« Je n’ai jamais douté » nous dit Nick Rodwell (voir notre interview), l’époux de Fanny, l’ayant-droit d’Hergé. On lui faisait naguère le procès de sa mégalomanie supposée : un Musée Hergé, une option de Spielberg pour un film… « Ils ne verront jamais le jour », « il est en train de faire de Tintin un produit de luxe, déconnecté des enfants » nous affirmait-on. Force est de constater qu’à l’article du centenaire du grand homme, sa popularité n’a jamais été aussi grande. Il nous apparaît à tous que l’actualité est plus au triomphe qu’au déclin.
Il est évident que les films mis en chantier par Spielberg, son implication personnelle dans leur réalisation, le ralliement de Peter Jackson à celle-ci, sont les nouvelles les plus étonnantes de ce centenaire. Hergé, figure de proue de l’école franco-belge, papa, sinon pape de la « Ligne Claire », sollicité par les plus grands cinéastes d’Hollywood, voilà qui contrebat singulièrement tous les discours de dénigrement d’un standard de bande dessinée décrié par une certaine critique et qui a été ces dernières années « envahie » par les mangas (sans que sa croissance n’en soit entravée, notons-le bien) ; un genre qui, si l’on se réfère à son adaptibilité à l’écran peine à surnager face au tsunami de la production super-héroïque américaine. Et voici qu’Hollywood s’apprête à miser, selon les normes du secteur, entre 200 et 600 millions de dollars sur le personnage de Tintin. C’est inouï.
Le musée, quand même
Le Musée, qu’est-ce qu’il n’a pas fait couler comme encre ! Il devait s’installer à Bruxelles, et puis non. Il se retrouve à Louvain La Neuve, et devrait être construit par Christian de Portzamparc, l’un des plus grands architectes contemporains. « Le budget, c’est 15 millions d’euros », nous dit l’administrateur-délégué du musée, M. Robert Vangeneberg. Le choix du concepteur du bâtiment est déjà en soi extrêmement créatif : « Ce sera la rencontre entre un grand architecte et un grand artiste. Portzamparc s’est laissé inspirer par l’univers d’Hergé : les cases, la légèreté, la Ligne Claire… » Quant à la conception scénographique de l’ensemble, elle repose sur un scénario conçu par Philippe Goddin (l’auteur de la monumentale Chronologie d’une œuvre), Thierry Groensteen (ancien directeur du Musée de la bande dessinée à Angoulême), le dessinateur Hollandais Joost Swarte (le créateur même du concept de « Ligne Claire ») et enfin le scénographe Winston Spriet (scénographe de nombreuses expositions prestigieuses dont Le Chat aux Beaux-Arts à Paris ou encore les grandes expositions de Charleroi). « On va montrer beaucoup d’originaux, nous raconte M. Vangeneberg, des dessins que l’on a jamais vus. Il y a un espace relativement important pour les expositions temporaires, un lieu de projection, un auditorium. » Un investissement totalement privé réalisé sur la cassette personnelle de Fanny Rodwell, l’ancienne épouse d’Hergé et ayant-droit de son œuvre. « Le terrain a été mis à disposition par la ville de Louvain La Neuve. La Région Wallonne a été intéressée par le concept et, parce qu’elle pense qu’il est un facteur d’attraction pour la région, elle est intervenue pour l’aménagement des abords du parc du musée, à hauteur de 80% maximum de l’investissement ». Les premiers bugdets estiment à 25 personnes le personnel d’encadrement. Pour que cela soit rentable, il faut que le musée reçoive 400.000 visiteurs par an. Est-ce possible ? « Oui, les premières années, il y aura forcément un engouement. Quand on voit ces dernières années le public qui a fréquenté les expositions Tintin, on peut penser que l’attraction sera suffisante. Après, tout l’enjeu sera de la pérenniser. Cela dit, quand je vois ce centenaire, je suis quand même sidéré par l’intérêt croissant pour l’œuvre d’Hergé, bien plus important encore que de son vivant. »
Une identité bruxelloise
Il est vrai que l’œuvre d’Hergé révèle mille et une facettes passionnantes qui méritent d’être redécouvertes. L’une d’elle est mise en valeur par l’exposition « Hergé, un ketje de Bruxelles » au Musée BELvue, face au Parc Royal, situé dans les caves du Coudenberg, une construction datant de la Bruxelles médiévale. Un écrin superbe pour une exposition un peu potache. « Quick & Flupke est une série essentiellement bruxelloise, nous raconte le commissaire de l’exposition Vincent Baudoux, par ailleurs professeur à l’Ecole de bande dessinées bruxelloise Saint-Luc. Autant Tintin parcourt le monde, autant ces personnages ne quittent jamais Bruxelles. Il y a une planche très significative : celle où Flupke regarde les catalogues de voyage pour parcourir le monde entier ; il y a Tahiti, le Maroc, la Chine, etc. et il s’achète un billet pour… Schaerbeek, une commune bruxelloise située à trois kilomètres du centre. Cest une série enracinée dans le sol bruxellois. »
Il y a aussi dans Quick & Flupke une réflexion sur le médium qu’il n’y a pas dans Tintin : « Cette série est le terrain de jeu et le laboratoire narratif d’Hergé. Il y essaie beaucoup de choses qu’il ne se permettrait pas de faire dans Tintin. Ce que l’on appelle aujourd’hui « l’autobiographie » est présent dans Quick & Flupke où Hergé apparaît dans une trentaine de planches, non seulement en tant que tel mais aussi comme acteur. Il a un rôle actif. C’est la caractéristique de la création moderne. »
Le centenaire d’Hergé n’est pas fini : A la fin de l’année paraîtra une nouvelle biographie d’Hergé signée par Philippe Goddin. Rencontré lors de cette inauguration, il nous promet des trouvailles. « J’en découvre tous les jours, nous dit-il, Avec Hergé, je crois qu’on n’en aura jamais fini ».
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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