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Richard Di Martino (Outre Tombe / Malek Sliman / Cléo) : « Pif est un personnage qui ne doit pas mourir ! »

Par Jean-Sébastien CHABANNES le 12 décembre 2016                      Lien  
Sa collaboration avec Simon & Jean Léturgie pour sa série "Outre tombe", la réussite de la collection "Pouss' de Bamboo" destinée aux jeunes parents et à leurs enfants, le récent succès de la petite Cléopâtre pour un public plus jeune, la création d'un atelier BD, son travail plus récemment avec le scénariste Christophe Cazenove... le parcours du dessinateur Richard Di Martino à travers toutes ces étapes est un bel exemple que la pugnacité dans ce métier finit un jour par être récompensée. Jusqu'à réaliser aujourd'hui un de ses rêves en redonnant vie au personnage de Pif en partenariat avec François Corteggiani...

Tu as démarré ta carrière professionnelle en rentrant directement chez Vents d’Ouest. C’était pas mal pour un début ?

Oui c’est sûr, il y a pire ! J’ai pas mal de copains qui ont plutôt démarré chez de petits éditeurs comme « Pointe Noire ». Donc pour moi, démarrer chez « Vents d’Ouest », en effet, c’était bien ! Ça s’est passé par connaissance. On avait le projet de « Malek Sliman » qui était plus ou moins en attente chez « Soleil ». Mourad était plus ou moins intéressé. Il nous faisait faire des modifications et encore des modifications... jusqu’au moment où ça a commencé à vraiment nous peser ! C’est alors qu’un copain, Jean-David Morvan, nous a conseillé de l’envoyer chez « Vents d’Ouest » car Thierry Cailleteau venait d’être promu Directeur de Collection. Et là, c’est passé du premier coup ! On a donc laissé tomber la piste « Soleil » mais il est vrai qu’à l’époque il y avait plus de chances pour de jeunes auteurs comme nous de démarrer chez « Soleil » à Toulon que chez « Vents d’Ouest » (qui était déjà d’ailleurs une filiale « Glénat »).

Quel regard portes-tu maintenant sur ta toute première série Malek Sliman ?

On ne peut pas dire que ce soit une série qui m’ait fait connaître car ça n’a pas été un grand succès. J’ai même eu d’ailleurs une période par la suite où j’ai un peu "nié" cette série. Parce qu’on crache un peu sur ses premiers boulot, parce qu’on évolue... Mais au final, aujourd’hui, je la regarde avec un œil différent. Je me dis qu’il fallait que je passe par là. J’ai fait mes premières armes sur cette série et que finalement, avec Bruno Falba, on ne s’est pas si mal débrouillé vu le contexte de l’époque.

Richard Di Martino (Outre Tombe / Malek Sliman / Cléo) : « Pif est un personnage qui ne doit pas mourir ! »

En fait, l’erreur a été que j’ai voulu aller vers un dessin semi-réaliste alors que je suis en réalité un dessinateur humoristique. C’est après que je suis revenu à mes vrais amours !

Dans le second tome, il y avait une certaine affection entre les deux personnages principaux qui était bien mise en avant.

Graphiquement le tome deux est peut-être un peu plus abouti que le premier en effet. Le tome trois devrait l’être encore plus mais il a été bâclé par moments, je l’avoue ; la démotivation faisant puisqu’on savait que la série allait s’arrêter. L’éditeur nous avait annoncé qu’il n’y aurait pas de tome quatre alors forcément... Mais scénaristiquement parlant, oui, c’est vrai que le tome deux est le plus intéressant avec la mort de l’agent « A12C4 » qui vient se greffer par-dessus la trame principale. Même dramatiquement parlant, c’est vrai qu’il est pas mal foutu. C’est moi aussi celui que j’ai préféré sur les trois. Plusieurs fois j’ai relu ces albums et notamment quand ils ont sorti une intégrale il y a quelques années. Mais c’est dur de jongler entre l’œil critique de l’auteur (qui se dit je n’aurais pas dû faire comme ça) et prendre du recul pour arriver à lire l’album comme si ce n’était pas moi qui l’avais fait.

