Rudi Vervoort, le Ministre-président du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ne s’attendait sans doute pas à pareille situation. Alors que celui-ci remettait le prix Saint-Michel de l’avenir à Louise Joor pour son album Kanopé, celle-ci profita de la tribune qui lui était accordée pour interpeller les politiques sur la situation des bédéistes. Rejointe plus tard par Paul Cauuet, co-lauréat du prix Saint-Michel du meilleur album qu’il reçut des mains de Joëlle Milquet, la nouvelle ministre de la culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ceux-ci ont accepté de commenter cette intervention.
Bonsoir Louise Joor, pouvez-vous vous présenter ?
Louise Joor : Je suis l’auteure de Kanopé et la gagnante du prix Saint Michel 2014 de l’avenir. Je suis très heureuse d’être la lauréate de ce prix car c’est mon premier album.
Durant votre discours, vous avez lancé un appel aux politiques afin de les sensibiliser sur la situation des auteurs de bande dessinée en Belgique. Avez-vous connu beaucoup de difficultés ?
Louise Joor : Oui, effectivement. Se lancer dans une carrière artistique n’est déjà pas facile car il y a énormément de monde dans ce secteur. Quelque part, c’est un peu normal, mais là où le bât blesse c’est que nous ne sommes vraiment pas soutenus au niveau administratif ! Vu qu’il y a de nombreux politiques à cette cérémonie et qu’ils ont tous vanté l’importance de la BD dans le patrimoine belge, je me devais de leur parler de nos difficultés. C’est vrai qu’il existe beaucoup de choses pour soutenir les artistes, mais je trouve que les jeunes auteurs sont un peu délaissés. Maintenant, je ne connais pas la situation en France. Peut-être que Paul pourrait nous éclairer sur ce sujet.
Paul Cauuet : C’est vrai que lorsque l’on débute dans ce milieu, on est un peu livrés à nous-mêmes. Excepté nos éditeurs, nous avons peu de contacts avec toute la chaîne de production du livre. Nous n’échangeons pas ou peu avec le secteur de l’imprimerie, par exemple. Nous sommes aussi peu familier avec le système d’imposition propre à notre métier. Lorsque l’on commence, on découvre que l’on doit payer des cotisations à l’AGESSA, la sécurité sociale des auteurs. Je ne sais pas comment cela se passe en Belgique, mais en France, il n’y a pas vraiment de statut d’auteur. Du coup, il y a beaucoup de zones d’ombre et on ne sait pas toujours comment avancer dans notre métier.
Louise Joor : C’est pareil en Belgique, il n’y a pas non plus de statut d’auteur. Même SMartbe, la Société Mutuelle pour artistes en Belgique n’est pas adaptée pour les personnes qui ne perçoivent que des droits d’auteurs. On a le choix qu’entre les statuts de "salarié" ou d’"indépendant" mais aucun d’eux ne correspond à notre profession ou ne favorise notre situation. C’est pour cela que j’ai poussé mon coup de gueule !
Votre réaction n’est pas isolée, malheureusement. Cela fait un moment que les auteurs, même les confirmés, se plaignent de leur situation. Certains tels que Philippe Bonifay et Bruno Maïorana ont même annoncé l’arrêt de leurs carrières dans le 9ème art. Au-delà des effets d’annonce et vu qu’en France comme en Belgique, il y a de nouveaux ministres de la culture, qu’attendez-vous concrètement de la part des pouvoirs publics ?
Louise Joor : Que ce soit en Belgique ou en France, c’est difficile dans les deux cas, mais, de manière différente. En ce qui me concerne, j’attends de leur part qu’ils prennent conscience de notre situation au niveau administratif et qu’ils mettent en place des mesures adaptées aux réalités du terrain.
Paul Cauuet : Le problème du statut social des auteurs de BD en France, c’est que jusqu’à présent nous payons peu de cotisations pour la retraite parce que nous savons que celle-ci ne sera pas importante. Dans le même temps, nous sommes exclus du chômage. Pour illustrer mon propos, je peux prendre le cas des intermittents du spectacle qui ont beaucoup de problèmes à ce niveau là. Les politiques aimeraient que le statut des auteurs de BD entrent dans la même case que d’autres statuts de travailleurs, sauf que nous sommes tellement paupérisés à la base que nous ne pouvons pas cotiser de la même manière que les autres. Et même si nous pouvions le faire, nous n’aurions quand même pas accès aux même droits comme le droit au chômage.
Pour nos lecteurs qui ne seraient pas familiers de la situation sociale des auteurs de BD, quel type de contrat signez-vous lorsque vous entrez chez un éditeur ?
Louise Joor : Un auteur de BD n’est pas un salarié car il n’a pas de patron à proprement parler. C’est un contrat signé entre deux parties, le ou les auteurs et un éditeur.
Paul Cauuet : Ce qui va bientôt changer en France, c’est qu’avant, nous avions le droit de choisir des seuils de cotisations pour la retraite selon nos revenus et la plupart cotisaient au plus bas parce que le résultat au final n’était de toute façon pas intéressant. Mais en 2016, cela risque de changer. Tout le monde payera dans le cadre de la complémentaire-retraite un pourcentage sur les revenus qui sera le même pour tout le monde.
Louise Joor : Mais vous êtes encore bien en France parce que ce qui va vous arriver est déjà en place chez nous ! Dans mon cas, j’ai dû choisir le statut d’indépendant comme pas mal de mes collègues mais, en Belgique, lorsque tu es indépendant, tu as tout de suite une grosse somme à payer. Je suis une jeune auteure, c’est mon premier livre et j’ai dû "cracher" l’équivalent d’un mois... non, deux mois. Tu vois comment c’est n’importe quoi ?! Je comprends pourquoi vous râlez !
Paul Cauuet : Tu sais, les Français sont de grands râleurs. On n’est jamais contents de toute façon (rires).
Voir en ligne : La Fête de la BD de Bruxelles
(par Christian MISSIA DIO)
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En médaillon : Louise Joor
Crédit photo : DR
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