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Philippe Luguy ("Percevan") : « Pour bien rendre les expressions, il faut les vivre. »

Par Jean-Sébastien CHABANNES le 29 août 2020                      Lien  
Les années passent, et alors que bon nombre de séries dites "classiques" disparaissent (ou tentent de survivre au travers de multiples reprises), Philippe Luguy et son héros Percevan poursuivent leurs aventures discrètement depuis plus de 35 ans. La série a su rester fidèle à elle-même. Elle continue également de ravir des lecteurs qui apprécient de découvrir encore de nouveaux lieux, de nouveaux personnages ou de retrouver ceux de la première heure qui les ont marqués adolescent. Derrière un dessin qui semble s'adresser à un public jeune, Percevan se révèle en réalité être un héros surprenant, bien plus adulte qu'on ne pourrait le croire au premier abord... À l'occasion du dernier tome paru fin juin aux Éditions du Tiroir, Philippe Luguy a accepté de nous en dire un peu plus sur tout cet univers qu'il a pu développer et mettre en place au fil des années...

Comment est venue l’idée de créer le personnage de Percevan ?

« Percevan » s’est créé en réalité de nombreuses années auparavant. J’avais créé et animé une série moyenâgeuse qui était déjà dans cet esprit. C’est-à-dire qui réunissait de l’humour, de l’aventure et du fantastique et dont le héros était un chevalier qui s’appelait Syril. Il rencontrait déjà lui aussi des mages, des magiciennes et des créatures fantastiques. C’était vraiment les prémices de Percevan. J’ai alors arrêté cette série pour me consacrer principalement à deux autres séries dont un héros du nom de Cyril à nouveau, mais avec un "C" cette fois-ci. « Le Château des mille diamants » a ainsi été mon tout premier album de BD.

En parallèle, j’avais également créé « Sylvio le Grillon » que les lecteurs de Pif ont bien connu. Mais tout ça faisait beaucoup car, à côté, j’avais aussi pas mal de travaux d’illustrations et de publicité. J’ai donc été obligé de mettre de côté aussi ce second personnage « Cyril » mais tout en gardant en tête l’idée qu’il me faudrait quand même reprendre un jour un chevalier, d’une manière ou d’une autre ! Et puis, il s’est trouvé qu’à force de se croiser entre auteurs dans les rédactions, j’ai été amené à rencontrer des gens comme Régis Loisel, Patrick Cothias, André Juillard... Et, le soir, on se retrouvait forcément pour faire des petits repas amicaux. Dans ce contexte, avec Patrick Cothias, on avait alors mis au point un nouveau projet et qui était à nouveau dans un Moyen-âge fantastique-merveilleux. On l’avait proposé à Casterman mais mon style de dessin ne leur convenait pas : trop classique pour Casterman ou trop enfantin.

Philippe Luguy ("Percevan") : « Pour bien rendre les expressions, il faut les vivre. »

Ce projet est alors resté en suspend jusqu’au jour où un type me téléphone, Jean Léturgie qui me dit : « - J’aime bien vos dessins, j’ai quelque chose à vous proposer. Est-ce que vous accepteriez de me rencontrer ? ». Je lui ai répondu oui. Il est venu à la maison mais en fait, il n’avait rien : il y était allé un peu au flan (Rires). Il avait juste en tête le désir et la volonté de monter quelque chose ! On a alors sympathisé et, de là, est née une amitié. Et de cette amitié, est ensuite né Percevan !

Comment le succès est-il arrivé ?

Léturgie aimait bien Johan et Pirlouit. J’aimais bien moi aussi, mais il me fallait un style plus fantastique. On a réussi à se mettre d’accord.

Si on met de côté toutes les vieilles séries qui étaient déjà sur les rails depuis longtemps à cette époque, la BD se dirigeait vers un lectorat beaucoup plus adulte. Même le dessin humoristique s’adressait à des lecteurs plus vieux. Je constatais qu’il y avait de moins en moins de nouvelles séries, dites "classiques" qui se créaient en ce temps-là. J’ai donc aiguillé Jean Léturgie vers le Moyen-âge et il semblait lui aussi en avoir envie. Moi, j’avais gardé dans la tête un héros de ce type-là, tel que je l’avais conçu une quinzaine d’années auparavant.

Très vite, Percevan a alors été considéré comme étant la première série d’Heroïc Fantasy humoristique tout public ! Mais en réalité, le côté "humour" vient beaucoup du fait de Jean (il ne faut pas oublier qu’il a fait des scénarios pour Lucky Luke). Moi, j’étais à la fois dans un esprit d’humour mais aussi de fantastique et forcément d’aventure. Je voulais qu’on retrouve une atmosphère de sorcières, de croyances, de malédictions. Je voulais un monde où n’importe quel type pouvait raconter n’importe quoi le soir au coin du feu et tout le monde l’écoutait. Cela ne se faisait pas en BD à l’époque. Et plus tard, ce genre est devenu ce que tout le monde appelle aujourd’hui l’Heroïc Fantasy.

Bien sûr, il y avait eu des gens comme Tolkien bien avant Percevan, mais je ne le connaissais pas du tout quand j’ai démarré la série. Je n’avais jamais lu Le Seigneur des Anneaux. Je n’ai entendu parler de Tolkien qu’après, par le biais de Numa Sadoul : à propos de mon tout premier tome de Percevan, il avait dit un jour que j’avais fait un conte initiatique à la Tolkien ! C’est là que je me suis alors rendu compte de toute l’œuvre grandiose de cet auteur que j’ignorais totalement. En réalité, c’était plutôt au travers de certains dessins animés de Walt Disney que j’avais puisé mon inspiration. Vous remarquerez que ça commençait déjà un peu dans « La Belle au Bois-Dormant » ou encore dans « Blanche-Neige ». Ce n’était pas aussi soutenu à cette époque mais on y trouvait déjà des dragons. Le côté fantastique y était déjà assez prégnant.

Notre série a alors démarré doucement. Le premier tome de Percevan, on n’en a vendu que 7000, je crois... mais ça a été pas mal réédité. Ça a accroché tout de suite auprès des lecteurs. Petit à petit, la série a ainsi pu prendre de l’ampleur. Je crois que ça tient aussi au fait qu’avec Jean, on a créé un véritable univers autour du héros. Cependant, ce n’est réellement qu’à partir du tome 3, L’Épée de Ganaël, qu’on a commencé à appuyer plus sur le côté fantastique. Dans cet album, on a commencé à voir des épées de feu et des personnages vraiment inquiétants...

Et c’est aussi dans cet album qu’est né Guimly...

Le physique de Guimly a pas mal évolué si vous voulez vous amuser à comparer... Mais oui, c’est au cours de cet album que je l’ai créé physiquement puis montré à Jean ! Quand il a découvert ce nouveau petit personnage, ça lui a bien plu. J’avais très envie à cette époque que Kervin ait un petit animal avec lui, pour partager des moments de complicité. Au début, Kervin avait un peu de complicité avec son cheval, Hannibal, mais ce n’était pas suffisant à mes yeux. Kervin étant rondouillard et gourmand, je trouvais qu’il avait vraiment besoin d’être soutenu par un vrai compagnon, une sorte de petite bestiole.