Malek, c’était un sujet personnel ?

Oui et ça a été le cas pour presque toutes mes séries en fait. J’aime bien arriver avec mon univers et demander à un scénariste de développer avec moi. Quand j’ai rencontré Bruno Falba, il avait des projets de scénario sous le coude qui n’étaient pas du tout pour moi : plus adulte, plus réaliste, plus science-fiction. Je lui ai dit que ses scénars étaient sympas mais que je ne me reconnaissais pas dedans. Alors je lui ai montré ce que j’étais en train d’essayer de développer : l’univers était posé, le héros, le contexte politique et futuriste à Marseille... avec les sociétés de police privé. Il a accepté de bosser sur ça et au final, il se l’est bien approprié.

Ta motivation était de mettre en avant la ville de Marseille où tu as créé le Zarmatelier ?

Ce n’était pas du chauvinisme mais je voulais faire un peu un truc à la « Soda » que j’aimais beaucoup à cette époque-là. Mais où fait-on se passer l’histoire ? Encore à New-York où c’est le cas dans la plupart des bouquins et des films ? A Paris parce que c’est la capitale ? Pourquoi je ne ferais pas ça carrément à Marseille ? J’ai vraiment eu ce cheminement. Je vis dans une grande ville où il peut se passer vraiment des histoires policières, des trafics. Si on projette ça dans cent ans, ce sera encore plus une grande ville. Alors autant faire ça chez nous, tout simplement ! Je ne pense pas que Marseille sera réellement comme ça dans cent ans, mais je l’ai représenté comme ça. Presque un délire pour la faire ressembler plus à Tokyo !

Est-ce que tu peux nous parler de ton atelier BD ? Il a quelques années au compteur maintenant.

Je ne l’ai pas créé tout seul le « Zarmatelier » mais avec Bruno Bessadi, mon vieux compagnon d’armes (le dessinateur de « Zorn et Dirna »). On se connaissait, on faisait de la B.D. avant même d’arriver à être publiés. Quand on était plus jeunes on faisait un fanzine ensemble et on fantasmait à l’idée de devenir un jour des professionnels... et d’avoir alors un atelier dans lequel on puisse bosser tous les jours (plutôt que de bosser comme des imbéciles chacun chez soi). Le Zarmatelier existait donc déjà dans nos têtes avant même d’exister physiquement. Il a démarré concrètement en 2001, l’année qui a suivi immédiatement nos premières publications.

Qui y travaille aujourd’hui ? Qui en est parti ?

L’idée est venue de Bruno et moi mais réellement, quand on l’a ouvert on était déjà cinq ou six jeunes auteurs. Aujourd’hui, mis à part nous deux, tous sont partis, les uns après les autres : Olivier Thomas, Thomas Allard, Yann Valiani, Eric Stoffel... Mais à chaque fois ils ont été remplacés par un nouvel auteur. Domas et Clément Baloup sont arrivés donc après mais ils sont toujours là. De nouveaux auteurs comme Mathilde Domecq ont fait juste un court passage. C’est la vie. Il y a les rapports humains et diverses situations géographiques. Même quelques coups de gueules aussi ! Aujourd’hui on est huit dans l’atelier : quatre en bas et quatre en haut. A huit, on est bien et chacun bosse selon ses horaires. C’est ça l’esprit d’un atelier : certains arrivent tôt, d’autres restent tard le soir. Chacun fait ce qu’il veut, on se croise. Mais ça permet une émulation et d’avoir une vie sociale. Moi j’ai besoin de voir des gens. Et le jour où je n’ai pas envie, je reste travailler chez moi où j’ai tout mon matos quasiment en double. Donc c’est au choix mais la plupart du temps, je vais à l’atelier. Je préfère quand même voir des gens et on s’entraide parfois quand on n’arrive pas à faire une case. On fait plusieurs croquis et les copains t’aident à trancher.

