Du côté du cinéma, il faut bien constater que jamais grâce ne fut rendue au talent de Jean-Patrick Manchette, dont les adaptations sur grand écran furent le plus souvent vampirisées sans grand génie par Alain Delon. En bande dessinée, le résultat est plus intéressant. D’abord grâce à Jacques Tardi, qui réalisa Griffu du vivant de Manchette, avant de s’atteler au début de ce siècle à une suite d’adaptations pour Les Humanoïdes Associés, puis Futuropolis. Cependant, ces adaptations avaient toujours pour cadre le corpus classique de l’œuvre de Manchette : des intrigues sociales, très ancrées dans la France post soixante-huitarde. Tout le défi de La Princesse du sang, outre le fait qu’il s’agissait d’une œuvre inachevée, résidait dans le choix de Manchette d’entamer un nouveau cycle dans sa carrière en situant son roman dans la moiteur cubaine. Pour les adaptateurs, il fallait faire exister le style Manchette hors de son « habitat naturel »…
C’est dans la jungle cubaine que se déroule l’essentiel de l’intrigue de La Princesse du sang. Une reporter photographe du nom d’Ivory Pearl décide d’y prendre une année sabbatique, sur les conseils de son mentor Robert Messenger, militaire britannique à la retraite. Admiratrice de Robert Capa, Ivy profite de ces moments hors du monde pour réaliser un grand reportage animalier. Mais bien vite, elle rencontre un intrigant duo (un homme et une jeune fille), visiblement convoité par plusieurs puissances…
La toile de fond de ce diptyque est éminemment politique. En effet, c’est l’insurrection hongroise de 1956 qui est l’élément déclencheur d’un chantage, qui amène des non-dits en cascade puis un imbroglio géopolitique qui donne toute sa densité au récit. La course-poursuite dans la jungle qui occupe la majeure partie du second album coïncide avec le retour clandestin de Fidel Castro, Ernesto « Che » Guevara, et Raul Castro sur les terres cubaines. Alors que la guérilla communiste contre le général Batista bat son plein, la Sierra Maestra est le cadre d’une autre bataille sans merci, de laquelle Ivy et sa jeune protégée Negra vont devoir s’échapper.
Max Cabanes et Doug Headline ont réussi à donner de la cohérence à ce roman inachevé. Dans son dessin, Cabanes épouse les canons des années 50, avec Capa et le magazine Life comme références principales. Certes, le texte n’est jamais aussi bon que lorsqu’il s’agit d’un récitatif de Manchette, mais dans le délicat travail d’adaptation, Headline s’en sort avec brio.
L’intrigue est dense, complexe parfois, mais les récents films de James Bond [1] ont prouvé qu’un récit d’espionnage moderne ne doit plus forcément céder à la simplicité. Les amateurs de roman noir devraient apprécier cette Princesse du sang comme un "caviar cubain" de premier choix.
(par Morgan Di Salvia)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Commander ce livre sur Amazon ou à la FNAC
A propos de Manchette, Cabanes et Headline, sur ActuaBD :
>« Nous avons adapté Manchette à la machette ! » (entretien en octobre 2009)
>La Princesse du sang : le dernier roman de Manchette achevé en bande dessinée.
> Bellagamba T2
> Dans les villages intégrale T1 à 4, T7
> Le Petit bleu de la côte ouest
> La Position du tireur couché
> La Princesse du sang T1
[1] Casino Royale et Quantum of Solace, dont les scénarios avaient été peaufinés par le cinéaste canadien Paul Haggis, lauréat de 2 oscars.
Participez à la discussion