur ActuaBD.com
Nous empruntons à Wikipedia cette bibliographie. N’hésitez pas à nous signaler les oublis, au besoin
Publications autour d’Hergé
• Le Musée imaginaire de Tintin (collectif), Casterman, 1979.
• Tchang revient ! (Magic Strip, 1981)
• Hergé, portrait biographique (en collaboration avec Thierry Smolderen), Casterman, 1987.
• Hergé dessinateur (en collaboration avec Benoît Peeters), Casterman, 1989.
• Au Tibet avec Tintin (collectif), Casterman, 1996.
• Tintin et les médias, le Hêtre Rouge, 1997.
• L’Archipel Tintin (collectif), Les Impressions Nouvelles, 2004.
• Hergé collectionneur d’art (en collaboration avec André Soupart), La Renaissance du Livre, 2006.
• Tintin Schizo, Les Impressions Nouvelles, 2007.
Autres publications
• Pieter Breughel, Casterman, collection « Le Jardin des peintres », 1989.
• Le Mystère Magritte, CD-Rom, Virtuo, 1996, Grand prix du CNRS.
• René Magritte, l’Empire des Images, Assouline, 2003.
• Le Chat s’expose, catalogue de l’exposition de Philippe Geluck, Casterman, 2004.
• Le Devenir-cochon de Wim Delvoye, La Lettre Volée, 2007.
• Hans Holbein, Outrages à la représentation, La Lettre Volée, 2007.
• 50 géants de l’art américain, Beaux-Arts Magazine, 2007.
• Gilles Barbier : Un Abézédaire dans le désordre, avec Marianne Le Métayer, Éditions du Regard, 2008.
• Impasses & Impostures - En art contemporain, Anabet, 2008.
• Les mondes de Vermeer, PUF, Lignes d’Art, 2009.
• Warhol, miroir du grand monde, avec Emma Lavigne, Ann Hindry, Emmanuelle Lequeux, Beaux-Arts Magazine, 2009.
• Les plus beaux textes de l’histoire de l’art, Beaux-Arts Editions, 2009.
• Vraoum. Bande Dessinée et Art Contemporain, Fage, 2009.
• The Jodelle style. The Adventures of Jodelle, Fantagraphics, 2013.
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