J’ai longtemps cherché et ce n’était pas si évident que ça ! Or, il se trouve qu’à l’époque, ma femme travaillait dans un laboratoire de recherche au Muséum d’Histoire Naturelle. Un jour, des chercheurs sont arrivés et une femme avait entre les seins un petit sac en laine qu’elle avait tricoté. J’ai soudain vu sortir de ce sac et sauter sur le bureau, une petite bestiole qui était en fait un tout petit lémurien. Un micro pousse ! Il m’a regardé, il avait des petits yeux de face ! Moi, j’étais simplement venu là pour récupérer ma femme à l’heure du déjeuner. Finalement, je lui ai dit : je te laisse, je file à l’atelier ! Et là, je me suis mis à faire des recherches. À partir de ce petit lémurien qui venait de m’apparaître subitement, j’ai travaillé sur ce qui allait être Guimly (Rires). Je l’ai fait un peu plus poilu mais c’est vraiment cet événement qui m’a apporté la bonne idée pour l’animal que je cherchais et dont j’avais envie.

Il existe en France un lieu qui se nomme Malicorne. Votre série Percevan mélange les lieux imaginaires avec d’autres bien réels.

Oui, Malicorne existe et c’est d’ailleurs là qu’habite le célèbre Hubert Reeves (que l’on retrouve dans le tome 10). El Jerada existe aussi ! C’est en Algérie, à la limite du désert avec l’Afrique noire. C’est amusant car j’ai rencontré un jour en dédicace des lecteurs dont les enfants travaillaient à El Jerada. Jean avait choisi ce nom car il trouvait ça joli et parce que ça sonnait bien.

Concernant cette histoire-là, je me souviens avoir soufflé l’idée à mon scénariste, comme quoi il ne me semblait pas possible que dans le désert, il n’y ait pas un sablier qui s’écoule, avec le temps qui s’efface pour pouvoir passer d’un monde à un autre. Et tout est parti de là ! Avec Xavier Fauche, ils ont creusé à partir de cette réflexion de départ et ils ont dit : le temps qui passe, c’est la mort. Puis, ils ont bâti une histoire sur la mort et l’acceptation de la mort. Ou son refus quand le sablier d’El Jerada ne veut pas. C’est de tout cela dont parle en réalité le tome 5.

Sinon, pour les lieux du second tome par exemple, je me souviens que Jean était allé en vacances en Norvège. À son retour, il avait gardé un beau souvenir de ce pays bleu. Un petit peu comme pour Tintin, on a alors emmené notre héros sur des lieux exacts. Récemment, je suis allé à Berghem d’ailleurs en dédicace. Il se trouve que l’église en Bois Debout que j’avais dessinée à partir de photos dans « Le Tombeau des glaces » est justement située à Berghem ! Je voulais aller la voir mais pas de chance pour moi, il pleuvait tellement que c’était plein de boue : je n’ai pas pu m’y rendre.

Vous savez, quand Percevan va également en Chine, je suis bien obligé de me documenter. Je ne vais pas pouvoir me rendre sur les lieux au gré de chaque aventure. J’ai des livres sur la Mongolie, la Chine que je lis, que je regarde et que je mémorise. Et ensuite, je ne travaille toujours que d’après le souvenir que j’ai gardé des choses. Je ne copie pas... sauf pour cette église en Bois Debout du second tome... Là quand même, j’étais bien obligé d’avoir une ou deux photos à proximité pour arriver à faire quelque chose qui tienne la route.

À la suite de cet album, vous m’y faites penser maintenant, je me souviens qu’il y avait eu un concours organisé à Châteauroux pour les jeunes dessinateurs de bande dessinée. Le gagnant partait une dizaine de jours en Norvège avec moi. Ce gagnant est justement devenu ensuite un dessinateur renommé, mais il était tout jeune à l’époque, il ne devait avoir que 14 ou 15 ans. Et comme je n’arrive plus à remettre un nom sur son visage, j’espère qu’il se manifestera en lisant ces lignes...

Percevan démarre comme une série pour adolescents, avec un dessin un peu enfantin au départ. Pourtant, dès le premier tome, le héros est déjà au lit avec une femme nue ! Et ça se répète tout au long de la série...

Tout à fait ! Et le tout premier album de Percevan est sorti en 1982. Déjà là, avec Jean, on trouvait aberrant que les héros de bandes dessinées n’aient pas une vie sexuelle. Certes, on n’était pas obligés de les montrer dans leurs ébats amoureux mais ce sont des choses que l’on pouvait quand même suggérer. Vous savez, quand on regarde rien que les films des années 1950, même si le langage est très châtié, très distingué, très élégant, ça n’arrête pas de draguer en réalité ! Et c’est plein de sous-entendus ! Et quand ils pouvaient montrer un quart de morceau de fesse à l’écran, les cinéastes ne manquaient pas de le faire. Donc nous, on ne concevait pas avec Jean de faire une série sans que le héros drague des filles. Ou qu’à l’inverse, les filles draguent carrément Percevan. C’était pour nous une évidence dès le départ.

Du coup, ça amène une pointe de fraîcheur et d’érotisme. Vous faites ça pour faire plaisir aux lecteurs ou parce que votre chevalier a un côté séducteur ?

Ha non, non, non, non, non ! On fait ça parce qu’on a envie de le faire, parce qu’on se fait plaisir... et aussi en effet parce que Percevan est un jeune mec et que donc... voilà quoi ! Il n’est pas insensible à la gent féminine, ce qui en plus, n’est pas du tout un défaut. Je trouve même que ce serait plutôt une qualité pour un héros jeune. Il ne faut pas oublier qu’en ce qui concerne nos rois de l’Histoire de France, on s’aperçoit qu’un personnage comme Henri IV par exemple, toujours représenté à quatre pattes en train de jouer avec ses enfants sur le dos, a en réalité guerroyé dès l’âge de 14 ans ! Et ce, pendant que les reines du même âge, elles, étaient mariées avec des vieux de soixante ans. C’était une toute autre époque avec d’autre repères ! C’est notre société du XIXe siècle qui est devenue ensuite plus puritaine, et qui a nettoyé tout ça.

Alors, oui, si nous ça nous semblait évident de mettre Percevan dans un lit avec une jeune fille, c’est vrai que c’était innovant pour la BD de l’époque. Mais cela s’est fait assez naturellement car je crois que ma manière de dessiner s’y prêtait d’autant plus ! Mon style de dessin s’y prête bien. On voit ces jeunes femmes légèrement dénudées dans mes planches, avec juste un petit bout de sein ou de fesse et ce n’est jamais vulgaire. J’aimais bien les dessiner comme ça, ça amène une certaine forme d’harmonie dans mes vignettes.

Vous savez, Percevan n’est d’une certaine manière qu’un chevalier errant. Donc si on regarde les choses d’une manière réaliste, il va de château en château, de lieu en lieu et, forcément, il fait des rencontres. Rien ne l’empêche de rester s’il fait une rencontre bien agréable, comme cela se présente dans le tome 3. Ulysse restait bien pendant des mois et des mois dans d’autres lieux, loin de sa femme... pendant que Pénélope, elle, occupait son temps à tisser sa broderie. Ça fonctionnait ainsi !

