L’anarchisme, ce n’est pas uniquement l’image que la société bienpensante depuis le début du vingtième siècle nous impose. Certes, la Bande à Bonnot appartient, dans l’imaginaire collectif, beaucoup plus au grand banditisme qu’à la révolution sociale. C’est d’ailleurs ce qui avait ulcéré Léo Malet à la sortie du film avec Jacques Brel.
L’anarchisme, c’était la volonté de rassembler différentes philosophies, différentes idées, autour d’un thème : celui de la liberté, celui de contrer tous les autoritarismes. Le mot libertaire, dans ce sens, élargit la notion de l’anarchie en y ajoutant, philosophiquement et phonétiquement, une référence à tout ce qui peut et doit être égalitaire.
Tout cela pour replacer le récit de ces deux livres dans un contexte précis, tout cela pour insister sur le fait que l’Histoire, la grande, l’officielle, se nourrit aussi d’une violence assumée par le monde intellectuel… Parce que toutes les idéologies, finalement, finissent par se ressembler au vu de leurs dérives criminelles…
« Le Vent des Libertaires », c’est l’histoire de Nestor Makhno, un Ukrainien qui, au début du vingtième siècle, s’est vu devenir chef de guerre, avec comme idéal de créer dans son pays un monde égalitaire, et donc devant se battre contre les propriétaires. « Le Vent des Libertaires », c’est l’épopée de cet homme qui, issu du monde paysan, a appris en prison à mettre des mots sur ses révoltes. Et qui, sortant de prison, devenant cosaque, a ajouté à ces mots le poids d’une violence extrême.
Ainsi, c’est toute une tranche de l’Histoire du vingtième siècle, de la Russie, de l’URSS qui est mise en scène, superbement, dans ces deux livres.
Une Histoire qui éclaire celle d’aujourd’hui, et cette opposition armée, guerrière, entre l’Ukraine et l’URSS, toujours d’actualité. Une opposition qui, sans doute, prend sa source dans cette époque qui précède et, surtout, suit celle de la prise de pouvoir à Moscou par Lénine.
Parce que Nestor Makhno n’a pas eu à se battre que contre les propriétaires et les exploiteurs. Il a dû le faire contre les Russes blancs, également, contre l’occupant allemand. Avec, à chaque nouveau combat à mener, une cruauté de plus en plus sanglante et injuste.
Ces deux livres nous offrent donc un portrait, celui d’un homme qui a véritablement été un chef de guerre, efficace, violent, sans pitié, habité par un idéal qui, pour prendre vie, se devait, pour lui, d’être impitoyable. Sous un étendard noir, celui de l’anarchie, il a été à la tête de milliers d’hommes, soutenu un temps par les Bolchéviks obligé, ensuite, de les affronter après la trahison, à son encontre, de Trotsky.
Si ce diptyque évite le manichéisme et l’angélisme, c’est grâce d’abord à la volonté de montrer les protagonistes historiques sous leur vrai jour. C’est aussi par le talent du scénariste Philippe Thirault qui, mêlant fiction et réalité historique avérée, parvient à parler de mort, de tueries, mais aussi de famille, d’enfance, d’amour, de désir. Si ce diptyque se révèle passionnant, c’est bien entendu aussi grâce au scénario sur lequel souffle un vent épique, de part en part, mais un vent qui laisse la place, aussi, à des moments d’intimité.
Et puis, il y a le dessin de Roberto Zaghi, d’un réalisme théâtral évident, d’une espèce de démesure qui fait penser à un opéra. Ce réalisme donne vie autant aux tueries immondes qui ont lieu qu’aux folies des étreintes amoureuses.
La réussite de ce récit en deux volumes naît aussi de la couleur d’Annelise Sauvêtre, qui, de bout en bout, nimbe de lumière toutes les péripéties de l’histoire racontée.
En une époque qui, sans frémir, voit se multiplier des pouvoirs politiques ressemblant de moins en moins à des démocraties, ailleurs, ou bien plus près de chez nous, ce « Vent des libertaires » est une saine lecture. Parce qu’elle fait réfléchir, parce qu’elle met en perspective les combats quotidiens qui, peut-être, nous attendent, avec ceux qui eurent lieu et qui, de par leurs violences extrêmes, n’ont pas réussi à faire de la liberté rêvée une liberté vécue…
(par Jacques Schraûwen)
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Le Vent des Libertaires - par Roberto Zaghi, Philippe Thirault et Annelise Sauvêtre – Les Humanoïdes Associés – 2 volumes - Sortie du dernier tome : mars 2020
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