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Les Mondes de Thorgal – La Jeunesse T. 8 – Les Deux Bâtards – Par Roman Surzhenko et Yann – Le Lombard

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 mai 2020                      Lien  
37 albums de la série régulière, 8 albums de la série Kriss de Valnor, 7 albums de Louve et enfin 8 albums de La Jeunesse, cela fait 60 aventures que la série Thorgal décline, dont 29 signés Jean Van Hamme. Pour la première fois, davantage d’albums ont été signés par d’autres scénaristes que par le créateur d’origine. Avec principalement Yann à la barre. Et il la tient fermement.

Débutée en 1977 dans le Journal Tintin, la série Thorgal est vraiment celle qui a mis Jean van Hamme sur l’orbite des best-sellers de la bande dessinée. Il y a la qualité du scénariste, certes, sans doute le plus brillant de sa génération, qui a réussi à faire de « l’enfant des étoiles », un guerrier à la force et à l’intelligence hors normes, une figure quasi-mythologique. On y retrouve des éléments présents dans son Epoxy (1968), œuvre fondatrice, et dans les Corentin qu’il réalisa pour Paul Cuvelier : un souffle mythique voire mystique, servi par un dessin d’une rigueur académique mais aussi d’une sensualité picturale comme il n’en existait aucun d’autre à l’époque, et surtout pas dans le Journal Tintin.

Un dessinateur d’exception

On nous a souvent servi la fable d’un hebdomadaire régenté par Hergé. Si cela a été vrai quelques années, Cuvelier était le contre-exemple d’un créateur qui, contrairement à d’autres, échappait au canon de la Ligne claire bruxelloise. Mais Cuvelier était un personnage fantasque. Cet Ingres de la bande dessinée rêvait d’une carrière à la Aslan où il pouvait produire des illustrations de pinups très bien payées tout en lutinant ses modèles. Mort en 1978, il n’a jamais eu l’occasion d’accomplir ce désir. Greg avait bien senti le personnage, qui refila le dessinateur lensois au jeune Jean van Hamme qu’il couvait comme son successeur.

Arrive Grzegorz Rosiński, armé de pied en cap grâce à une solide formation académique classique et à une carrière d’illustrateur en Pologne qui faisait de lui un dessinateur très aguerri. Il apporte d’emblée la sensualité que Jean van Hamme avait trouvée chez Cuvelier, mais aussi une capacité à dessiner des ambiances et des décors éminemment naturalistes. Ses paysages de neige, ses puissantes montagnes, ses mers déchaînées sous la pluie battante, nul mieux que Rosiński ne pouvait porter Thorgal à un tel sommet. Dans les 29 volumes qu’il signe avec Van Hamme, il n’y a quasiment rien à jeter, tout est bluffant. Sous nos yeux se forge l’une des dernières grandes figures mythiques d’un XXe siècle qui n’en manquait pas pourtant. De la puissance et du sens, souvent servis par une couverture aux incontestables qualités picturales (la couverture de cet album est encore de lui). La série résista au déclin du Journal Tintin et s’installa comme une valeur sûre dans nos bibliothèques.

Les Mondes de Thorgal – La Jeunesse T. 8 – Les Deux Bâtards – Par Roman Surzhenko et Yann – Le Lombard
Les Mondes de Thorgal – La Jeunesse T. 8 – Les Deux Bâtards – Par Roman Surzhenko et Yann
© Le Lombard

Une reprise honorable

Puis vint l’heure de la succession. Jean van Hamme passe le relais à Yves Sente, puis à Yann et, brièvement, Xavier Dorison, tandis que Rosiński passait le dessin à d’autres praticiens. Dont Roman Surzhenko qui, comme Rosiński, a reçu une solide éducation classique. Disons-le tout net : le Russe n’a pas la qualité du Polonais : ses ambiances sont moins fouillées, moins habiles et moins artistiques que celles de son mentor. Mais son dessin est solide, bien structuré, et son storytelling tient la route. Il lui manque ces quelques morceaux de bravoure, ces soli nécessaires à une œuvre ambitieuse. Est-ce la distance entre le scénariste et le dessinateur qui habitent respectivement la Belgique et la Russie qui empêchent cette fusion ? Une production trop abondante ? Ou simplement le fait que, comme Russe, il n’est pas baigné dans le marigot francophone et qu’il ne ressente pas la nécessité de tels morceaux de solo ? Toujours est-il que son dessin repose davantage sur les clichés graphiques et s’avère moins "observé" que celui de son prédécesseur.