Dessin de l’auteur réalisé pendant l’interview

L’atelier c’est carrément un plus humainement. Il y a les rigolades et le cas aussi du collègue qui se penche sur ton travail et qui te dit clairement que c’est moche ce que tu fais ! ( Rires ) Soit tu lui dis de se mêler de ses oignons, soit au contraire tu lui réponds « Ha bon tu crois ? Mince, t’as peut-être raison... ». On a même souvent des jeunes qui nous écrivent ou nous appellent. On essaye de les recevoir quand on peut. Avec Bruno, on n’a pas oublié qu’à une époque c’est nous qui allions voir des gars comme Mourier pour lui montrer nos dessins (et qu’on était très contents quand il prenait cinq minutes pour nous recevoir et faire des critiques constructives).

J’ai beaucoup aimé ta série « Outre-tombe », une sorte de « Spoon & White » mais axé sur les films d’horreur américains.

En fait j’étais très fan de « Polstar » et de « Spoon & White » justement (les deux séries que faisaient Jean et Simon Léturgie). Je les ai contacté par mail pour leur dire que j’avais envie qu’on fasse un truc ensemble. Ils étaient partants donc je suis allé les voir carrément à Paris (un coup de TGV, ça va vite). On a cherché ensemble des sujets qui nous plaisaient à tous les trois et on est tombés sur les films d’horreur. On a donc décidé de partir sur de la parodie de ce genre de films. Avant eux, j’avais contacté André Benn pour lui proposer de reprendre « Mic Mac Adam ». On avait fait des essais mais ça n’avait pas abouti. Je n’étais pas assez mûr graphiquement et lui n’était pas vraiment prêt pour relancer son héros. Il a relancé « Mic Mac Adam » beaucoup plus tard. Il a fait ça lui-même au final pour le dessin. Mais André m’a donné pas mal de conseils et on continue à se croiser de temps en temps en festival.

Que t’a apporté cette collaboration avec les Léturgie sur "Outre tombe" ?

Pas mal de trucs techniques en fait. La manière de construire sa page, son dessin. Même au niveau des histoires (alors que je ne suis pas scénariste). J’ai appris pas mal à leur contact : ils sont très pros, l’un comme l’autre. Jean Léturgie a quand même pas mal d’albums de « Lucky Luke », « Ran Tan Plan », « Percevan »... C’est un grand scénariste pour moi (même s’il n’est pas reconnu comme un "Goscinny"). Il n’a peut-être pas eu de succès propres mais je trouve qu’il a bien mené sa barque. Pour « Outre tombe », ils co-scénarisaient et Simon faisait le story-board (ce qui apportait beaucoup à mon dessin en terme de dynamisme). Je me suis rendu compte par la suite (quand j’ai travaillé avec d’autres scénaristes et que je me suis remis à faire mes propres story-board), qu’un cap avait été franchi grâce à eux. Simon m’avait beaucoup apporté sur la lisibilité et la narration. Lui, a appris en décortiquant des "Peyo", des "Franquin"... Ça a été très formateur de bosser avec lui.

J’ai bien aimé le titre du troisième et dernier tome « Trois petits tours et puis s’en va ». Comme un message à destination de l’éditeur. Personne n’a relevé ?

Ça c’est de l’humour Léturgie ! Quand on appris en cours d’album pour le tome trois qu’il n’y aurait pas de tome quatre, ils ont trouvé cette idée de titre que je trouve excellente. C’est leur humour, c’est un peu cynique et ce n’est pas grave si personne n’a relevé... Lecteurs ni éditeur !

Qu’est-ce qu’il s’est passé avec la couverture du troisième album ?

Oui, je sais, elle est pas terrible ! Elle est même moche en fait ! ( Rires ) Pourtant on avait fait plein de rough Simon et moi (comme pour les deux premières couvertures). L’objectif est de se recentrer ensuite sur une idée et je ne sais pas pourquoi ça a donné celle-là. Mais ce n’est pas un choix de l’éditeur, on a fait notre mayonnaise à nous et ça a donné cette horreur. ( Rires) Elle est ratée mais c’est pas grave. C’est drôle. Il y en a plein des couvertures ratées. Je n’ai pas d’exemples précis à te citer mais même s’il y en a de très belles, il y en a aussi de très moches en librairie. Pour l’anecdote, la seconde couverture d’ « Outre Tombe » par contre, elle, elle est inspirée d’un dessin de Mignola et de l’album « Les loups de Saint Auguste ».