Il y a pas mal d’ambigüité autour de certains personnages : Balkis, Sharlaan, Ciensinfus... On a du mal à les classer dans la catégorie des bons ou des mauvais.

Oui, c’est lié à l’évolution de la série. On a voulu faire quelque chose qui embarque nos lecteurs en s’amusant à les perturber. Ceci pour que ce soit à la fois plus intéressant et aussi comme un jeu. Dans la vraie vie, quelqu’un peut toujours se présenter en disant « - Moi, monsieur, je suis quelqu’un de droit, de pur et de franc ». Oui OK, peut-être... mais on n’est jamais totalement droit, ni que pur, ni que franc en réalité ! Il y a des fois dans la vie où on est "faux-cul". Parce que les circonstances de la vie font que, parfois, on ne peut pas dire "merde" à quelqu’un ! On lui fait donc un sourire alors qu’en réalité on a envie de lui écraser la gueule. Et bien nos personnages sont en effet un peu comme ça : ils sont ambigus. Ciensinfus par exemple, si on voulait le classer, il serait plutôt un mage noir. Il a une bonne tête avec sa barbe grise mais ce n’est pas un gentil. Le mage Sharlaan en revanche, qui lui est brun et a une tête plus dure, serait à l’inverse plutôt de l’autre côté. Bien que ce soit quand même un opportuniste... car quand il veut arriver à ses fins, il n’hésite pas à utiliser les autres !

C’est tout ça qui est intéressant : c’est de faire des personnages qui sont plus complexes que ce qu’ils paraissent être. Pour moi, un des personnages les plus grands de la bande dessinées (si ce n’est LE plus grand), c’est le Capitaine Haddock, parce qu’il est vrai, il est totalement vrai ! On a l’impression qu’on pourrait le rencontrer au coin de la rue. Je trouve que c’est un personnage extrêmement puissant. Même s’il a pu être parfois un peu raciste (ou tout ce qu’on veut), il n’empêche qu’il est totalement vrai... et ça lui donne toute son humanité ! C’est une création fabuleuse d’Hergé. Nous, on a voulu faire des personnages qui soient moins catégorisés. Ils arrivent à être humains car ils peuvent céder à un désir de surpuissance par exemple (ou autre chose) et ce, malgré qu’ils soient mages. Du coup, c’est très intéressant à développer pour nous car au niveau scénaristique, ça nous permet d’amener des sujets plus complexes.

Où allez vous chercher deux personnages comme Shyloc’h ou Polémic qui ont des caractéristiques graphiques assez improbables ?

Dans la tête ! Quand on crée des personnages, on cherche. Les lecteurs ne voient pas ce travail de recherche, forcément. À part peut-être dans les tirages limités que proposent maintenant les éditeurs. Mais avant, tout ça ne se voyait pas !

Le scénariste va seulement me décrire Polémic comme un "faux-cul" et comme un vil flatteur. Sur ces quelques éléments, on se met alors à réfléchir à sa représentation graphique. On cherche, on cherche... Pour Polémic par exemple, je m’étais basé un jour sur un grand-duc, un hibou avec sa houppette sur la tête et ses grands yeux. J’ai fait un essai en partant de cet animal-là et Polémic m’est soudain apparu !

Souvent, les lecteurs me demandent de les ramener, ces deux là : Mortepierre et Polémic. Et d’ailleurs, Jean prend lui aussi un malin plaisir à les remettre dans ses histoires. Il aime bien les gags à répétition. Il aime bien leur niveau de "connerie". Le baron Mortepierre est un ambitieux mais "con comme un balai". Et l’autre, le vil flatteur, lui répond qu’il est beau et merveilleux. Mais dès qu’il peut lui planter un couteau dans le dos, il le fait. Et c’est vrai qu’il y a un jeu assez rigolo entre eux deux. C’est une des touches d’humour importante dans la série.

Mais de temps en temps, c’est bien aussi de s’en départir. Il faut les faire disparaître pour mieux les faire réapparaître si cela s’avère nécessaire. Vous savez, une BD comme Percevan s’étale maintenant sur plus de quinze albums, on ne peut pas les avoir en permanence. On commence à avoir une galerie de personnages conséquente venus au fil des années et, parmi eux, on a eu envie d’en développer certains quand on a trouvé qu’ils avaient des caractéristiques graphiques et morales qui s’y prêtaient bien. Il y a eu par exemple Moriane ou Sâadia et même Günter qui nous refait une courte apparition... sous forme de loque ! ( Rires )

La chance qu’on a eue, c’est de pouvoir continuer cette série depuis toutes ces années et que nos lecteurs nous soient restés fidèles. On a pu ainsi développer tout un univers et c’est ça qu’ils aiment retrouver encore aujourd’hui, depuis tout ce temps : notre manière à nous un peu particulière de traiter ce Moyen-âge. Les statues d’Aslor par exemple, c’est moi qui les aient créées et je suis content de les dessiner à nouveau, même si ce n’est pas toujours évident pour moi de les redessiner après plusieurs années. Je pense que je me suis un peu inspiré à l’époque de statues mayas car on est forcément tous influencés par tout un tas de choses autour de nous. On part toujours de quelque chose, on n’invente jamais vraiment... juste on recrée. Quand on regarde bien, tout a déjà été inventé.

Une question que beaucoup de lecteurs se posent : c’est quoi le problème avec la cape de Percevan ?

Simplement j’ai pensé que plutôt de la faire bien propre et nette, c’était mieux de l’encrasser au fur et à mesure. Si vous galopez et que vous traversez des pays, même en vous lavant, vous finissez par salir et abîmer vos vêtements. La cape devient alors forcément miteuse. Et je me demande d’ailleurs si elle n’est pas de plus en plus miteuse quand je la dessine... ( Rires )

C’est bien un plaisir graphique de dessiner sa cape ainsi. Et je pense que Percevan restera comme ça maintenant. Si vous regarder bien, au début de ses aventures, vous verrez qu’il avait une cape très-très courte, c’était hallucinant. On dirait un truc d’opérette... ou alors tel qu’on représentait les pages à une époque. Petit à petit, la cape de Percevan s’est rallongée, mon dessin a muté. Au début, j’étais dans un état d’esprit « Johan et Pirlouit ». Depuis, mon dessin a forcément un peu évolué mais tout en restant fidèle quand même, il me semble. Mes personnages sont juste un peu plus réalistes maintenant.

Vous savez, à une époque j’avais songé à faire que Percevan change carrément de costume. Mais Jean s’y est opposé, il m’a répondu « - Non, Percevan a ses couleurs » : il ne voulait pas ! Pourtant Tintin a bien abandonné un jour son pantalon de golf. Donc peut-être qu’un jour, je le ferai quand même... d’autorité ! (Rires) Pas pour un album complet mais si une circonstance précise se présente. Il faut bien reconnaître qu’en effet, Percevan a toujours été représenté de cette manière. Il a son identité et sa cape percée.

