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Lune Noire, retour sur un projet cross-média ambitieux

Par Thomas FIGUERES le 9 août 2019                      Lien  
Le premier "Quart de Lune" de Sheldon, rappeur, ingénieur du son, beatmaker et surtout membre fondateur du collectif d’artistes parisiens 75e session, sortait sur YouTube il y a un peu plus de trois ans maintenant, le 7 juillet 2016. Accompagné d’un clip en stop-motion dessiné par ses soins, à la fois élégant et intrigant, le texte ultra-référencé du rappeur parisien marquait l’avènement de l’univers "Lune noire" qui n’a cessé de s’étendre depuis. Retour sur un projet ambitieux mêlant musique, dessin et jeu vidéo !

La musique de la 75e session est le résultat d’influences multiples parmi lesquelles la culture dessinée japonaise tient l’une des places les plus importantes. Pour le projet Lune noire, le collectif d’artistes, mené par Sheldon, instigateur du projet, a décidé d’inverser le processus créatif en développant une bande dessinée à partir des quatre titres composant le projet musical "Quart de Lune". C’est précisément de cette bande dessinée que nous nous apprêtons à vous présenter. Sa parution débutait le 2 avril dernier sur le compte @sheldragon, à l’occasion de l’annonce du grand retour du projet Lune noire avec la mise en ligne une semaine plus tard du clip du 2/4 Quart de Lune.

Lune Noire, retour sur un projet cross-média ambitieux
© 75e session

Alors oui, le temps de maturation du projet a été long puisque trois ans se sont écoulés entre le premier et le second clip, marquant le début de la publication de la bande dessinée. Mais cela a permis la publication d’un projet abouti, où texte rappé et récit illustré se complètent et s’imbriquent dans un univers absorbant.

La publication d’une bande dessinée sur Instagram n’a, en soi, rien de bien innovant, et comme d’autres avant lui, le rappeur a su s’approprier le format carré que propose le réseau social pour le transformer en gaufrier de bande dessinée. L’intelligence de Sheldon et des deux dessinateurs, Kaypash et Dylan Martin Treadwell, dans l’utilisation de ce médium de publication réside dans leur transgression de l’inaltérable format carré. Afin d’éviter de dessiner une saynète par case, format qui aurait offert un rendu très ramassé et visuellement peu attrayant sur le profil publiant les planches, les artistes ont fait le choix de faire de ces petits carrés, les pièces d’ensembles plus importants. On découvre ainsi des planches allant jusqu’à s’étaler sur toute la largeur que propose le site web, soit trois cases, et allant jusqu’à trois cases de hauteur.

© 75e session

Que raconte cette bande dessinée - que nous vous conseillons de lire sur téléphone, l’appareil minimisant les écarts entre les cases ? Un jeune garçon, né au sommet d’une montagne, se retrouve emporté par les vents. Victime d’un accident et équipé de prothèses de fortune, l’enfant décide de se rendre en ville dans le but de retrouver ses semblables, mais la Lune noire, à la présence oppressante, le suit.

Il débarque en ville en plein carnaval et est recueilli par la patronne d’une maison close qui le prend sous son aile, le materne et va l’aider à entrer en contact avec ses camarades. Ces derniers vont le rejeter du fait de ses différences et pousser la cruauté jusqu’à lui dérober sa chère peluche ainsi que le sac de billes que lui avait confié la patronne de la maison close pour se familiariser avec les autres. Dès lors, un terrible orage débute, les intempéries semblent fluctuer en fonction des émotions de l’enfant et celui-ci est épris de tristesse et de colère, de rancune envers ses semblables. Aidé par les vents, il déchaîne les éléments sur la bourgade.

© 75e session

Une fois revenue de sa transe destructrice, le jeune enfant subit le contrecoup de sa colère et éprouve remords et regrets. Il décide alors de prendre la mer et vogue vers de nouvelles contrées. Il va y apprendre à maîtriser sa force et ses émotions ainsi qu’à contrôler ses pouvoirs. Ce voyage initiatique, aux teintes oniriques, le mènera jusqu’à une mystérieuse forêt enchantée où les secrets de Lune noire se révéleront à lui…

Sans être la performance dessinée de l’année, cette bande dessinée parvient à transporter son lecteur dans un finish cosmique relativement grandiose. Si certains défauts des dessinateurs parcourent le récit de bout en bout, ils finissent par être assimilés par le lecteur identifiant ainsi le style de l’artiste et l’incorporant au sein d’une œuvre plus large.

© 75e session

Concernant la couleur maintenant, celle des dernières planches sont faites à la trame à la façon d’un manga, rappelant l’influence de la culture nipponne sur les productions issues de la 75e session. Le studio et lieu de création du collectif francilien s’appelle par exemple Le Dojo, lieu que la web-série documentaire 75e session, la famille du Dojo produite par Radio Nova vous invite à découvrir en compagnie de ses divers membres, vidéastes, rappeurs, techniciens, etc.

© 75e session

Cette génération de rappeurs, née dans les années 1990, a baigné toute son enfance durant dans la culture manga, abreuvée par les œuvres-culte que sont Dragon Ball, One Piece ou encore Naruto. Cet esprit shônen de dépassement et réalisation de soi, imprègne les lyrics de toute cette génération d’artistes qui ont transposé leurs lectures à l’exercice de style qu’est l’egotrip [1].

Mais cet esprit shônen n’est pas la seule concomitance existante entre le manga et le rap de la 75e session. Nous pourrions par exemple citer le titre Necronomicon du rappeur Népal où est samplé le bruit produit par la réalisation de jutsu de l’animé Naruto ou encore les textes de Sheldon foisonnants de référence à la culture nipponne, comme cette phase où le rappeur fait référence au célèbre Château dans le ciel d’Hiyao Miyazaki :

La gamine marche avec un bâton dans l’dos
Au-d’ssus d’sa tête y’a un château dans le ciel

L’univers de Lune noire s’est également vu agrandir d’un jeu vidéo, portant encore plus loin les ambitions cross-média du crew parisien. La sortie de Lune noire – Le jeu, disponible gratuitement sur internet, vint alors compléter le cinquième projet de l’artiste, intitulé RPG, sorti en mai 2018, où Sheldon prenait pour thème principal la culture vidéoludique. Inutile de vous préciser que les références à la culture japonaise et aux mangas étaient encore omniprésentes !

© 75e session

À l’heure de la publication de cet article, la bande dessinée de Sheldon n’est pas encore achevée et s’est arrêtée sur la fin du chapitre Lune le 29 juillet dernier. Le môme ne devrait toutefois plus tarder à achever sa quête du fait que le quatrième et dernier titre du pendant musical du projet est sorti le 5 juin.

Mais qu’attendre pour la suite ? Faut-il espérer une parution papier du récit ? Le travail éditorial à réaliser sur un projet de ce genre représente un réel défi, chaque médium venant compléter les autres. Dans l’attente de nouvelles informations, nous vous invitons bien évidemment à vous plonger dans l’univers foisonnant de cet artiste multi-casquettes.

(par Thomas FIGUERES)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Retrouvez sur Internet :

- @Sheldragon, compte Instagram de Sheldon
- Sheldon - 1/4 Quart de Lune
- Sheldon – 2/4 Quart de Lune
- Sheldon – 3/4 Quart de Lune
- Sheldon – 4/4 Quart de Lune
- Lune noire – Le jeu

[1L’egotrip est construit sur l’accumulation de punchlines où le rappeur cherche à s’autoproclamer de la manière la plus flamboyante possible comme l’unique prodige du rap.

 
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