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Maël Nonet : "À Nantes, le café-librairie Les Boucaniers ne sera pas une librairie classique"

Par Tristan MARTINE le 20 novembre 2019                      Lien  
Nantes est une ville à part dans le paysage de la bande dessinée française : elle possède un local dédié au Neuvième Art, la Maison Fumetti, et compte parmi ses habitants de nombreux auteurs et maisons d'édition, dont pas moins de cinq éditeurs BD indépendants. Ces derniers se sont entendus pour créer un café-librairie d'un genre nouveau, au nom prometteur : Les Boucaniers, . Nous avons interrogé Maël Nonet, à la tête des éditions Rouquemoute et à l'initiative du projet, sur les contours de celui-ci.

Pouvez-vous nous présenter ce projet et nous en expliquer la genèsel ?

Les premières bases de ce projet sont nées fin 2018, à mon initiative. Entre éditeurs nantais, nous essayons autant que possible de s’entraider en mutualisant par exemple des stands sur des festivals BD. Nous nous voyons et échangeons régulièrement. L’idée était de renforcer nos reins financiers en développant nos ventes directes, car la vente en librairies a bien du mal à suffire pour financer nos activités.

Cet aspect est d’autant plus criant en festivals où nous avons tous besoin de vendre autant de livres que possible, ne serait-ce que pour rembourser les frais liés à la tenue d’un stand et renforcer, quand tout va bien, notre trésorerie en prévision de la prochaine facture d’impression à payer… Non pas que les libraires ou les diffuseurs ne jouent pas le jeu vis-à-vis des éditeurs indépendants : tout le monde pâtit de la surproduction au niveau de la bande dessinée. Les murs des librairies ne sont pas extensibles et nos catalogues peinent à trouver la visibilité qu’ils méritent.

Nous avons donc discuté de ce projet, à savoir avoir un lieu à Nantes où nous pourrions proposer à la vente l’intégralité de nos catalogues et organiser des événements pour les promouvoir. Fin 2018, j’ai eu l’opportunité de me positionner sur l’acquisition d’un local en plein cœur du quartier de la création sur l’île de Nantes. Avec le soutien de partenaires locaux, je me suis jeté dans l’aventure et ai impulsé ce projet auprès des autres éditeurs BD indépendants nantais. Je crois pouvoir dire que l’enthousiasme collectif a été immédiat et spontané. Une belle aventure nous attend désormais !

Maël Nonet : "À Nantes, le café-librairie Les Boucaniers ne sera pas une librairie classique"
L’Ile de Nantes

Il existe à Nantes de nombreuses librairies de bande dessinée. Pourquoi en fonder une nouvelle ?

C’est une excellente question et c’est une priorité au niveau du positionnement que nous souhaitons confier à ce projet. Le café-librairie Les Boucaniers ne sera pas une librairie classique, au sens où cela sera un lieu qui fonctionnera surtout avec de l’événementiel. Pour attirer un public à venir s’intéresser à nos catalogues, il faudra séduire en proposant quelque chose de différent qui mette vraiment en valeur le savoir-faire local en matière d’édition de bandes dessinées. Nous ne nous plaçons pas en concurrent direct des librairies BD locales. Nous voulons être un maillon complémentaire. Déjà, la durée de vie de nos livres reste limitée dans les librairies : bien souvent, les libraires n’ont en rayon que nos nouveautés. La surproduction entraîne une durée de vie raccourcie de nos titres car il faut rapidement faire de la place aux nouveautés qui arrivent en masse...

« Un circuit court adapté au monde de la culture »

Le café-librairie sera donc le seul lieu où tous nos catalogues seront consultables en intégralité et proposés à la vente. Ensuite, c’est un café associatif, la logique de rentabilité s’inscrit dans une démarche alternative, basée sur un état d’esprit où nous nous positionnons de manière fédérée et solidaire, dans l’intérêt de tous, avec l’envie de mettre en valeur l’idée d’un circuit court adapté au monde de la culture, de l’éditeur aux lecteurs. D’autant plus que chacun essaie autant que faire se peut de faire imprimer ses livres localement, comme Rouquemoute avec l’imprimerie Pollina en Vendée.

Ce type de démarche est assez unique en France et Nantes a cette particularité d’héberger cinq éditeurs BD indépendants qui s’entendent concrètement. Ce lieu sera aussi l’occasion de croiser nos publics, nous partons du principe que nos lectorats et nos catalogues sont complémentaires. Enfin, ce lieu favorisera des synergies et des partenariats de bon sens : si l’un de nos auteurs vient dans le cadre d’un événement organisé aux Boucaniers, il sera alors dans l’avantage de tous de mutualiser et d’optimiser sa venue pour proposer des dédicaces dans les autres librairies BD nantaises. L’objectif est donc aussi, à terme, de développer nos ventes dans les autres librairies de la ville. Avoir un café-librairie à disposition permettra aussi d’inviter les libraires et les médias locaux à des événements voués à faire connaître nos nouveautés.

