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Richard D. Nolane (2/2) : « Je suis incapable de savoir où va me mener une histoire. »

Par Charles-Louis Detournay le 1er novembre 2014                      Lien  
Le scénariste de "Wunderwaffen" prolonge les uchronies guerrières avec "Zeppelin's War" et l'attendu "Space Reich". Mais Nolane est également passé expert dans les one-shots des collections de Soleil comme les "Trains de Légendes", les "Voitures de Légendes", "Les Contes et Légendes des Régions de France", dont il ouvre souvent le bal...

Après le succès de Wunderwaffen, vous avez lancé un spin-off de cette même série, avec Zeppelin’s War. Dans la série-mère, vous rappelez dans chaque introduction les sources de votre uchronie. Or, pour ce spin-off, il faut attendre le dossier en fin d’album pour comprendre ce qui régit ce nouveau cadre, indépendant de Wunderwaffen. Pourquoi avoir réalisé ce choix ?

Richard D. Nolane (2/2) : « Je suis incapable de savoir où va me mener une histoire. »
Je pensais qu’il était évident au premier coup d’œil que ces deux univers ne pouvaient pas avoir, en toute logique historique, de rapport entre eux… Par contre, oui, il y a une volonté de surprendre le lecteur et de mettre en scène de formidables batailles aériennes. Cela me ravit, car j’ai toujours eu une passion pour les dirigeables.

À nouveau, vous faites intervenir Hitler et Goering, mais pour mieux transformer la vérité. Ainsi, vous imaginez que ce dernier aurait pu être le fameux Baron rouge...

La ligne éditoriale de la collection Wunderwaffen présente pourrait plus ou moins se résumer à « tout ce à quoi vous avez pu échapper avec Hitler et les nazis… ». Et, à chaque fois, le problème est envisagé sous un angle différent. Dans Zeppelin’s War, uchronie pas mal déjantée et assaisonnée de steampunk, si j’ai repris un Goering as de l’aviation allemande tel qu’il était, je me suis dit qu’il serait amusant de mettre en scène un Hitler jeune encore plus fondu qu’il ne l’était déjà à l’époque et qui va croiser un Raspoutine lui-même beaucoup plus atteint et dangereux qu’en réalité. Et pour faire bonne mesure, j’ai introduit un Guynemer que le Dr Cornélius, bien connu des amateurs de littérature populaire, va pas mal « améliorer » à sa façon…
Ensuite, tout ce petit monde va s’arranger pour bien aider à faire exploser l’histoire de l’Europe de la Première Guerre mondiale telle que nous la connaissons…

Oui, vous présentez entre autres le fameux Raspoutine en imaginant même qu’il aurait pu être au service des Allemands. On dirait presque que vous collectionnez les grands méchants de l’Histoire…

Je n’ai pas imaginé l’hypothèse d’un Raspoutine espion allemand : elle était dans la tête de tous ceux qui le détestaient à Saint-Pétersbourg, et ils étaient nombreux… Mais j’ai mis le turbo sur son côté « mage maléfique » et l’ai fait investir de la force du Vril au cours d’un voyage secret dans l’Arctique. Le Vril est une composante importante de la mythologie occulte nazie et pré-nazie, tout comme les mystères de l’Arctique d’ailleurs…

Pouvez-vous nous dire en quelques mots comment va se dérouler la suite de votre série : sur terre et dans les airs ?

Honnêtement, je ne sais pas en combien d’albums se fera la série. Sauf sur un projet vraiment bloqué en longueur à l’avance, comme dans la collection 1800 où c’était deux albums et pas plus, je suis incapable de savoir où va me mener une histoire. Il suffit que je fasse un synopsis pour ne pas le suivre car au fur et à mesure que j’avance, de nouvelles pistes apparaissent, etc. Au départ, Zeppelin’s War était plus ou moins prévu en deux ou trois albums maximum. Maintenant, je ne sais plus car, comme pour Wunderwaffen, un univers s’est installé et j’entrevois un bien plus grand fun qu’au départ, avec plusieurs choix concernant la fin.

Vous développez encore votre passion guerrière uchronique avec Space Reich qui sort dans quelques semaines. L’approche sera-t-elle différente de Zeppelin’s War et Wunderwaffen ?

