Il y a deux ans, Piccoma, filiale de la société coréenne Kakao, N°1 du webtoon au Japon, arrivait avec fracas en France [en s’offrant l’exclusivité de Solo Leveling, l’un des webtoons les plus populaires du monde devenu, grâce aux éditions Delcourt qui l’avaient lancé sur sa propre plateforme de webtoons abandonnée depuis, un best-seller de librairie. « En France, Kbooks (Groupe Delcourt) en a écoulé plus de 400 000 exemplaires de son adaptation au format papier en France, ce qui a provoqué un véritable phénomène de curiosité pour ce format, le webtoon, que beaucoup d’éditeurs regardaient d’un air suspicieux… » écrivait Kelian Nguyen dans nos pages il y a deux ans.
Le passionné Kim Hyung-Rae, dirigeant de la structure française de Piccoma, que nous interrogions dans un podcast l’année dernière nous expliquait les intentions de Piccoma : « Le smartoon en France est encore balbutiant. Mais il va se développer et deviendra un jour rentable, voilà pourquoi Piccoma, qui veut accompagner son développement, investit sur ce segment de marché. » Sur sa plateforme, parmi quelque 700 référence, on trouvait les mangas de Kurokawa, Pika ou Glénat.
D’après le Korea Herald qui annonce la nouvelle de la fermeture, c’est l’appétence des Français pour les mangas japonais qui serait à l’origine des difficultés de la structure française de Kakao Piccoma.
Une explication un peu courte puisque celle-ci, toujours selon le même quotidien, se maintient très bien au Japon où le format numérique prend le leadership du marché : « Kakao Piccoma a enregistré un volume de transactions annuel record de 100 milliards de yens (641 millions de dollars) au Japon l’année dernière, en partie grâce à sa stratégie d’utilisation d’algorithmes pour recommander du contenu adapté aux préférences des lecteurs. Piccoma, l’application de service japonaise de la société, a également revendiqué la première place dans le classement des dépenses de consommation sur le marché des applications mobiles au Japon, l’année dernière. »
Ce serait plutôt, comme nous l’avions expliqué dans un précédent article, les ennuis de la direction du groupe qui pousserait celui-ci à une rationalisation un peu sauvage.
Un marché très concurrentiel et porteur en dépit des difficultés
Cette situation nouvelle nous enseigne deux choses :
– Le format du webtoon a vraiment de l’avenir. À ce jour, à titre d’exemple, 50% des lecteurs d’ActuaBD nous lisent sur un smartphone. C’est vrai pour un grand nombre de titres de presse. C’est dire que pour la BD, la lecture sur smartphones est une chose naturelle, d’autant que dans certaines contrées où le réseau de diffusion du livre est moins dense (Afrique, USA, Canada, Amérique du sud…), c’est le seul vecteur de lecture probant.
Plusieurs opérateurs français comme Manga.Io, Allskreen ou Ono sont également sur ce secteur prometteur, avec une approche prudente et mesurée où la création française a toute sa place, preuve que la cause est loin d’être perdue, car le facteur-clé de succès reste la création.
– Nous sommes face à une bataille de Titans. Ce manga symbolise bien la situation actuelle : des géants mangeurs d’hommes venus d’un autre monde sont en train de déferler sur le nôtre. Nous en avions fait le constat en juin dernier alors que Piccoma entamait sa troisième année de partenariat avec Japan Expo : le marché français était abordé par un combat entre deux leaders coréens : Naver/Webtoon et Kakao/Piccoma et quelques outsiders made in USA, comme Disney/Ducktoon, ou Made in France comme Media-Participations/Ono ou encore Ankama/Allscreen. Mentionnons aussi la plateforme Mangas.Io qui s’appuie sur un système d’abonnement respectueux des auteurs susceptible de tirer son épingle du jeu.
Enfin, il reste un Coréen sur deux. Le N°1 du marché français, Webtoon, dont l’intensité capitalistique est incomparable reste en lice. « Le N°1 coréen du webtoon, dont le CA a été de 1,543 milliards d’euros en 2022 et qui compte 85,6 millions d’abonnés mensuels à travers le monde, dont 52% à l’étranger et plus d’un million en France, a bien l’intention de marquer son territoire dans l’hexagone » écrivions-nous l’année dernière. Juste à titre de comparaison, le CA total de la BD en France doit faire environ 1 Md€…
Nous sommes, au niveau des plateformes, clairement dans un schéma à la Amazon ou à la Netflix : ces entreprises sont prêtes à perdre beaucoup d’argent pendant quelques années afin d’aboutir à une situation de quasi-monopole.
Des perspectives profitables... à long terme
Heureusement, avec les acteurs français qui nous restent, une création hexagonale peut s’épanouir, de même qu’un marché de traduction, notamment des œuvres des petits studios de production coréens indépendants représentés par la Kocca, l’agence commerciale culturelle du gouvernement coréen.
Après tout, la France offre le marché le plus diversifié pour les mangas dans le monde en dehors du Japon, un marché prospère et en expansion. C’est en France aussi avec Solo Leveling publié par KBooks/Delcourt a fait la démonstration d’une exploitation profitable des webtoons en librairie et que Kim Jung Gi avait son galeriste [1]. Les Coréens ont tout intérêt à travailler avec les Européens.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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[1] La Galerie Maghen.
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