Il n’a jamais été question de terminer l’histoire chez un autre éditeur ? Ou adapter l’univers ?

Malheureusement non, la suite ne se fera pas. Vents d’Ouest détient toujours les droits. Et comme pour « Malek Sliman », tant qu’ils ne veulent pas les lâcher, je ne peux pas faire de suite chez un autre éditeur. Et comme eux ne veulent pas éditer la suite, ça bloque une série. L’auteur n’a pas le choix, il faut passer à autre chose. Se lancer dans des procès couteux en temps et en argent, personne ne veut rentrer là-dedans. Pour « Malek Sliman », on avait tenté de récupérer les droits (le tome un étant épuisé) mais plutôt que nous rendre les droits, ils ont préféré éditer une intégrale. Cela leur permet de pouvoir justement prolonger les droits et de l’avoir en catalogue. Au final, pour moi c’est très bien : l’important c’est de faire vivre le livre. Adapter l’univers d’Outre tombe, ce genre d’idée je ne l’ai réellement eu que récemment mais c’est sur mon autre série « Cléo ». C’est bien en effet d’avoir quelque chose de déclinable à l’infini. Sur d’autre support que la BD, c’est d’ailleurs un peu le nerf de la guerre. S’il on avait pu continuer la suite d’« Outre tombe », dans le tome quatre, il était prévu une histoire de vampires au Mexique. Avec une pyramide Aztèque pour l’ambiance ! Après le Canada, les héros passaient cette fois la frontière du Mexique et l’histoire était inspirée du film « Une nuit en enfer » de Tarantino et Robert Rodriguez.

Ton travail avec les Léturgie n’a pas amené à la réalisation d’un autre projet commun ?

Les Léturgie n’avaient écrit qu’un pitch pour ce tome quatre mais en fait, avec Simon, on a quand même continué à travailler ensemble ! On a fait « Georges Dandin » une adaptation de Molière chez « Vents d’Ouest » dans la collection « Comédia ». Avec Jean, on a aussi fait des dizaines de piges dans « Le journal de Spirou ». Mais on n’a jamais sorti aucun album puisqu’il n’y avait pas de série régulière. C’était surtout de l’animation de journal (et parfois pour des numéros spéciaux). J’ai fait ça pendant six ans mais ça ne m’a mené à rien au final : je n’ai jamais pu m’installer comme auteur chez Dupuis. Quand tu prends conscience qu’après tout ce temps, tu n’es au final qu’un bouche-trou du journal... ça peut correspondre à certains mais moi ça m’a saoulé ! J’avais vraiment l’impression de perdre mon temps. Et comme à ce moment là je commençais à publier chez Bamboo, j’ai vu que j’avais à faire à un vrai éditeur, avec une vrai volonté, un vrai dynamisme. Et pourtant, je suis fan de Spirou depuis tout petit, c’était presque le but ultime de ma vie : être dans Spirou. Alors voilà... Je l’ai été pendant cinq ou six ans mais bon... L’aboutissement aurait été d’avoir un bouquin chez Dupuis, mais puisque ça ne s’est pas fait. J’ai trouvé ma place chez Bamboo et aujourd’hui je n’ai pas de regrets vis à vis de Dupuis.

Quels ont été tes autres projets par la suite ?

J’ai fait un album chez Fluide Glacial qui s’appelait « Ingrid de la jungle » et qui a pas mal marché ! C’était un album un peu opportuniste car ça "surfait" sur l’actualité (par rapport à la libération d’Ingrid Betancourt). C’est vraiment un projet sur lequel on m’a appelé et sur lequel j’ai travaillé comme un mercenaire. Mais je me suis bien éclaté à le faire car graphiquement ça se passait dans la jungle, avec beaucoup de végétation. C’était plein de bêtises, c’était de l’humour à la Fluide Glacial et donc très drôle à faire. Et puis j’avais un délai très court pour le faire donc j’ai dû mettre toute mon énergie sur le dynamisme du dessin. Et au final je trouve que j’ai fait un album assez pêchu ! Après il y a eu « Eddy l’angoisse » chez Paquet. Le bouquin faisait plus de cent pages. J’ai fait scénario et dessin. Je me suis fait plaisir, j’ai raconté ce que j’avais envie de raconter et comme j’avais envie de le faire. Paquet m’a laissé libre, ils m’ont fait confiance.