Et pourtant, c’est vrai... quand on y réfléchit... on a déjà vu notre héros avec un costume du désert. Donc on verra bien ! Probablement que si ça me prend, je le ferai peut-être dans une autre tenue, histoire de varier un peu... Je vais y réfléchir !

Les lecteurs espéraient une concrétisation entre Balkis et Percevan depuis longtemps mais vous avez concocté une surprise dans le dernier tome !

Oui, mais là, il ne faut peut-être pas trop révéler ce qui se passe dans le dernier album qui vient de sortir ! (Rires) Disons qu’en effet on a voulu surprendre un peu les lecteurs. C’est vrai, Balkis en a marre de ce Percevan qui n’est jamais passé à l’action. Et sur ce point, j’ai souvent réclamé à Jean. Je lui ai expliqué que les lecteurs étaient impatients, ils ont envie de les voir vivre leur histoire d’amour. Mais Jean m’a répondu « - Non, non, non ! Il faut que ça reste une histoire d’amour impossible. Elle est magicienne. Certes ils s’aiment, mais il y a quelque chose entre eux qui fait qu’ils ne peuvent pas franchir le pas ».

Donc voilà, là c’est Balkis qui pique sa crise... (Rires) et les conséquences sont que toute l’aventure qui en découle dans ce tome 16, arrive justement de cette acrimonie que développe Balkis envers Percevan. Dès le début de l’album, il y a une sacrée engueulade. Elle lui fait tous les reproches de la terre et se montre véhémente d’entrée de jeu.

De tous ceux que vous avez créés, quels sont les personnages secondaires que vous préférez ?

Ceux que me demandent les lecteurs en dédicace sont très variables. Là, je suis à peu près certain qu’on va me demander Altaïs, la sœur de Balkis, parce qu’elle a un rôle important dans le dernier album paru. Sinon, dans les personnages secondaires, on me demande beaucoup Sharlaan ou Ciensinfus. Kervin aussi bien entendu et parfois Dame Galantine.

C’est marrant d’ailleurs : Jean aime bien Dame Galantine ! Pour son côté "popote", je pense, parce qu’elle aime bien faire la cuisine. Moi je n’ai pas de personnage préféré. Mes personnages préférés sont ceux que je dessine sur le moment (Rires). Sincèrement. Dans toute la série, je n’ai pas de préféré ! Et le plus difficile à dessiner étant Percevan... Il est le plus dur à faire vivre car il peut basculer d’un seul coup d’un personnage plutôt humoristique vers le réalisme. Il faut peu de choses pour ça ! Donc la difficulté pour moi, c’est de l’empêcher de glisser vers trop de réalisme quand je le dessine.

Sinon, pour vous répondre mieux, allez... j’aime bien Blanche, la petite assistante cuisinière de Dame Galantine ! Mais en fin de compte, j’aime bien chacun de mes personnages car ils sont tous typés différemment, les uns des autres. Donc quand je les retrouve, ça me permet de les retravailler avec plaisir. Ils ont chacun leur charme. Il y a même des personnages qui ont disparu et j’aimerais bien qu’ils réapparaissent parce que j’aimais bien les dessiner. Il y a la sorcière Moriane par exemple, on l’avait laissée en suspend. Sharlaan est très intéressant. Il y a aussi les Nains de Zielmar, ce sont eux aussi des personnages intéressants à représenter pour moi.

Puisque vous parlez de Blanche, avez-vous grondé votre scénariste pour sa belle bourde ?

Oui oui, il a fait une erreur ! (Rires) Il l’avait baptisée d’une certaine manière (visible dans une seule vignette) pour la rebaptiser autrement par la suite. Tant pis ! Peut-être qu’à l’occasion d’une nouvelle réédition, on pourrait en profiter pour corriger l’erreur. Faudrait que j’en parle à Jean pour changer le nom, mettre le bon à sa place. Mais je vous rassure, elle s’appelle bien Blanche, c’est bien son vrai nom ! (Rires)

Est-ce que vous n’abusez pas trop de la magie dans Percevan ?

Non car vous savez, on ne peut pas faire parler la magie, on ne peut que la dessiner ! Et c’est l’intérêt de la chose : amener le lecteur graphiquement, si possible, vers quelque chose qu’il n’aura encore jamais vu dans la série. Cela fait partie du plaisir du dessin. J’aime m’amuser et même si tout n’est pas parfait (le dessin parfait n’existe pas), j’essaie d’être au plus près du texte.

Le rôle d’un scénariste, c’est de mettre en valeur le dessinateur et le rôle du dessinateur, c’est de mettre en valeur le scénario. Donc, quand un personnage a mal, quand il hurle, quand il pique une colère, j’essaie de rendre l’expression au plus près de la situation. Ce n’est pas toujours facile d’ailleurs. Je vis mon dessin et c’est pour ça que j’ai besoin de concentration et de tranquillité. Je suis dans une pièce de théâtre, en fait ! Un dessinateur est à la fois un metteur en scène, un costumier, un éclairagiste mais ça doit être aussi un comédien ! Pour bien rendre les expressions, il faut les vivre.

Concernant les vignettes où je représente de la magie, le scénariste me situe juste ce qu’il va se passer mais il ne peut pas me les décrire, ce n’est pas possible. Il peut me parler d’empoignade et de tourbillon mais c’est moi qui interprète tout ça ensuite.

Vous glissez souvent des références à Hergé dans vos vignettes : quelles étaient vos lectures plus jeune ?

Ha ! Ben, Tintin déjà oui ! Je lisais beaucoup « Le Journal de Tintin » où on attendait avec impatience la suite de ses aventures chaque semaine. Je me souviens très bien quand j’étais gosse quand paraissait Tintin au Tibet. Je peux vous dire que quand ils tombent sur le Yéti, ça nous foutait les foies.

Quand Rascar Capac aussi brise les boules de cristal.. quand cette momie se pointe dans la chambre de Tintin dans la nuit et qu’il fait un cauchemar, ce sont des scènes fabuleuses ! Là, Hergé faisait très fort ! Je pense qu’il a réussi à filer la trouille à un bon paquet de lecteurs à cette époque.

Sinon, quand j’étais jeune, je lisais aussi Michel Vaillant ou d’autres classiques dans Le Journal de Spirou ». Il n’y avait pas la télé et encore moins de jeux vidéo ou de téléphones portables, tout ce qui fait que les enfants aujourd’hui ne décrochent plus des écrans. Donc on attendait avec impatience notre journal. J’en parlais récemment avec un lecteur : ce qui est hallucinant c’est qu’une histoire de Tintin, c’est 62 pages et dans « Le Journal de Tintin », ça paraissait à raison d’une page par semaine au 4e plat. Et donc pour avoir une histoire complète, il fallait patienter 62 semaines ! C’est carrément impensable aujourd’hui !

Quand j’étais enfant, je ne pensais pas du tout faire ce métier là. J’étais bien loin d’imaginer que je serais un dessinateur de bandes dessinées. Aujourd’hui, du coup, je lis beaucoup moins de BD (mis à part les albums des amis). Je n’ai plus vraiment le temps d’aller fouiner chez les libraires. Je fais de la BD donc ça me prend du temps et en plus, il y a tellement d’albums qui sortent chaque année, qu’on a du mal à suivre.