En ce qui concerne le scénario, Yann est incontestablement un superbe raconteur d’histoires enchaînant les séquences avec habilité. Mais à force -et c’est l’apanage d’une série longue- on n’échappe pas au sentiment d’un tirage à la ligne. Ce qui chez Van Hamme, un obsédé de la séquence efficace, sans fioritures et sans gras autour, n’arrive quasiment jamais.

Il reste que cette jeunesse de Thorgal où se forge son amitié avec « Sveyn-le-bâtard » et où les Thorgal et Aaricia à peine adultes affrontent le terrible « Dent bleue », nous donne une aventure agréable à lire, qui respecte et perpétue dignement la série d’origine.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN : 9782803674640

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8 Messages :
  • Avant même la profusion des albums au travers des séries parallèles, la série mère, elle-même, s’est perdue en cours de route. Van Hamme et Rosinski, eux-mêmes, se sont un peu tiré une balle dans le pied. Et pourtant, je suis fan et respectueux de ces deux auteurs... Mais Van Hamme a commis l’erreur de nous sortir des histoires moins bonnes à partir du tome 18. Après XIII, il nous a aussi refait le coup du héros amnésique : grosse erreur, grosse ficelle. L’erreur de Ronsinski, quant à lui, a été de dessiner moins bien (ou trop vite pour produire plus). J’imagine qu’il y avait une pression de l’éditeur derrière, certes... mais les lecteurs ne sont pas des abrutis. Et quand on s’applique moins dans le dessin, quand on encre directement ses planches et bien, tout le monde s’en rend compte et le plaisir de la lecture d’un nouveau Thorgal n’y est plus. Sans parler du visage de Thorgal qui se déforme : on le reconnaît de moins en moins (cf. couverture du tome 27). Rosinski est un artiste, il aime changer sa manière de dessiner mais tous ces changements n’ont pas été bénéfiques pour la série. Pour moi, le dernier bon album de Thorgal est le numéro 17. Après...

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    • Répondu par kyle william le 5 mai 2020 à  12:52 :

      C’est vrai qu’il ne faut jamais prendre ses lecteurs pour des abrutis. Même si on ne peut pas faire totalement l’impasse sur le fait que certains en sont.

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      • Répondu par Eric B. le 5 mai 2020 à  17:49 :

        Le gros défaut de l’être humain, c’est d’avoir une trop grande facilité à prendre les autres pour des cons. Mais tout le monde a un cerveau, des yeux, des oreilles... et de la mémoire !

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        • Répondu par kyle william le 6 mai 2020 à  08:29 :

          Absolument. Pour revenir au sujet, je ne pense pas que Rosinski n’aie jamais pris ses lecteurs pour des abrutis. Par contre les éditeurs de Thorgal les considèrent comme de bons clients.

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          • Répondu par Eric B. le 6 mai 2020 à  11:14 :

            Je ne pense pas non plus que Rosinski ait pris ses lecteurs pour des imbéciles mais il a cédé à la facilité et s’est mis à produire des planches de moins bonnes qualité. Clairement dès le tome 18... peut-être même un peu avant. A l’inverse, il a continué à assurer grave sur la qualité des couvertures et ce, pour toute la collection complète, toutes les séries et ça c’est un très bon point ! Pour en revenir à son dessin, les lecteurs ont perdu la qualité de son trait en noir et blanc, ce qui faisait de lui un grand artiste, comme quand il faisait aussi le Chninkel. Pire, il a voulu passer à la couleur directe et même là, ça n’a pas été une réussite. Lui-même le dit : un artiste aime changer sa manière de travailler alors que les lecteurs voudraient que ce soit toujours dans le même style, comme au début (et avec de plus en plus de qualité). Rosinski le reconnaît lui-même : il n’était peut-être pas fait pour faire de la BD... Replongez vous dans les anciens albums de Thorgal et vous verrez vite ce qu’on a perdu en cours de route et finalement assez vite...

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            • Répondu par kyle william le 6 mai 2020 à  13:36 :

              Pas besoin de m’y replonger. Son passage à la couleur directe m’avait laissé pantois à l’époque. Et il ne s’est pas amélioré, à l’inverse d’Hermann.

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              • Répondu par Eric B. le 6 mai 2020 à  18:05 :

                Hermann... oui et non. Je regrette vaiment sa technique des 10, 15 premiers Jérémiah. Son trait de l’époque me manque.

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