Radicalement. Dans le cas de Space Reich, la Deuxième Guerre Mondiale s’est terminée fin 1943 par la prise de Moscou et l’arrestation de Staline par les Allemands. Cette rapidité s’explique par l’invasion de l’Angleterre en 1940 et la non-intervention des USA suite à cela et surtout à la victoire de Lindberg l’isolationniste contre Roosevelt aux élections de 1940. Bref, les Américains se sont arrangés avec les Japonais dans le Pacifique et un Reich gigantesque et surpuissant s’étend de l’Atlantique à Vladivostok, la Sibérie étant devenue encore plus terre de camps de concentration et d’extractions des richesses naturelles que sous les Soviétiques.

Mais en 1945, après sa réélection, Lindberg décide de redorer l’image de l’Amérique en décidant soudain d’envoyer une fusée dans l’espace et d’ouvrir ainsi un programme spatial qui enthousiasmera le peuple. Le problème est que les USA n’ont pas de grands spécialistes alors que Von Braun, devenu une icône du régime, se voit confier immédiatement par un Hitler de plus en plus atteint par la maladie de Parkinson, la mission de contrer les Américains. Mais un peu plus tard, les Américains vont récupérer un atout inattendu dans leur jeu…

Le pitch est alléchant ! Avez-vous à nouveau imaginé un court récit avec des possibilités de rebondir, au besoin ?

Du fait de son sujet, Space Reich est conçue dès le départ comme une série assez longue puisqu’elle ira jusqu’au premier voyage humain sur la Lune. C’est un mélange d’astronautique, d’espionnage, et de SF. Le tout sera bien entendu pimenté de paranormal, vu à parts égales du côté américain et allemand, contrairement à ce qui se passe dans Wunderwaffen. On y retrouvera aussi un des personnages de la série-mère : Jacques Bergier ! Et ce sera là aussi une histoire avec plusieurs personnages importants des deux bords en train de s’affronter, et non un seul héros face à l’adversité. Un système utilisé depuis des lustres par certaines séries de comics et par une infinité de romans.

Si vous avez également écrit pour différentes collections de Soleil comme Terres Secrètes, 1800 ou Les Contes et Légendes des régions de France, vous venez d’inaugurer celles des Trains de Légendes. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots quel est le concept de cette série de one-shots et pourquoi vous avez accepté de vous y associer ?

Le concept de Trains de Légende n’est pas de raconter l’histoire du train en bande dessinée, ce qui serait un peu fastidieux autant pour l’auteur que le lecteur et réserverait la série à un public spécialisé. L’idée est réaliser une fiction ayant le célèbre train comme pivot et comme vedette. La partie « historique » n’est pas oubliée pour autant, puisque le cahier bonus supplémentaire lui est consacré... Ensuite, j’aime le principe des « one-shots ». Un de mes albums personnels favoris est d’ailleurs l’un d’eux, Titanic (2009) et j’ai pris finalement beaucoup de plaisir à faire ce recueil d’histoires fantastiques sur fond de légendes qu’est Contes & Légendes de Provence, pourtant un album de commande au départ…

Votre adaptation de ces récits régionaux était en effet très plaisante ! Pour revenir à votre récit traitant du fameux Orient-Express, avez-vous eu le choix du train que vous vouliez traiter ?

Oui, c’est moi qui ai choisi l’Orient-Express dès que Jean Wacquet m’a parlé de son idée de collection. Sa période faste est associée à une époque qui me fascine, celle de l’Entre-deux-guerres.

Alors qu’on pouvait s’attendre à une description de la genèse de la ligne ou des villes traversées, vous prenez le lecteur par surprise en évoquant la plus grande affaire criminelle liée au train, qui mit aux prises la chanteuse célèbre Josephine Baker, un serial killer, des terroristes communistes, des agents secrets à la solde de politiques fascistes ainsi que des agents de police et journalistes hongrois et autrichiens. Le train est d’ailleurs presque éclipsé par cette affaire peu commune ! Pouvez-vous nous commenter votre choix ?