À l’heure actuelle, quand je vais dans des salons, je ne connais aucun des jeunes auteurs qui s’y trouvent, même s’il y a beaucoup de talents. De plus, le soir, quand je pose mon crayon, j’ai envie de passer à autre chose. Je ne vais pas me mettre à lire de la BD, j’y suis toute la journée. C’est la différence entre un auteur et un lecteur. Et l’auteur perd ça malheureusement, il a envie de passer à autre chose... même si ça m’intéresse toujours de voir ce que font les autres auteurs !

Dessin de l’auteur réalisé pendant l’interview

Et donc clairement, je lis moins que ce que j’ai pu lire étant jeune. Mais j’avoue quand même que de temps en temps, je me refais un Tintin ou un Astérix car on aime toujours retrouver ce qu’on a aimé.

Vous avez récupéré un personnage de Loisel (Pélisse en Malice) et aggravé son sale caractère, c’est osé non ?

Oui et en plus j’ai caricaturé Loisel et je l’ai fait assassiner ! (Rires) Loisel est bien entendu au courant et m’a dit un jour en rigolant « - Salaud, tu m’as tué ! ». Régis est un vieil ami et il est venu me voir un jour dans mon atelier quand j’habitais encore à Paris, vers 1972 ou 1976. Lui n’avait pas encore publié à l’époque. Il était venu pour me demander comment il fallait procéder dans ce métier et après on s’est pas mal fréquentés. On est devenus des amis même si le temps nous a séparés aujourd’hui. Il est parti s’installer au Canada, mais à l’époque on se voyait vraiment beaucoup. Il m’avait même demandé de faire partie de l’atelier qu’il avait créé et où on retrouvait des gens comme le regretté Vicomte et d’autres copains. J’avais décliné parce que c’était à l’opposé de Paris par rapport à là où j’habitais : j’avais mon fils à récupérer en fin de journée. Mais on passait quand même souvent des soirées ensemble : je me souviens qu’il y avait aussi Juillard, Cothias...

Pour en revenir à Malice, c’est une idée qui m’est venue car Loisel était totalement amoureux de ce personnage qu’était Pélisse. Quand j’ai connu Régis, il avait une espèce de fourrure acrylique rose (Rires), on n’était pas encore tout à fait sortis de Mai 68 et donc je l’ai représenté ainsi dans Percevan. Il a un rôle de montreur d’ours car à l’époque il envisageait aussi de faire du dessin animé (il avait fait quelques tentatives même). Je me souviens aussi qu’il avait une vieille voiture complètement déglinguée avec un logo de production cinématographique, des trucs amusants de jeunes, quoi... (Rires)

Avec toute cette magie et les nombreux retours, on a du mal à croire à la disparition définitive de certains personnages, comme Saâdia par exemple...

Seul l’avenir nous le dira, mais c’est bien aussi de faire mourir les personnages parfois. Certains sont des magiciens donc je comprends qu’on puisse se poser la question, concernant Sharlaan par exemple. Que vont-ils devenir ? En effet, on peut penser qu’ils resurgiront un jour. Très honnêtement, ça m’ennuierait de ne plus avoir Sharlaan à dessiner, mais il faudra aussi que ce soit réellement nécessaire. On ne ramène pas un personnage dans une histoire juste pour le ramener. Ce doit être utile à l’histoire. Si ça n’est pas justifié, ça n’a aucun intérêt, même pour les lecteurs.

Et puis aussi, c’est bien aussi de laisser le lecteur un peu frustré, ça attise son imaginaire. Par exemple, pour en revenir à l’album Le Sablier d’El Jerada, je me souviens que Jean voulait que je représente le sablier. Or moi, j’ai préféré ne pas le représenter exprès. Pour laisser le lecteur l’imaginer lui-même, à sa manière en fait ! Ce sont deux approches très différentes et je sais que pour ce tome 5, Jean en a été très frustré : il s’imaginait que j’allais faire un grand dessin fabuleux, grandiose. Mais je me suis dit qu’une fois dessiné, cela aurait retiré beaucoup à l’histoire et à l’imaginaire du lecteur. Donc, là, chacun peut continuer à imaginer son sablier à lui !

Quand on discute sur un scénario avec Jean, on se renvoie la balle. Lui me dit « Ha haa ! Tu vas voir, tu vas être surpris de mon histoire, celle-là tu ne t’y attends pas ! ». Et en retour, c’est parfois lui qui est surpris de mon dessin, des interprétations graphiques que je peux donner à ses histoires. Je le soupçonne même des fois de modifier ses histoires en cours de route en fonction des dessins que je lui livre... pour mieux exploiter des éléments non prévus au départ. C’est un jeu entre nous, en fait : on se réserve toujours un peu des surprises. Le début et la fin de l’histoire, ça, on sait où on va ! Mais l’acmé de l’histoire (c’est à dire le moment où ça monte, ça monte), on se laisse toujours la possibilité d’intégrer quelque chose de mieux si ça se présente. Tout ça en cours de réalisation !

Quels sont vos albums ou le cycle d’albums préférés dans Percevan ?

Ma réponse est toujours la même : l’album que je préfère, c’est celui que je vais faire ! Pour une raison toute simple : un album pour moi, c’est la satisfaction d’en être arrivé au bout. On part de rien et on va au bout d’une histoire qu’on a rêvée. On couche nos idées sur le papier. Jean les développe au niveau du scénario, moi je les développe au niveau du dessin. Ça prend forme et ça devient un album de BD. Mais cet album, une fois qu’il est publié, moi je suis déjà sur le suivant, le futur album. Donc l’album qui sort en librairie, pour moi, c’est déjà du passé. Et ce passé, je n’en vois que les défauts. J’ai déjà évolué dans ma tête sur ma manière d’aborder les choses et même si je suis fier de ce nouvel album qui est publié, je n’en vois que ce qui ne va pas au niveau du dessin. Et donc, l’album préféré restera celui sur lequel je travaille car j’ai espoir que mon dessin sera mieux, que les choses seront mieux faites.

C’est aussi pour ça que je ne relis jamais mes albums (sauf quand c’est le dernier qui vient de sortir... et puis je le referme). Je me suis dit d’ailleurs récemment qu’il allait falloir que je m’y mette bientôt : relire mes propres albums de Percevan ! Pour les redécouvrir... Car je me rends compte que j’ai des lecteurs qui les connaissent mieux que moi ! (Rires)

Mais tout bien réfléchi, c’est normal finalement, je crois : je suis dans le devenir, pas dans le passé. Je regarde juste les pages quand je dois redessiner un personnage qui revient. Je fais deux ou trois crobards et je referme le livre, je ne le relis pas. Car en plus, je ne veux pas influencer trop mon dessin par rapport à ce que j’ai déjà fait par le passé.

La table d’émeraude fait référence à un ancien texte du IXe siècle ?