J’ai opté pour un dessin jeté, presque comme un carnet de croquis mais c’est mon album le plus personnel. J’avais envie de raconter des choses que j’ai vécu mais sans me mettre en scène. Je ne voulais pas d’une autobiographie. Cet album est entre la biographie et la fiction (avec un sujet du musicien qui me tient à cœur). Il y a une part d’anecdotes vécues et d’autres qu’on m’a raconté... plus certaines choses inventées. Ça fait une belle tranche de vie, ce n’est pas un scénario construit comme on a l’habitude. Ça a été ma pire vente mais pour moi, mon plus bel album. Mais je n’ai pas fait une thérapie en faisant cet album (comme Larcenet avec « Blast »), « Eddy l’angoisse » ce n’était que du plaisir !

Tes deux albums « Tattoo Mania » font penser aux albums Dupuis quand ils multipliaient tous les corps de métiers. Est-ce un créneau intéressant ?

C’est un autre registre, j’aime bien les tatouages, j’en ai pas mal. En fait j’ai un très bon copain qui est tatoueur (on a fait nos études de dessinateur ensemble). Je suis parti vers la BD, lui vers le tatouage. Et un jour où je mangeais avec Christophe Cazenove, je venais de me faire faire un nouveau tatouage (j’avais encore le pansement sur l’épaule). On en a parlé, je lui ai raconté cet univers et Christophe qui est toujours très curieux a dit « Et si on faisait une B.D. sur le tatouage ? ». Moi j’étais assez sceptique. Je me souviens lui avoir répondu : « Tu es sûr ? Qu’est-ce qu’on va pouvoir raconter ? ». Mais d’emblée Christophe était persuadé qu’il y aurait plein de trucs à raconter. Il a voulu que je lui présente William, mon copain tatoueur. Il s’est documenté, il a lu des magasines. Il s’est vraiment intéressé au sujet. Cazenove a cette force : tu lui proposes n’importe quel sujet, il est capable de rebondir dessus. Il peut faire des gags avec des pompiers, des gendarmes, l’Egypte antique avec « Cléo », les tatouages, la bière, le vin... Il est incroyable ce type-là ! Avec « Les Sisters », il fait vivre ces deux gamines alors qu’il n’a pas d’enfants. Les animaux marins aussi ! Il fait des dizaines de séries sur des sujets diamétralement opposés. Il le fait toujours avec brio. Il a des séries meilleures que d’autres mais c’est toujours bien fait, de manière sincère et jamais pour faire du pognon. C’est un vrai « gagman » ! C’est un type super comme il en faudrait plus. La toute première fois, on s’était rencontré en salon et déjà il m’avait proposé de travailler ensemble un jour.

J’ai beaucoup aimé ton album pour enfants chez « Pouss’ de Bamboo » : « Le petit poucet ». De la BD sans texte et de très beaux livres !

Les deux premiers qui sont sortis dans cette collection (et en même temps) sont « Le petit poucet » (que j’ai fait moi) et « Le petit chaperon rouge » de Domas. L’idée de la collection « Pouss’ de Bamboo » est aussi venue du fait qu’on se parlait tous les jours de nos filles. C’est un peu obsédant au départ quand tu as un gamin car ta vie ne tourne qu’autours de ça. Et donc, quand on a un boulot comme nous, on en vient à vouloir faire quelque chose en rapport avec nos enfants. Le but était de faire des BD et de pouvoir les lire à nos filles. L’idée donc de développer cette collection nous est venue avec Domas.