Je dirai qu’on ne se refait pas… Cette histoire est pour moi intimement associée aux années 1920 et 1930, une période de tensions politiques, militaires et économiques planétaires qui débouchera sur le plus meurtrier conflit de tous les temps. Et puis, pouvoir mettre Joséphine Baker en guest star, c’était la cerise sur le gâteau… De plus, je me suis longtemps intéressé aux serial-killers (j’ai cosigné avec la criminologue Elisabeth Campos en 1995 un des tout-premiers livres en France sur le sujet, Tueurs en série : enquête sur les serial-killers, juste après celui de Stéphane Bourgoin) et Matuschka le Dérailleur avait bien sûr très vite attiré mon attention… Ici, le train n’est pas éclipsé, même si on ne le voit pas tout le temps. Bien au contraire, il constitue à la fois l’objet de l’attentat meurtrier et spectaculaire mais aussi l’objet-même de la psychose de Matuschka !

Une fois de plus, vous mêlez faits avérés et hypothèses. Est-ce finalement votre mode opératoire qui fonctionne le mieux pour captiver actuellement le lecteur ?

Compte tenu des zones d’ombre de l’affaire Matuschka (à commencer par sa disparition mystérieuse en 1944), une partie du scénario allait relever fatalement de l’hypothèse. Et la longueur imposée de l’histoire (46 planches) m’a obligé à laisser de côté certains épisodes énigmatiques qui se sont déroulés durant le séjour à la prison de Vaca pendant la guerre et que j’ai découverts en compulsant de la documentation hongroise. Mais pour revenir à la question, oui, ce mode opératoire consistant à injecter des éléments mystérieux dans l’Histoire connue me plait énormément. Inutile de chercher sa source très loin, elle se trouve dans mon intérêt de toujours pour les coulisses et les dessous méconnus ou fantastiques de l’Histoire.

Votre dossier en fin d’album revient en détails sur l’histoire de l’Orient-Express, pour étayer votre récit, mais surtout documenter l’histoire du train. Était-ce nécessaire vu l’orientation de votre récit ?

Il me semble que ce sera comme ça pour tous les albums. Pareil pour Voitures de Légende, dont le premier tome, La DS est sorti en août, mais là sur un ton plus léger…

Nous présenterons prochainement cette autre nouvelle collection aux lecteurs. Pour conclure sur les Trains de Légende, savez-vous quels sont les autres auteurs et les thématiques qui seront abordées après vous ?

Le deuxième tome de la collection sorti en octobre sera consacré au Transcontinental américain, bien connu des amateurs de Western avec Francesco Mucciacito au dessin et l’excellent Jean-Charles Gaudin au scénario (et qui m’a dit avoir râlé quand il avait vu que j’avais réservé avant lui l’Orient-Express… autour de l’attentat de 1931… !).

Pour votre part, quels sont les futurs albums à paraître ? Et vos futurs projets ?

Le sixième tome de Wunderwaffen sorti le 22 octobre termine mes parutions pour 2014 chez Soleil. Pratiquement à la même date, les cinq premiers tomes de Millénaire ont été réédités aux Humanoïdes Associés sous la forme d’une intégrale à prix compétitif dans cette collection que l’éditeur a lancée pour fêter ses 40 ans d’existence en mettant en avant les séries marquantes de son catalogue. Je suis évidemment flatté de faire partie du choix…


En janvier 2015, ce sera le tome 1 de Vidocq, un personnage qui me tient à cœur depuis des lustres, et le T1 de Space Reich. En mars, le one-shot « La Coccinelle » pour la collection « Voitures de légende » que nous venons d’évoquer. Ensuite, avant l’été, le T2 de Zeppelin’s War et le T7 de Wunderwaffen et sans doute le T6 de Millénaire dont la partie de la réalisation en noir et blanc est finie… Plus le T1 d’une mini-série de « rétro-SF » en deux albums dont je ne peux pas parler encore… Et à l’automne, fort probablement, le T8 de Wunderwaffen et le T2 de Space Reich. Bref, du pain sur la planche… !

(par Charles-Louis Detournay)

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De Richard D. Nolane, lire nos précédents articles :
- Soleil s’attaque à l’uchronie aérienne : « Wunderwaffen » !
- Millénaire : tomes 1 et 5
- Centurion tome 1
- Russel Chase, tomes 1 et 2

 
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