Il avait un beau dessin rond, au trait de pinceau nourri, reconnaissable entre mille. Ses séries ont marqué la bande dessinée des années 1960 à 1990 avec des titres comme Le Chevalier au blason d’argent dans Cœurs Vaillants et ses successeurs J2 Jeunes et Fripounet, chez Fleurus Presse, Goutatou et Dorochaux, dans Pilote, Prémolaire dans J1 chez Fleurus, Rififi dans Le Journal Tintin ; et dans la seconde partie de sa carrière, sous la signature de Dimitri, la série Le Goulag dans BD au Square puis dans L’Écho des Savanes (19 albums parus chez Glénat).
C’était un dessinateur prolifique, un spadassin du dessin, tenant plusieurs séries en même temps, capable de prêter main forte à Jijé dans Spirou sur la série Valhardi (Le Retour de Jean Valhardi (1963), Le Grand Rush (1964), Le Duel des idoles (1965)) tout en animant ses propres séries à gags ou à suivre dans plusieurs journaux de front. On lui doit même une version en BD des aventures des Charlots, célèbres comiques des années 1970.
Le tournant de sa carrière a lieu en 1967, lorsqu’il publie dans la collection Vécu de Charles Ronsac chez Robert Laffont ses mémoires de guerre, Le Soldat oublié sous le pseudonyme de Guy Sajer, du nom de jeune fille de sa mère sous lequel il est enrôlé dans la Wermacht. On y découvre un soldat envoyé à 16 ans sur le front de l’Est, racontant sans filtre son amitié avec ses camarades de combat, son passage dans la SS, les derniers combats de l’armée allemande face à l’avancée des Russes, et enfin sa reddition en 1945 qui lui vaut d’être renvoyé en France où il peut poursuivre sa vie tranquillement. L’ouvrage est un immense succès (3 millions d’exemplaires vendus et plus de 30 traductions dans le monde). Il reçoit le prestigieux Prix littéraire des Deux Magots.
Mais cette notoriété évente le secret de polichinelle de son passé auprès des journaux pour la jeunesse pour lesquels il travaille. Il passe dès lors pour un facho. Il est écarté plus ou moins ouvertement de Fleurus Presse et de Pilote qui constituaient sa principale activité.
Mais cela n’entrave pas vraiment sa carrière. Sous le pseudo de Dimitri, il va raconter de façon humoristique en BD la guerre qu’il a connue, non sans donner quelques coups de griffe à l’Union soviétique et aux Russes.
Le paradoxe, c’est que cet auteur « anar » désormais classé à droite, voire à l’extrême droite, déplorant notamment le déclin de l’Occident et ne reniant aucun de ses amitiés passées, trouve refuge dans la bande à Cavanna, Cabu et Wolinski qui publient des récits dans Charlie Mensuel et dans BD. Il le doit à son amitié avec le Professeur Choron, lui-même ancien légionnaire. « On les voyait souvent bras-dessus bras-dessous à la librairie Temps Futurs » témoigne Patrick Gaumer.
Ce sont là les paradoxes d’une longue vie bousculée par l’Histoire, consacrée à la BD (« un merveilleux métier de chien » comme il la qualifiait dans un de ses livres de mémoire), au parcours contrasté d’ombres et de lumières.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : Photo Laurent Melikian.
Participez à la discussion