On a hésité à créer nos propres histoires, alors très vite on a préféré adapter les contes populaires (qui sont finalement des histoires super connues). Tout le monde les connait mais en réalité... plus ou moins. On a donc relu tous les classiques, on est revenus aux sources des contes de Perrault et de Grimm. On a voulu rester au plus proche du conte... mais avec l’obligation de prendre des raccourcis puisqu’on avait l’impératif de ne pas mettre de texte. On ne peut pas faire parler les personnages et en plus avec l’éditeur, on était partis sur un format de trente pages. Mais on n’a pas trahis les contes. Aujourd’hui la collection continue. En ce moment je suis en train de dessiner « Ali Baba » : il sortira l’année prochaine. Les suppléments en fin du livre, c’est une idée de l’éditeur pour que l’album puisse être relu quand l’enfant rentre au CP. Et ça aide aussi les parents à pouvoir lire le conte à leur enfants. Cette série c’est un beau succès d’estime. Il y a des titres qui se sont bien vendues. D’autres ont été des flops mais la collection compte quand même une vingtaine de titres. Domas et moi on en a fait chacun quatre ou cinq. Bruno Bessadi en a fait aussi et d’autres auteurs nous ont rejoint. Mais au Final c’est Le boss de « Bamboo », Olivier Sulpice, qui valide les choix des auteurs et des titres qu’on lui propose.

Comment dessines-tu ? Avec quel matériel, sur quel format ?

Les couleurs sont faites sur l’ordi mais ce n’est pas moi qui les fais. Je fais tout à la main, je travaille à l’ancienne. Ce que je fais de plus en plus par contre, c’est des retouches sur ordi. Des détails ou copier/coller un décors. Mais la plupart du temps, je vais juste retaper des petits détails comme des yeux qui louchent ou replacer une pupille. Mais le reste, je dessine tout. Selon les albums, soit je travaille au feutre, soit au pinceau, soit au crayon gras. J’essaye des techniques un peu différentes. Ce qui est intéressant au Zarmatelier, c’est qu’on a tous des styles très différents. On a des techniques différentes et donc on se complète tous. Et forcément on s’influence les uns les autres. On s’apporte des trucs, d’autres manières de faire.

Tu as aussi donné des cours de dessins ?

Oui j’avais été prof dans une école privée il y a quelques années mais depuis elle a fermé. Mais il y a trois ans, l’école « Axe Sud » a ouvert une section B.D. Et comme le Zarmatelier a pignon sur rue à Marseille, ils sont forcément venus chercher des enseignants chez nous pour leurs élèves. On est ainsi plusieurs du Zarmatelier à donner des cours de dessin dans cette école. Ils ont des cours de dessin pur (de modèle vivant et de nus) mais aussi dans le cursus BD, des cours de scénario, de composition d’image, de rough, de croquis, de caracter-design, de couleur... Et même d’histoire de la BD ! Et c’est moi qui me charge de ça car ça me passionne ! C’est bien de connaître l’histoire du média sur lequel on travaille. Donc je continue à apprendre tout en leur apprenant. J’essaye de ne pas oublier tous les grands moments de l’histoire de la B.D. que ce soit Le journal de Spirou, Le journal de Tintin, Moebius, Métal Hurlant... Tout ce qui s’est imposé à un moment donné comme un pilier incontournable en Europe, au Japon ou aux Etats-Unis.

Qui sont justement tes dessinateurs ou auteurs de référence en général ? Ceux que tu aimes suivre ou lire ?

Mon idole a toujours été André Franquin depuis que je suis petit, quand j’ai découvert Gaston et Spirou. Peyo aussi ! Je voue une admiration sans borne pour « Les Schtroumpfs » et « Johan et Pirlouit ». Quand j’étais gamin j’adorais aussi lire Pif. Je n’étais pas abonné mais mon père m’achetait tous les mercredis les deux journaux : « Pif » et « Spirou ». Je ne saurais dire lequel j’ai aimé plus que l’autre. J’étais aussi très fan d’ « Astérix » et de « Lucky Luke ». On va dire : tous les grands classiques de la B.D. franco-belge.

Les deux tomes de Cléo que tu as dessiné et avec Cazenove au scénario ont été couronnés de succès. De très bonnes critiques et une très bonne accroche des enfants ! Avec en plus un côté didactique !