De gauche à droite : Mariane Palermo, Thierry Bedouet, Bérengère Orieux, Pierre Jeanneau, Maël Nonet, Karine Parquet, Dominique Huet, Martina Pacifici (crédit : Julie Charrier-Jego)

Vous êtes cinq éditeurs différents : quelles sont les spécificités de vos cinq catalogues respectifs : n’y a-t-il pas de risque de vous faire concurrence ?

C’est tout le contraire ! Au-delà de l’excellente entente entre nous, nos catalogues sont avant tout complémentaires. La ligne éditoriale de Rouquemoute est spécialisée dans l’humour. Celle d’Ici Même dans les romans graphiques. Les éditions Petit à Petit excellent dans la BD documentaire, un genre bien à part. Polystyrène est spécialisée dans le livre-objet. Quant à Vide Cocagne, elle publie surtout des albums engagés, avec une ligne éditoriale plutôt militante, qui donne la part belle aussi aux jeunes auteurs. De fait, il n’y a pas de concurrence entre nous. Nous ne visons pas le même lectorat et c’est pour cela que l’idée de croiser nos publics ne peut qu’être bénéfique à tout le monde. L’union fait la force, nous en sommes convaincus. Avoir une structure associative qui nous fédère nous permettra aussi de porter des projets collectifs auprès des partenaires locaux.

Esquisses réalisées par Solène Rousseau

Comptez-vous ouvrir le lieu à la vente d’albums d’autres éditeurs ?

Oui, au niveau de la région Pays de la Loire. Nous avons par exemple noué un partenariat avec le réseau Coll.Libris qui fédère tous les acteurs de la chaîne du livre dans la région. Cela signifie que les maisons d’édition locales qui ne font pas de la BD pourront aussi avoir certains de leurs titres proposés dans les rayons du café-librairie au sein d’un espace dédié, sous réserve qu’elles soient adhérentes à Coll.Libris.

Ces maisons d’édition pourront également organiser des événements pour promouvoir leurs auteurs et leurs catalogues. On retrouve d’ailleurs là l’envie de croiser les publics… Le café-librairie sera également ouvert aux collectifs d’auteurs et de fanzines (comme le Chakipu à Nantes) ainsi qu’aux auteurs auto-édités. Ils pourront également proposer et organiser des événements aux Boucaniers.

Pour le moment, nous ne prévoyons pas la vente d’albums de maisons d’édition extérieures à la région. Mais nous n’excluons pas cette possibilité car il peut être intéressant pour les Nantais de découvrir le travail d’autres maisons d’édition BD indépendantes. Je pense par exemple à 6 pieds sous terre qui a également ouvert un café-librairie du côté de Montpellier. Il y a forcément des synergies à créer entre les projets. Et puis sincèrement, nous sommes tellement contents de nous retrouver en festival que nous serions bien cons de ne pas provoquer des retrouvailles dans un autre contexte. Et pour le coup, un café-librairie, c’est l’idéal.

Le logo des Boucaniers dessiné par Soulcié

À part la vente de bandes dessinées, quelles activités comptez-vous proposer ?

Le café-librairie s’inscrit dans une logique associative, il est prévu dans les statuts que l’association ne se contente pas de la seule vente de livres. Son action visera donc à créer ou accueillir des événements en lien avec la bande dessinée, comme des expositions, des braderies de livres défraîchis ou sortis du réseau de distribution, des rencontres et des débats autour de la sortie d’un livre, et pourquoi pas un jour en proposant un festival de la bande dessinée indépendante car le quartier s’y prête avec les nefs des Machines de l’île qui est un lieu assez extraordinaire.

Bien sûr, bon nombre d’événements tourneront autour des albums de chaque maison d’édition, avec des apéros à l’occasion des sorties et des dédicaces de nos auteurs. La fonction “café” incitera aussi les visiteurs à découvrir des albums en buvant un verre. C’est le but de ce type de lieu convivial. Les Boucaniers proposeront d’ailleurs du local au niveau du bar : jus, bières, vins, planches à picorer à l’apéro… Nous réduirons drastiquement la distance entre le producteur et le consommateur autant que nous le pourrons !

Ce n’est pas par idéologie politique, c’est juste une question de bon sens. Au niveau de l’activité, un espace de coworking sera également intégré dans les locaux. Les éditions Rouquemoute y auront par exemple leurs bureaux. Le coworking s’inscrit dans cette même envie de convivialité et de chaleur humaine, et il permet d’amortir les frais inhérents à ce type de projet car l’investissement reste relativement conséquent sur le plan financier... L’espace de coworking La Flibuste, qui existe déjà à Rezé et qui déménagera donc dans ces nouveaux locaux, sera ouvert à tout le monde : métiers de l’édition, de la communication, du numérique, salariés en télétravail… La Flibuste existe déjà depuis deux ans à Rezé et le constat que j’ai pu en faire rejoint l’idée de croiser les publics : on a tout intérêt à se réunir en un même lieu car même si les activités de chacun sont différentes sur le papier, les problématiques restent communes.

