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John Romita Sr, ou l’élégance dynamique

Par François Peneaud le 17 juin 2023                      Lien  
Nous l'annoncions voilà quelques jours, l'un des grands artistes des comics de l'après-guerre vient de décéder. John Romita, le successeur de Steve Ditko sur Spider-Man, sut imprimer sa marque sur le personnage-phare de Marvel. Mais sa carrière ne se résume pas aux aventures de l'homme-araignée... Il est décédé le 12 juin 2023 à l'âge de 93 ans.

Né en 1930 à New York, John Romita a débuté sa carrière de dessinateur de comics à la toute fin des années 1940, quand il devint prête-plume chez Timely Comics, l’ancien nom Marvel Comics, pour un autre dessinateur.

Au début des années 1950, alors appelé sous les drapeaux, il servit en tant que dessinateur de posters patriotiques et poursuivit sa collaboration en son nom propre avec Timely, devenu Atlas Comics, pour des histoires courtes dans divers genres, que soit l’horreur, le western, la romance, etc.

John Romita Sr, ou l'élégance dynamique
John Romita, influencé en 1954 par Jack Kirby et Milton Caniff.

Il participa également à la continuation pour une brève période (1953-1954) de Captain America, parmi d’autres personnages des années 1940 aux séries interrompues entre temps qu’Atlas essayait vainement de relancer. Il faudra attendre 10 ans de plus pour que ce personnage renaisse pour de bon dans les pages de la série Avengers, sous le crayon de Jack Kirby. Romita lui-même a affirmé [1] avoir été fortement influencé à ce moment-là la fois par le travail de Kirby, co-créateur du personnage en 1941, et par son idole en dessin, Milton Caniff, l’auteur entre autres de Terry et les pirates.

Captain America, par Jack Kirby (1941) & Terry And The Pirates, par Milton Caniff (1945).

De la fin des années 1950 au milieu des années 1960, Romita travailla anonymement (une pratique largement répandue à l’époque) pour DC Comics sur des titres de romance, un genre qui connaissait alors un vrai succès éditorial depuis sa création par le tandem Joe Simon & Jack Kirby en 1947. Romita produisit de nombreuses couvertures pour DC, mais regretta dans de nombreuses interviews postérieures que l’éditeur ne lui ait pas proposé de travailler dans d’autres genres. La méthode de création des histoires de romance est notable : la couverture du comic était créée en premier, et le scénariste devait ensuite écrire une histoire inspirée de cette couverture.

Deux couvertures de romance par John Romita (1960), qui savait dessiner les femmes (et les hommes aussi).

Après l’arrêt des comics de romance et ne recevant plus de travail de la part de DC, Romita quitta pour de bon l’éditeur de Batman et Superman et retourna travailler chez Marvel en 1965, tout d’abord comme encreur, à sa propre demande. Stan Lee, qui craignait que le travail de l’artiste sur les titres de romance n’ait limité ses capacités de narrateur, lui montra les découpages de Kirby. Romita comprit vite ce que Lee recherchait et reprit bientôt son poste aux crayonnés, d’abord sur Daredevil puis, dès le départ de Steve Ditko l’année suivante, sur Amazing Spider-Man.

Couvertures (et crayonnés intérieurs) de John Romita (1965-1966).

L’artiste travailla sur le web-crawler pendant plus de sept ans, la plupart du temps aux crayonnés, mais aussi aux découpages pour d’autres artistes [2]. Le départ de Ditko sur ASM ne nuisit pas aux ventes du titre qui s’améliorèrent même, ce qui rendit John Romita particulièrement fier. Nul doute que sa capacité à dessiner des personnages féminins à la mode contribua au succès de la série.

L’une des planches les plus célèbres de Romita est d’ailleurs la présentation à l’été 1966 du personnage de Mary Jane, dont le visage était resté jusque-là dissimulé. La rousse au caractère volcanique va dès lors faire une sérieuse concurrence à Gwen Stacy, pour un trio amoureux qui n’est pas sans rappeler celui de Betty, Veronica et Archie.

Mary Jane Watson va faire de la concurrence à Gwen Stacy.

Au début des années 1970, Romita commença à assurer d’autres tâches, comme la correction des dessins de collègues, le crayonné de couvertures ou le découpage de planches. Tout cela l’amena à devenir le directeur artistique de Marvel en 1973, poste qu’il occupa jusqu’à la fin des années 1980. Cela ne l’empêcha pas de continuer à dessiner, par exemple pour le strip de Spider-Man destiné aux quotidiens, depuis son lancement en 1977 et pendant quatre ans [3].

Deux strips de Spider-Man datant de 1978.