Christophe Cazenove et Hélène Beney m’avaient proposé de faire une B.D. dans l’Egypte antique mais au départ, ça devait se passer dans une dynastie bien-bien antérieure, peut-être mille ou deux-mille ans avant. L’Egypte antique comme l’antiquité en général sont des sujets qui me passionnent et justement de mon côté j’avais déjà pensé à faire quelque chose sur Cléopâtre. Je leur ai donc proposé de s’orienter plutôt sur le personnage super connu de Cléopâtre justement et sur son enfance (dont on ne connaît finalement pas grand-chose dans les livres d’histoire). Il y avait là plein de possibilités pour extrapoler sur sa vie d’enfant. L’éditeur a été emballé par l’idée et le projet est parti très vite. On a eu de très-très bons retours sur le tome un.

Et il y a aussi une caution intellectuelle pour les parents : ça valorise le livre. Les parents achètent ça en festival et grâce à Virginie Joliton qui est une doctorante spécialiste des reines d’Egypte, ça crédibilise notre travail. Elle relit toutes nos pages, elle ne change pas la finalité du gag mais elle corrige les dates ou d’éventuelles erreurs dans le texte. Donc tout ce qui est dit dans « Cléo » est vrai. Et elle nous a écrit les cahiers pédagogiques qui sont en fin d’album. Elle remet les éléments en place dans leur contexte, on revient à des choses plus sérieuses et même pour nous, on a vachement appris.

Il n’y aura pas de suite à ce projet ?

La suite est gelée pour l’instant. Ça ne veut pas dire qu’il n’y aura jamais de tome trois mais on attend une relance de l’éditeur. Peut-être qu’il a été déçu par les ventes du second tome et qu’il s’attendait à mieux après le succès du un. Je ne sais pas mais dans tous les cas, pour l’instant je n’aurais pas le temps de m’attaquer à une suite de « Cléo » avec tout ce que j’ai à faire.

Tu as surpris tout le monde avec ton retour comme dessinateur de Pif ?

Là encore ça s’est passé lors d’une discussion pendant un festival. C’était avec François Corteggiani. Je lui avais dit que dans mes fantasmes les plus fous, j’aurais aimé dessiner une aventure de Pif. Spirou ou Pif ! D’autant plus que ce sont des licences tous les deux. Dessiner une aventure des Schtroumpfs, ce n’est pas possible (ça appartient à Peyo) mais Pif et Spirou, oui ! Et François m’avait répondu « Si un jour ça se fait, je te dirai ». Mais c’est le genre de truc qu’on dit souvent comme ça, en l’air. Il faut savoir que François Corteggiani est quand même la caution intellectuelle de Pif. Mais je ne croyais pas à sa réponse... jusqu’à ce qu’il me rappelle en janvier 2015 : « Est-ce que tu veux toujours reprendre Pif ? L’Huma relance Pif ! ». J’ai fait rapidement quelques croquis et c’était bon, l’aventure était en marche. Je me retrouvais à faire dix ou douze pages tous les trimestres et ça s’ajoutait au Cléo qui était en cours. Ça a été une période très chargée pour moi. Aujourd’hui, « Le journal de Pif » est un trimestriel qui fait plus de pages. C’est un gros pavé sur la base des « Picsou Géant ». Ils ont remis le gadget à partir du numéro deux car beaucoup de fans on écrit pour le réclamer. Dans chaque numéro, ils mettent une nouvelle histoire que je dessine et écrite par François... et ils ressortent une vieille histoire tirées des années 70 ou 80. Ça permet que le personnage de Pif soit présent de manière conséquente dans chaque numéro.

Comment fait-on donc pour s’accaparer graphiquement un tel personnage ?