Oui, c’est la table des alchimistes et c’est en effet un précepte qui remonte au IXe siècle. Dans notre album, la table d’émeraude c’est à la fois le présent et son reflet ! Il y a ainsi un double du château de Malicorne sous terre. Et on ne peut accéder à ce reflet que par l’intermédiaire de la table d’émeraude. À l’époque, j’avais même fait une maquette de la table d’émeraude, il faudrait que je remette la main dessus. J’avais fait d’autres maquettes d’ailleurs, comme par exemple la partie d’échec du tome 3 qui a lieu dans une tour. Cette partie d’échec a été très longue à dessiner car sur l’échiquier, j’ai représenté un vrai coup aux échecs. Je ne me souviens plus du nom du coup mais il a fallu que je redessine les pièces, chacune au bon emplacement pour que le coup soit vrai. C’était d’autant plus difficile à dessiner que la caméra tourne autour de l’échiquier dans la page. Et comme les personnages étaient statiques dans cette scène, j’avais carrément réalisé une maquette de l’intérieur de la tour avec la partie d’échec (pour arriver à bien tout représenter).

De la même manière, j’avais fait aussi la bague rouge des trois étoiles d’Ingaar en maquette. J’adorais faire ça à l’époque mais l’inconvénient c’est que, quand même, ça prend du temps. Et pendant qu’on fait ça, forcément on ne dessine pas ! J’ai un peu abandonné mais parfois, j’avoue que c’est nécessaire de représenter certaines choses en 3D.

On est surpris d’apprendre que plus jeune, vous avez dessiné des albums d’Albator !

Oui i ! J’ai repris Albator en BD avec des amis, on avait fait un studio. Parce qu’à l’époque, Dargaud avait racheté les droits du personnage Albator du dessin animé. Ils ont décidé de créer un magazine qui s’appelait... heu... je ne sais plus le nom de magazine en fait |Le Journal du capitaine Fulgur. NDLR]. Mais il fallait qu’Albator paraisse quasiment toutes les semaines et c’est ainsi qu’on s’est retrouvés à faire huit albums en un an. C’était les années 1980, avant Percevan.

Il se trouve que juste avant cela, il y avait eu un autre dessin animé qui avait eu lui aussi beaucoup de succès : Goldorak ! Goldorak avait été proposé à Greg, qui était directeur littéraire chez Dargaud et quand il a vu arriver la série, il a envoyé paître le mec en lui disant que c’était de la m... (ou tout comme) : « Je ne veux pas de ça chez Dargaud ». Mais vu le succès que ça eu, le père Dargaud a ensuite répliqué à Greg « - Écoute, maintenant débrouille-toi pour me trouver quelque chose qui puisse remplacer tout ce que tu m’as fait perdre ! ». Cette décision de Greg, c’était beaucoup d’argent de perdu pour un éditeur. Et donc, Greg a réussi à décrocher Albator et ils ont donc créé un journal spécialement pour ça, pour pouvoir publier Albator.

Et il leur fallait du coup une équipe pour dessiner Albator ! Et j’ai en effet fait partie de cette équipe, car j’avais un dessin dont le trait était très près de celui du dessin animé. Les autres dessinateurs étaient plutôt réalistes et j’étais le seul en fait qui pouvait amener la dimension humoristique du dessin animé d’origine. Mon dessin se prêtait vraiment bien au ton semi-réaliste et parfois décalé de la série. J’en garde un très bon souvenir car j’ai beaucoup appris. On a travaillé de manière très efficace, il fallait abattre de la page. Je me souviens avoir travaillé avec Christian Gaty. On regardait les dessins animé à la télé et on faisait des croquis en regardant l’écran.

Pour l’anecdote, au même moment sont apparus les magnétoscopes. Et à l’époque, j’ai ainsi acheté mon premier magnétoscope que j’avais payé 7 000 francs. Je ne vois pas si vous imaginez le prix que ça représentait ? C’était colossal ! Mais c’était une folie nécessaire qui nous permettait de faire des arrêts sur image. Sauf que c’était des arrêts sur image très instables et il ne fallait pas rester trop longtemps dans cette position sinon ça bousillait la bande magnétique. Je ne sais pas si vous vous souvenez, c’étaient de grosses cassettes. Il ne fallait vraiment pas rester longtemps en pause, donc on faisait vite des photos parfois. Elles étaient floues mais on arrivait quand même à redessiner à partir de ça. On recopiait aussi certaines expressions des personnages pour être au plus juste.

En revanche, concernant le vaisseau, on avait très peu de documents, mais on a réussi quand même à le dessiner sous toutes ses formes. On en avait fait des photocopies pour le reproduire sous tous les angles : de près, de loin, de dessous, de dessus etc. Et à chaque fois on découpait les photocopies qu’on recopiait. Parce que s’il avait fallu le redessiner à chaque fois, je ne vous dis pas... Le vaisseau était hyper-complexe ! Je me souviens d’ailleurs qu’à cette époque, ma femme était la secrétaire d’un grand chercheur (d’un très grand chercheur même, Président de l’Académie des Sciences). Ce monsieur, Maurice Fontaine, était parti en voyage au Japon. Les jouets et les dessin animés, il n’en avait rien à faire. Mais il nous avait ramené quand même une maquette de l’Arcadia (Rires). Il avait réussi à nous en trouver une là-bas ! Il nous l’avait ramenée dans ses bagages et ça nous avait alors bien servi pour représenter ce fameux vaisseau d’Albator. Il avait pas loin de 70 ans à l’époque, il était donc bien loin de l’univers d’Albator. Il avait quand même eu la gentillesse de nous ramener cette maquette avec toutes ses affaires.

Pour en revenir à Percevan, l’attente a parfois été très longue entre deux albums !

Tout simplement parce qu’il m’arrive d’avoir autre chose à faire. Vous savez Hergé a aussi mis huit ans entre deux albums de Tintin. Ce n’est pas rare, on prend le temps de faire autre chose. Les libraires qui vous disent que la série est abandonnée et qu’il n’y aura plus d’autres tomes, c’est pour vous vendre en fait d’autres livres. Ils ne sont pas forcément dans le secret des auteurs. Et puis, même si on est dans une société consumériste, je pars du principe qu’il vaut mieux faire passer d’abord la qualité du travail avant la quantité. Donc j’aime prendre mon temps. Et en plus, sur le dernier album, on a changé d’éditeur donc ça a rallongé encore plus les délais.

Sinon ; je pense que je ne suis pas si mal. Je dois avoir une moyenne d’un album tous les deux ans. Une série comme « Blake et Mortimer », Jacobs en a fait 8 sur toute une vie ! Ce n’est pas forcément de la lassitude, on fait des quantités d’autres choses à côté. J’ai travaillé pour la télé, j’ai fait des illustrations, de la publicité... On ne se contente pas que de la BD. Je ne me compare pas à Bilal mais combien d’albums de BD a-t’il fait ? Pas beaucoup je crois. Mais à côté, il a fait du cinéma, il a fait de la peinture, il a fait des illustrations, il a fait des expositions etc. Loisel avec « La Quête de l’Oiseau du temps », il n’a fait que quatre albums. Ce sont les autres qui ont dessiné la suite des albums. Ce n’est pas lui. « Peter Pan », il n’en a pas dessiné beaucoup non plus.