Durant cette période, il réalisa également le design de nouveaux personnages, comme celui de Wolverine, qui apparaît pour la première fois dans The Incredible Hulk en 1974.

Design de Wolverine par John Romita.

Romita continua à dessiner jusqu’à la fin des années 2000 pour divers projets spéciaux, comme par exemple le numéro 100 de Daredevil Vol. 2, paru en 2007. Il réalise deux pages pour ce numéro-anniversaire, dans le style des comics de romance des années 1950 et 1960.

Romita en mode romance sur Daredevil en 2007.

L’héritage de John Romita reste très riche : en plus de la brillante carrière de dessinateur de son fils, John Romita Jr., son influence se fait toujours sentir à travers le travail de dessinateurs l’ayant connu comme directeur artistique. De nombreux hommages ont été exprimés après sa mort, dont celui de P. Craig Russell. Celui-ci a présenté sur son site un design de couverture de 1975 réalisé par Romita pour la série mettant en scène Killraven, alors dessinée par un Russell encore débutant.

Design et crayonnés de John Romita, encrage de P. Craig Russell.

Le dessinateur de Coraline et L’Étrange Vie de Nobody Owens commente cette publication en racontant que « Johnny a donné à ce blanc-bec plusieurs leçons en découpage et en design dans son bureau chez Marvel - ses critiques restant toujours gentilles et l’exécution du dessin toujours rapide. »

Couverture de John Romita, And All That Jazz, TwoMorrows Publishing, 2007.

John Romita (Sr.) restera dans l’histoire des comics comme l’un des artistes les plus importants de sa génération, de par son talent de dessinateur et de narrateur, qui allie l’élégance du trait et le dynamisme du découpage, ainsi que par son travail de responsable artistique qui, de nombreux témoignages l’attestent, sut influencer sans les brimer d’innombrables artistes.

(par François Peneaud)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791039109048

[1Source : interview de l’artiste.
La photo en tête de cet article a été prise par Mark Evanier.

[2Les numéros des années 1970 à 1972 d’Amazing Spider-Man viennent d’être republiés en français.
Ils contiennent également des numéros dessinés par Gil Kane.

[3De récents albums en français reprennent ces strips.

✏️ John Romita Sr Etats-Unis Décès 2023
 
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5 Messages :
  • On ne peut pas vraiment déplorer la disparition d’une personne qui a vécu si vieux mais on ne peut que s’incliner et être admiratif : vivre, dessiner et rester créatif au delà des 90 ans, comment espérer mieux ? Surtout avec un tel talent et une telle science. John Romita restera une légende des comics : maître de la lisibilité et du dynamisme, capable de découper une scène de dialogue avec la même puissance qu’une scène d’action, et de rendre passionnants les tourments psychologiques du jeune Peter Parker avec la même intensité que les bonds d’un building à l’autre de son alter-ego Spiderman. On a tous retenu quelque chose de John Romita et pour les jeunes dessinateurs ou dessinatrices qui ne l’ont pas encore fait, lisez-le, il y a mille choses à en apprendre.

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    • Répondu le 18 juin 2023 à  20:25 :

      C’est bien résumé. Ce qui est triste, c’est que ces gens qui ont créé et fait vivre les personnages qui sont encore aujourd’hui les franchises les plus lucratives du cinéma, dont le succès permet de financer toute l’industrie, ces gens-là meurent dans l’indifférence.

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      • Répondu par François Peneaud le 19 juin 2023 à  09:07 :

        Si vous parlez de l’indifférence des dirigeants de Marvel, c’est sûr.
        Par contre, l’indifférence de ses pairs et des lecteurs, heureusement non.
        D’autres artistes et dessinateurs ont eu encore moins de chance : un gros problème de santé, pas ou peu d’assurance, aucun soutien des anciens employeurs, et c’est la descente aux enfers...

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  • John Romita dans Télé Poche
    22 juin 2023 08:26, par Marc Bourgne

    Mon dessinateur de Spiderman préféré, parce que je le lisais gamin dans Strange et dans les Télé Poche de ma grand-mère qui publiaient les strips de Spidey. Mais je ne parlerais pas d’élégance pour qualifier son style, il était plus héritier de la puissance du dessin de Kirby que de la subtilité de celui de Ditko. Avec en plus un incontestable talent pour dessiner des personnages féminins à la fois sexy et forts.

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    • Répondu par François Peneaud le 22 juin 2023 à  20:15 :

      Merci pour votre message.
      J’avoue ne pas être d’accord avec vous :)
      Je trouve le dessin de John Romita tout à fait dynamique, mais je ne trouve pas qu’il dégage la même énergie que celui de Kirby. Mais tout cela est bien subjectif !

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