Ça faisait bizarre au début mais aujourd’hui c’est intégré pour moi. D’autant plus que je suis dans un rythme de production assez élevé. Mais quand je me suis retrouvé à dessiner la première histoire, je faisais ça dans le secret (je n’avais pas le droit d’en parler). Et je me revois tout seul en train de dessiner mes pages et me dire dans ma tête : « Putain tu dessines Pif ! Tu te rends compte ? Tu es en train de dessiner Pif ! ». Je bossais jusqu’à pas d’heure, tout seul le soir, chez moi en cachette. J’étais lessivé mais ça me rendait super heureux ! C’est finalement assez dans mon registre. Mais Pif reste quand même assez dur à dessiner. C’est comme Tintin qui a l’air super simple avec sa tête toute ronde et sa houppette mais en fait Pif et Hercule c’est pareil, c’est assez compliqué. Encore aujourd’hui je re gomme, je recommence. J’ai récupéré chez mes parents plein de vieux Pif qui étaient rangés à la cave et quand je ne m’en sors pas, je suis obligé de regarder comment c’était fait par les autres avant moi. Krapulax, le méchant récurrent est marrant à dessiner et François trouve que c’est le personnage que je tiens le mieux. Il est dans toutes les histoires. On retrouve aussi le gnome, le serviteur de Krapulax. Le professeur Belpome aussi. Le gros barbu (à l’image de Corteggiani) qui est un peu l’équivalent de « Géo Trouvetou ». Pif est un personnage qui ne doit pas mourir ! Comme le personnage de « Mickey » chez les américains... Je m’éclate à dessiner Pif aujourd’hui. La seule chose qui est dommage, c’est que les délais sont trop court quand on me livre l’histoire. C’est de la folie quand je dois livrer mais c’est comme ça, je commence à m’y faire quand même...

As-tu le sentiment d’avoir « sacrifié » ta vie pour faire de la BD ton métier ?

Non, je n’ai pas de regrets. Oui j’ai sacrifié des choses pour arriver à faire ce métier mais c’est vrai pour tout le monde quand on veut essayer de réussir un peu dans un domaine. En entreprise aussi comme dans l’auto-entreprise, il faut sacrifier des choses et du temps. Mais je ne regrette rien, j’ai toujours fait ce qui me plaisait dans la vie, et j’ai toujours mis de côté ce qui m’embêtait. J’ai 45 ans et même si ça s’arrête demain, au moins j’aurais fait ce qui me plaît jusque là.

Quel est ton sentiment sur ce métier de dessinateur BD (ou dessinateur tout court) ?

Je ne suis pas dans la B.D. depuis très-très longtemps (ça ne fait que seize ans que je suis dans ce métier) et pourtant, je vois déjà les conditions se dégrader. Parce qu’il y a une surproduction, parce qu’il y a aussi de plus en plus de jeunes talentueux qui ont des choses à raconter... et donc il y a de plus en plus de bouquins qui sortent. Tout n’est pas bon (et c’est valable aussi pour mes bouquins) ! Et donc les conditions sont de plus en plus dures. Il faut vraiment être super motivé et avoir ça dans le sang. C’est presque une profession de foi, on ne peut pas se lancer dans la B.D. juste comme ça. J’espère que la BD perdurera, que ça ne mourra pas. Ce qui me fait peur c’est qu’il ne reste plus que des licences super connu et que toute la jeune création meure. En France on est un peu dans une exception culturelle, comme les Etats-Unis avec les comics et les japonais avec les mangas. Mais finalement il n’y a que ces trois grands axes qui produisent massivement de la bande-dessinée. Je parle de la France mais j’inclus bien entendu la Suisse et la Belgique. Je suis allé en Angleterre récemment, il n’y a pas de BD. Juste quelques comics-shop avec le l’import américain, du manga, Astérix et Tintin. Même les auteurs espagnols viennent se faire éditer en France maintenant. En Russie ou en Australie, il me semble que c’est le néant. Tout ça me fait un peu peur en effet... Et je suis surtout pessimiste quant à savoir si je pourrai continuer à publier pendant encore vingt-cinq ans pour avoir tous mes points retraite. Si je devais arrêter la BD, je ferai Prof ou de la pub comme j’ai pu le faire pour Kinder à une époque, c’était du design de jouets et en réalité assez intéressant à faire. La communication est aussi assez friand de B.D. car le dessin est hyper accessible, on peut faire passer tous les messages qu’on veut avec un dessin. Donc ce sont des bonnes pistes si un jour je dois me recycler ( Rires )

Propos recueillis par Jean-Sébastien Chabannes
http://pabd.free.fr/ACTUABD.HTM

(par Jean-Sébastien CHABANNES)

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