Et puis, dans la vie, je n’ai pas fait que Percevan, j’avais fait aussi Sylvio que vous devez connaître. Également une autres série plus récemment ! Je me souviens que j’ai fait aussi énormément de cartes postales. On a tous aussi nos vies personnelles à côté, qui vont nous prendre du temps, nous accaparer... En ce moment j’axe mon travail sur Percevan car nous venons de changer d’éditeur (et qu’avec Jean on a pas mal d’idées en ce moment) mais mon avenir aussi ne se fera pas que sur cette série. Je ferai d’autres travaux comme j’ai toujours fait ! Je crois que je ferai même des one-shots pour pouvoir travailler avec différents scénaristes et pas du tout avec des personnages secondaires de Percevan. Ce sera d’autres albums de BD qui n’auront rien à voir !

Pourquoi Dargaud n’a jamais récupéré le catalogue complet des albums de Percevan ?

Parce qu’en fait l’éditeur Glénat n’a jamais voulu revendre à Dargaud les 3 premiers tomes de notre série ! Glénat dit qu’il tient à ces albums là, parce que ça fait partie de ses premiers albums publiés en couleur cartonné. Il ne veut donc pas s’en séparer mais moi je pense qu’en réalité, il n’a pas vraiment digéré le fait qu’on le quitte pour aller chez Dargaud. Et Glénat les publie toujours. Obligatoirement, sinon il perd les droits d’édition. Vous savez, ce n’est pas simple pour un éditeur quand il a beaucoup d’auteurs, car il est obligé de maintenir un stock suffisant pour satisfaire la demande. Et quand il y a rupture de stock, il n’a que quelques mois pour rééditer les bouquins. Sans ça, il perd les droits.

Et les Éditions du Tiroir du coup ?

On ne s’est pas auto-édités, c’est une vraie maison d’édition. C’est une petite maison d’édition belge qui s’est créée il y a deux ans maintenant et qui donc édite des nouveautés ou réédite. Percevan est un peu une exception chez eux. Leurs propos, c’est de dire qu’ils peuvent éditer tous les projets restés dans les tiroirs des auteurs. D’où leur nom « Les Éditions du Tiroir » justement ! On regarde ce qu’il y a dans le tiroir et si ça vaut le coup, on le publie car ça n’a jamais l’objet d’aucune parution.

C’est André Taymans qui est un peu à l’origine de ça, quand il a su que je faisais un nouvel album de Percevan. On a bien discuté, c’est une équipe jeune, sympa. C’est une petite boîte qui se monte et donc amener Percevan chez eux, c’était une aventure qui nous tentait. Ce n’est pas qu’on devenait des anonymes chez Dargaud mais leur politique vis à vis de séries comme la nôtre a un peu changé. Dargaud est maintenant plus axé vers une BD et des auteurs d’actualité. On l’a bien vu à travers la reprise de « Blueberry » par Christophe Blain. Ils veulent des séries plus actuelles ! Le côté BD populaire ou tout public a un peu disparu chez Dargaud. Percevan avait donc moins sa place chez eux qu’à une certaine époque.

Pourquoi deux scénaristes sur certains albums de Percevan ?

Parce qu’en fait Jean Léturgie avait l’habitude de travailler avec Xavier Fauche sur les albums de Lucky Luke qui sont parus après le décès de Goscinny. Et donc au second album, Jean m’a demandé si ça ne me dérangeait pas que Xavier se joigne à nous pour écrire les histoires. Je n’y voyais pas d’inconvénient : il y en a toujours plus dans trois têtes que dans deux. Je l’ai rencontré, on est devenus copains avec lui aussi. Et puis un jour, Jean et Xavier Fauche se sont séparés. Léturgie lui a annoncé qu’il continuerait à écrire les histoires de Percevan tout seul. Donc Xavier a fait d’autres choses et je crois même qu’il a monté une boîte de communication dans la bande dessinée. Il se servait de la BD pour faire de la "com". Il a été producteur à France Inter où il y produisait une émission qui parlait de théâtre, de littérature, de cinéma... C’est quelqu’un de très érudit, avec beaucoup d’humour.

À l’époque, pour moi, travailler avec deux scénaristes, ça ne changeait rien, ça se jouait entre eux. C’est souvent d’ailleurs qu’une histoire s’écrive à quatre mains. Ça permet des échanges, ils se renvoient la balle, c’est plus efficace. Moi je recevais mes pages dactylographiées, c’était absolument pareil pour moi. Transparent.

Avec le tome 16, vous avez recyclé un titre que les lecteurs connaissent bien !

Oui et c’est vraiment rigolo car j’ai déjà croisé des lecteurs qui m’ont soutenu avoir vu en librairie ce tome 4 (La Magicienne des eaux profondes), celui annoncé depuis des années au dos des albums Glénat, alors que ce titre n’a finalement été utilisé que pour le tome 16 qui vient juste de paraître.

Comme il n’a toujours été que "annoncé" chez Glénat, on s’est dit qu’il fallait bien en faire quelque chose quand même de ce titre. À l’époque c’était devenu « Le Pays d’Aslor » puisqu’on changeait d’éditeur à cette occasion. L’histoire n’était pas encore totalement écrite mais c’était bien la même base pour ce fameux tome 4 ! Seul le titre a été changé.

Pour l’anecdote, quand on a signé chez Dargaud, on n’avait pas de titre. Généralement on donne le titre de l’album à paraître quand on signe un nouveau contrat chez un éditeur. Mais là on n’avait rien avec Jean. Et là, la secrétaire nous regarde et nous demande « Et alors ? ». Et pour blaguer, on lui rétorque « Et aslor ? » Bingo ! C’est devenu le titre du quatrième album : « Le Pays d’Aslor ». (Rires)

Pour le passage de Glénat à Dargaud, on voulait vraiment qu’une rupture se fasse et donc on ne voulait pas conserver le titre initialement annoncé chez Glénat. Pour ce quatrième tome de la série., on voulait un titre nouveau, original... pas quelque chose de déjà annoncé. Et ce qui est donc marrant, c’est que pour les lecteurs, ce titre, « La Magicienne des eaux profondes » est devenu mythique ! À tel point qu’on a finalement eu envie de l’utiliser enfin pour le tome 16 à l’occasion de ce second changement d’éditeur. Ça y est, enfin, cet album est paru comme celui que des lecteurs semblaient attendre depuis plus de 35 ans ! (Rires)

Quelle est votre actualité maintenant ?

D’abord il y a le tirage de tête du tome 16 qui vient de sortir. C’est un beau tirage de tête et c’est aussi l’album de mes cinquante ans de carrière. J’ai la chance d’avoir 90 de mes collègues qui ont rendu hommage à Percevan en le dessinant dans leur propre style. Il y a Percevan dessiné par Loisel, par Turk, par Hermann, dessiné par Dany, par Aouamri, Azara etc. C’est super sympa. Le livre a été tiré à 450 exemplaires et c’est un bel ouvrage qui fait 182 pages. C’est vraiment un beau collector.

