On l’apprend par la presse régionale, Sud Ouest et La Charente Libre : la sympathique statue de Spirou qui accueillait de son sourire et d’un coup de calot les voyageurs en gare d’Angoulême a été décapitée. Quel est le sens de cette action alors que l’on déboulonne dans le monde les statues d’esclavagistes présumés et autres représentants du colonialisme ? Simple effet de beuverie imbécile ou acte politique ? Nul ne sait. C’est flou, non revendiqué. La même mésaventure avait affecté, au même endroit, le Lucien de Frank Margerin en mars 2014.
On peut imaginer, sur le mode humoristique, une action souverainiste contre ce héros belge par trop envahissant en terre française. Rappelons en effet qu’il est question qu’un Parc Spirou s’ouvre à Angoulême sur le modèle de celui de Spirou Provence. Serait-ce une protestation locale contre ce projet ? Cette implantation est pourtant légitime : sans les Belges de l’École de Marcinelle, la ville charentaise ne serait sans doute pas devenue une « capitale de la BD ». Le premier Grand Prix d’Angoulême n’a-t-il pas été précisément accordé à André Franquin, le plus brillant dessinateur de Spirou ?
Autre hypothèse : Spirou serait un héros colonialiste. Ce vandalisme intervient alors que le Roi des Belges, Philippe 1er, vient de proclamer à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du Congo, propriété de son arrière-grand-oncle Léopold II, ses « plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés » (30.06.2020).
Colonialiste, la Belgique de Franquin l’était, sans aucun doute, avant 1960. Un numéro d’HistoriaBD actuellement en kiosque le rappelle. Comme Tintin, Spirou a traîné ses godillots dans la colonie belge : « le groom de Franquin, peut-on y lire, [apparaît] dans "Spirou et les Pygmées" (1949), "La Corne du rhinocéros" (1953), "Le Gorille a bonne mine" (1956) ou encore [dans] "Tembo Tabou" (1959) dont les éléphants sont inspirés de celui, empaillé, du Musée royal du Congo belge (devenu Musée de l’Afrique centrale à l’indépendance puis, aujourd’hui Africa Museum) à Tervuren près de Bruxelles. Ces stigmates coloniaux, on ne les reverra plus après l’indépendance du Congo en 1960... »
Un ambassadeur des Droits de l’Homme
Spirou raciste ? Pas celui-là, en tout cas. Ce Spirou-là, celui qui a été décapité, c’est celui d’Émile Bravo tel qu’on peut le lire dans Le Journal d’un Ingénu ou dans L’Espoir malgré tout, des albums considérés comme les meilleures productions antiracistes de la période actuelle, au point que l’ONU a fait du groom son ambassadeur pour la défense des droits de l’Homme en 2018 !. Est-ce ce symbole que cet acte infâme prétend illustrer ?
Ainsi va le monde aujourd’hui. Il y a des gens qui érigent les statues de façon positive pour célébrer des héros devant lesquels on s’incline pour le bien qu’ils ont apporté à une nation, à un peuple, à l’humanité. Ces représentations servent la mémoire quand d’autres tendent à l’effacer. Abdel Kader, Rosa Parks, Nelson Mandela doivent aider à faire la pédagogie du colonialisme, du ségrégationnisme ou de l’apartheid.
Spirou a un tout autre statut : c’est une icône qui a embelli l’enfance de milliers de gens et qui a contribué à faire connaître Angoulême à l’autre bout du monde, de Pékin à San Diego. Pourquoi la détruire ? La bêtise, une fois encore, s’illustre dans l’actualité.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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