Hein ? Quoi ? Jean Solé antisémite ? LE Jean Solé que nous connaissons depuis plus de 40 ans, le doux, le pétillant, le généreux Jean Solé, souvent mentionné sur ce site, l’illustrateur recruté par René Goscinny dans Pilote et devenu compagnon de route de Gotlib dans L’Écho des Savanes puis dans Fluide Glacial, à qui l’auteur de Gai-Luron confia de reprendre graphiquement son SuperDupont, cette figure de l’antiracisme et de la lutte contre l’extrême droite ? C’est impossible ! On marche sur la tête !
Et pourtant, le malaise est là, « viral » comme une Covid mutante, qui court la toile sous la signature de BHL d’abord, qui fait un appel de note à Je Suis Partout, une feuille haineuse antisémite parue sous l’occupation. Bien qu’il ne lâchât pas le mot « antisémite », il assortit cependant sa réflexion d’une « pensée pour Philippe Val », rappel de l’Affaire Siné, lorsque le « dessinateur enragé » avait été viré avec perte et fracas de Charlie Hebdo.
Qu’est ce que c’est dégueulasse,
demandait Jean Seberg ? C’est, avec cette Une #Macron, @sinemensuel. Non plus 1 scission de Charlie.
Mais la réincarnation de Je Suis Partout. Pensée pour Philippe Val qui eut jadis le courage de virer le fondateur de cette feuille de chou pic.twitter.com/oALT96iWJ8— Bernard-Henri Lévy (@BHL) April 7, 2021
La rumeur antisémite court jusque chez l’essayiste Raphaël Enthoven qui insère ce dessin dans le débat sur l’appropriation culturelle :
Loin de moi l’idée de faire de la concurrence victimaire, mais la couverture d’avril de @sinemensuel, avec ses breloques et son nez crochu me paraît autrement plus grave et abjecte qu’un acteur blanc qui (comme c’est son rôle et son droit) s’aventure à incarner Othello. pic.twitter.com/FTgPpYmWYF
— Raphaël Enthoven (@Enthoven_R) April 7, 2021
Tandis que Gilles Clavreul, le fondateur du Printemps Républicain et ancien Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT affirme clairement que « l’intention de dépeindre Macron en vampire capitaliste est évidente. »
La caricature parue en une de Siné Mensuel est en ligne idéologiquement avec ce journal et avec l’esprit de son fondateur, viré de Charlie pour des propos liant...grand capital, politique et judéité. L’intention de dépeindre Macron en vampire capitaliste est évidente 2/4
— Gilles CLAVREUL (@GillesClavreul) April 9, 2021
Et puis il y a Gilles Ciment sur Facebook, ancien directeur de la Cité de la Bande Dessinée et de l’Image d’Angoulême, qui fait le lien en argumentant que Solé fait, dans cette Une, opère « une imitation des caricatures antisémites. »
Il y eut la caricature diffusée par Les Républicains pendant la campagne présidentielle. Il y eut ensuite celles qui ont...
Publiée par Gilles Ciment sur Mercredi 7 avril 2021
Siné massacre encore
Cette vague virale me fait de la peine car quiconque connaît Jean Solé et son travail depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui sait qu’il n’y a pas l’once d’une intention raciste ou antisémite dans toute sa carrière. Celui qui a dessiné la couverture du Guide du Routard est sans doute l’un des plus grands illustrateurs de son époque et lui faire ce procès revient, en ces temps imbéciles où tout internaute est un procureur en puissance susceptible de réclamer la peine de mort, à salir l’honneur d’un homme.
Car ce n’est bien sûr pas Solé qui est visé dans cette affaire : affubler Macron d’une couronne royale alors que celui-ci organisa son intronisation au Louvre et s’habille régulièrement du faste napoléonien pour asseoir sa présidence, rappeler sa sentence au moment du déclenchement de la crise de la Covid (« Quoi qu’il en coûte »), démarque de celle de Mario Draghi (« Whatever it takes ») qui calma les marchés financiers en juillet 2012, le tout dans l’attitude de l’avare de Molière, n’a rien d’antisémite, objectivement.
Mais cela peut être ressenti comme tel dans la feuille satirique de celui qui, en 2009, a été débouté de sa plainte en diffamation contre le journaliste Claude Askolovitch qui avait qualifié son article dans Charlie Hebdo d’ « antisémite », mais qui, en même temps, gagna son procès contre la LICRA qui, de son côté, avait porté plainte contre lui pour antisémitisme. Un auteur qui, comme la feuille satirique qu’il a créée, prenait régulièrement des positions à l’encontre de l’État d’Israël.
Le Scud donc, est dirigé contre la feuille anarcho-gauchiste, et l’argument antisémite est dans ce cas de figure et en substance, absolument sans objet.
Alors sans doute, ce que l’on peut reprocher à Solé -qui est surtout un illustrateur et pas un dessinateur de presse- c’est d’avoir publié un dessin quelque peu ambigu qui peut être lu par tous les antisémites comme une attaque claire contre un président connu pour avoir été un ancien employé de la banque Rothschild (comme Georges Pompidou, notez bien), argument antisémite s’il en est, déjà utilisé dans un tract diffusé puis retiré par les Républicains lors de la campagne présidentielle de François Fillon .
Mais là encore, il y a méprise : ce dessin n’était pas destiné à la couverture et le titre « Quoi qu’il VOUS en coûte », n’est pas de son fait. On ne peut donc pas lui prêter cette intention.
Solé a dû sans doute être éberlué de voir son dessin ainsi retourné, multidiffusé, surinterprêté, associé aux traits immondes de La Libre Parole ou du Stürmer. Car si Siné se repaissait de l’ambiance de mitraille et des polémiques foireuses, ce n‘est pas le cas pour Solé qui ne faisait que brocarder la dérive monarchique de la Ve République comme Moisan l’avait fait avant lui pour De Gaulle en l’affublant d’une perruque à la Louis XIV ou encore Riss qui dessina Sarkozy en Bonaparte.
Je suis personnellement très choqué qu’un Gilles Ciment par exemple (il est loin d’être le seul), pour assoir sa démonstration, associe l’image de Solé aux pires caricatures antisémites de l’histoire. Comment quelqu’un qui, comme lui, a une pareille culture graphique, feint-il d’ignorer que ces dessins n’ont pas la même portée ? Car c’est l’intention qui fait l’antisémite, l’intention dénigrante, avilissante, qui tente de déshumaniser sa cible pour mieux l’éliminer.
Solé ne méritait pas cela. Je pense d’ailleurs qu’à l’avenir, il se méfiera et qu’on ne l’y reprendra plus de sitôt.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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