Ensuite, l’actualité, ce sera le tome 17 : La Couronne du crépuscule. J’ai déjà dépassé la moitié de l’album. L’ambition première était qu’il paraisse lui aussi en 2020 mais ce ne sera peut-être pas possible au final. Ce sera certainement en début d’année prochaine. Et pour le tome 18 suivant, j’ai déjà une idée potentielle à exploiter. On verra ce que Jean me dira. Notre manière de procéder est simple : chacun de son côté réfléchit à des idées et puis on se retrouve pour travailler, à Paris où il a son appartement ou en Normandie où je vis. On met nos idées en paquet sur la table et au sortir de la discussion, on garde au final en fin de journée un petit bout de ci et un petit bout de ça. Si on n’a pas une trame hyper-intéressante dès le départ, ça se construit souvent ainsi. Mais vous savez, j’amène toujours mon grain de sel : pour chaque tome, on se rencontre plusieurs fois dans l’année (même si on vit éloignés). À une époque, quand je vivais encore à Paris, Jean Léturgie venait quasiment tous les deux jours chez moi et il gommait mes planches de Percevan. Il adorait ça ! Il gommait mes planches pour y découvrir le dessin fini à l’encre (Rires) ! On se voyait vraiment beaucoup et ça a créé une séparation le jour où je suis parti m’installer en Normandie. Je crois que ça lui a beaucoup manqué de ne plus pouvoir nous voir comme avant.

Pour en revenir au prochain tome de Percevan qui paraîtra, la seule chose que je peux dire aux lecteurs, c’est qu’on ne retrouvera aucun des personnages secondaires déjà connus : on agrandit la galerie ! Et pareil pour les lieux, ce sera nouveau. L’aventure se situera à l’ouest, plutôt vers la Bretagne, mais je n’ai pas envie de vous en dire beaucoup plus... (Rires ) La grande question qu’on se pose nous, en tant qu’auteurs, c’est : « - Est-ce qu’il va y avoir un des nouveaux personnages du prochain album qui va jaillir plus que les autres ? » Un dont la personnalité va émerger, pour devenir ensuite un personnage récurrent de la série ? Pour l’instant je ne sais pas mais... il y a tout de même un personnage qui me semble assez fort, un roi ! Mais je ne veux pas trop en dire non plus car c’est en devenir, il faut laisser ces personnages en plein essor. En tous cas pour le prochain album, le sujet est assez sympas et tourne autour d’une couronne un peu particulière. L’histoire débute avec ce roi qui a fait don à Percevan d’un château... sauf que ce château est particulier ! Et pour une fois, Percevan n’est pas confronté à un sorcier, ni accompagné d’une magicienne. C’est une histoire entièrement nouvelle à découvrir... bientôt !

Propos recueillis par Jean-Sébastien Chabannes
http://pabd.free.fr/ACTUABD.HTM

(par Jean-Sébastien CHABANNES)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 978293102705

Illustrations : &copy Jean Léturgie, Philippe Luguy - Glénat, Dargaud, éditions du Tiroir.
Photos : DR

 
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15 Messages :
  • On retrouve chez cet auteur la classe naturelle (chez l’homme comme dans l’oeuvre) des auteurs historiques de la BD franco-belge ... Et qui fait bien trop souvent défaut aux quadras/quinquas d’aujourd’hui de l’écurie Dargaud ("axée sur une BD d’actualité") !

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    • Répondu par ManThing le 29 août 2020 à  12:13 :

      … écurie Dargaud et les autres, Glénat, Delcourt, etc…
      Le manga avec leurs produits dérivés et les comics assurent leur petit business tranquillou !! Actuellement dans le réalisme de la BD historique, fantasy/SF, quelques scénaristes et éditeurs font sous-traiter le dessin et la couleur par des artistes étrangers ( travailleurs détachés ? ) pour préserver sans doute, la marge de leurs droits d’auteur en France !!

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      • Répondu par kyle william le 29 août 2020 à  15:16 :

        De quoi parlez-vous ?

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        • Répondu le 31 août 2020 à  06:41 :

          Ils ne font pas sous-traiter la réalisation des albums réalistes par des auteurs étrangers pour des questions de droits d’auteurs, mais parce qu’il n’y a quasiment plus d’auteurs réalistes en France. Les auteurs réalistes de talent sont overbookés et les jeunes se détournent de ce style là, question d’image. Pourtant il y a du travail et des lecteurs mais la réalité du milieu est faussée par une vision tronquée de la réalité.

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          • Répondu par kyle william le 31 août 2020 à  09:41 :

            Des exemples précis de séries dont les auteurs français ont été remplacés par des travailleurs étrangers détachés ?

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            • Répondu par Eric B. le 31 août 2020 à  11:48 :

              Le dernier Barbe-Rouge qui vient de sortir par exemple... Et quand on voit la piètre mise en couleur qui gâche complètement l’album, je suis un peu de cet avis : on sent que Dargaud a sous-traité. C’est mauvais et non spécifié en page de titre. Résultat décevant pour un album tant attendu. Bref, un naufrage !

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              • Répondu par kyle william le 31 août 2020 à  12:54 :

                Je n’avais pas conscience qu’un Barbe Rouge pouvait être « tant attendu ». Comment savez-vous qu’il a été sous-traité à l’étranger ? On est parfaitement capable de faire moche en France.

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                • Répondu par PATYDOC le 31 août 2020 à  16:24 :

                  Le dessinateur est italien, c’est une sous-traitance pas très éloignée ! Et à première vue, le dessin est remarquable !

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                  • Répondu par Eric B. le 1er septembre 2020 à  07:48 :

                    Dessin talentueux gâché par l’encrage (ou l’impression, je ne saurais dire) mais par contre, totalement saboté par la mise en couleur... Un grand dommage !

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                    • Répondu par kyle william le 1er septembre 2020 à  11:23 :

                      Apparemment, le dessinateur a fait lui-même ses couleurs.

                      Répondre à ce message

  • Les auteurs ont-ils vraiment mis une majuscule à la préposition « des » dans leur titre ?? Voir la reproduction, incluse dans l’article, de la couverture de l’album.
    La faute d’orthographe est énorme.
    Avis aux Éditions du Tiroir : il serait bon de corriger cela au prochain tirage.

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    • Répondu par Eric B. le 30 août 2020 à  14:39 :

      Oui bien vu ! La faute se répète sur la page de titre mais pas au verso du livre, là où se trouve le catalogue des titres.

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      • Répondu par kyle william le 30 août 2020 à  15:39 :

        Ce n’est pas une faute. Ça se fait couramment sur les titrages.

        Répondre à ce message

    • Répondu par maitre Capello le 30 août 2020 à  14:47 :

      La faute d’orthographe est énorme.
      Ce n’est pas ce qu’on appelle une faute d’orthographe.

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      • Répondu par Jean Lorrain le 2 septembre 2020 à  22:47 :

        Pas une faute d’orthographe ?
        C’est quand même plus grave qu’une erreur typographique.
        Quand c’est plus grave qu’une faute de typographie, ce ne serait pas encore une faute d’orthographe ?…

        Je n’essaie pas de « faire honte » aux auteurs ou à l’éditeur. Je signale une bourde : celle-ci pourra très bien être rectifiée.

        Bien à vous.

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