Esquisses réalisées par Solène Rousseau

Le local est actuellement en train d’être construit. Il est situé sur l’île de Nantes, près du Carrousel des Mondes Marins. Pourquoi ce lieu et à quoi ressemblera le bâtiment ?

Honnêtement, ce fut une opportunité de se positionner sur un local dans ce quartier. Le marché immobilier est ultra-tendu à Nantes, encore plus sur l’île de Nantes, notamment dans le quartier de la création. D’ailleurs, c’est grâce au soutien des partenaires locaux, comme la Creative Factory qui a de suite cru au projet, que j’ai pu trouver ce local.

Le quartier de la création résulte d’une politique culturelle volontariste de la ville de Nantes. Elle travaille depuis des années sur le rayonnement culturel de la ville et la réhabilitation de l’île de Nantes qui était jadis une friche industrielle. C’est donc un quartier en pleine mutation, encore en construction mais qui dévoile déjà un certain charisme.

Le café-librairie Les Boucaniers sera par exemple voisin des Machines de l’Île dont l’éléphant est devenu un emblème de Nantes. Le logo des Boucaniers en est d’ailleurs une parodie. Le Carrousel des Mondes Marins, autre émanation des Machines, se situe dans le même axe du café librairie. D’ici quelques années, un parc de 14 hectares sera également à quelques mètres des Boucaniers. Si l’on se projette un peu dans le futur, le café-librairie sera au cœur d’un quartier qui aura tout misé sur le culturel. Alors que la BD indépendante nantaise y soit représentée de cette manière, c’est un atout indéniable pour mieux nous faire connaître et attirer un public le plus large possible.

Le fameux éléphant devant le Carrousel des Mondes Marins

Quels sont vos liens avec la Maison Fumetti, une structure qui permet de rassembler les différents acteurs du monde de la bande dessinée nantaise ?

L’entente est bonne et les liens existent réellement ! La Maison Fumetti a d’ailleurs participé à nos réunions. Des échanges informels ont également eu lieu puisque ce sont des anciens de Vide Cocagne qui ont créé cette structure. Nantes est une ville assez grande mais le monde de la BD reste petit. Et encore une fois, le fait de tenir des stands voisins sur les festivals BD nous rapproche encore plus. La Maison Fumetti se place davantage comme une association-ressource pour les professionnels. Son positionnement est donc différent et complémentaire de celui des Boucaniers. Nous avons tout à y gagner à avancer main dans la main et c’est ce que nous faisons.

Esquisses réalisées par Solène Rousseau

Vous proposez actuellement un financement par le biais de Ulule : à quoi servira-t-il et quelles contreparties proposez-vous en échange ?

En effet, nous avons lancé une campagne de financement participatif sur Ulule, portée par l’association qui gérera le café-librairie. Elle se terminera fin janvier 2020 car les travaux d’agencement intérieur ont pris un peu de retard. Non pas à cause de nous, mais plutôt à cause du promoteur. Ce fut assez compliqué d’obtenir les clés mais désormais, nos artisans sont sur place et maîtrisent la conduite du chantier.

La campagne Ulule vise à financer les frais liés à l’ouverture du café-librairie : meubles en bois pour le rayonnage des livres (les plans nous ont d’ailleurs été fournis par la librairie La Tête à Toto à Paris, merci Anthony !), stocks pour le bar, installation de la tireuse à bière, etc. L’association a donc besoin d’une foule de contributeurs pour rendre la chose possible.

Des auteurs nous ont apporté leur soutien, comme Soulcié qui a dessiné le logo des Boucaniers ou encore Guillaume Bouzard et Fabcaro qui ont dessiné des tirages A5 proposés dans les contreparties. Chaque éditeur nantais a également joué le jeu en mettant au pot commun des titres de son catalogue via des “packs éditeurs”, au profit exclusif de l’association.

Qu’on soit Nantais ou pas, on peut donc soutenir le projet via des contreparties qui intéressent forcément un public large du fait de nos catalogues archi-complémentaires. Ce projet reste assez unique en France, nous espérons donc que les amateurs de culture et de BD y seront sensibles et nous apporteront leurs soutiens.

Cette campagne Ulule incarne aussi l’état d’esprit qui nous unit : nous ne voyons pas de concurrence entre nous, au point que nous créons un lieu pour réunir nos savoir-faire éditoriaux autour d’une bonne bière… Alors rejoignez-nous en devenant contributeur du projet ! Et venez nous voir quand le lieu sera ouvert, nous vous accueillerons avec joie. Vous pourrez ainsi découvrir les plus de 300 albums de bande dessinée que comportent nos cinq catalogues cumulés.

(par Tristan MARTINE)

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