Comme souvent chez Jean Dytar, dont on se souvient de l’incroyable « J’Accuse ! » sur l’Affaire Dreyfus, le jeu formel est de rigueur. Deux fils narratifs s’entrecroisent : celui de Germain Nouveau, jeune poète d’Aix en Provence introduit dans les cercles littéraires parisiens par Paul Cézanne ; et celui, désormais bien connu, de la relation entre Paul Verlaine et Arthur Rimbaud dont l’aventure amoureuse fut marquée par un drame : à Bruxelles, une violente dispute quelque peu avinée amène l’auteur de Sagesses à tirer sur son amant. Cela vaut à Verlaine deux ans de prison en Belgique.
Ce que l’on découvre dans cet album, c’est que ce satané Rimbaud en pinçait aussi pour Germain Nouveau (ou inversement, on n’en sait rien) et que celui-ci a joué un rôle majeur dans le sauvetage du manuscrit du célèbre recueil des Illuminations du poète aux semelles de vent, recueilli par Verlaine au cours d’une ultime rencontre avec Rimbaud à Stuttgart. Le jeune Aixois n’eut pas le même destin que les deux autres poètes puisque, tombé dans la folie, il mourut dans la misère, mendiant à la sortie de la messe de la cathédrale d’Aix, son nom ayant sombré dans les limbes de l’Histoire.
Ce sont trois personnages fantomatiques dont on ne sait finalement que des bribes de faits que Laurent-Frédéric Bollée et Jean Dytar nous ressuscitent ici dans une langue qui rend hommage à ces figures de la Littérature. Le dessin tout en nuances de Jean Dytar nous les restitue dans toute leur humanité qui nous pousse a relire ces vers de Verlaine écrits en prison après ses tirs de revolver sur Rimbaud [1] :
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu’on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
– Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Les Illuminés – Par Laurent-Frédéric Bollée et Jean Dytar – Ed. Delcourt / Mirages
[1] Paul Verlaine, Sagesse (1881)