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Shoah et Bande Dessinée : la première grande exposition BD parisienne de 2017

Par Christian MISSIA DIO le 11 janvier 2017                      Lien  
Alors que la retentissante expo Hergé se termine au Grand Palais, la bande dessinée continue à occuper les cimaises des musées parisiens. À partir du 19 janvier et jusqu’au 30 octobre, Le Mémorial de la Shoah proposera une grande exposition à travers laquelle le public pourra découvrir la représentation du génocide des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale à travers la BD. Un parcours aussi curieux qu'étonnant artistiquement.
Shoah et Bande Dessinée : la première grande exposition BD parisienne de 2017
"Shoah et bande dessinée - Le Dessin au service de la mémoire" (Denoël Graphic), en librairie dès le 27 janvier 2017.

La BD en tant que medium est un outil formidable d’éducation, de médiation, de vulgarisation et de sensibilisation. Nous l’avions déjà vu ensemble dans nos articles consacrés par exemple à l’excision et aux 20 ans du génocide des Tutsis au Rwanda. Cette fois-ci, c’est à la Shoah [1] que nous nous intéressons.

Encadrée par la Commissaire générale du Mémorial de la Shoah Marie-Édith Agostini, le professeur Joël Kotek et le journaliste et commissaire d’expositions Didier Pasamonik, que les lecteurs d’ActuaBD.com connaissent bien, l’expo Shoah et Bande dessinée, qui aura lieu au Mémorial de la Shoah, s’accompagnera de nombreuses rencontres thématiques tout au long de l’année.

Bien que ne correspondant pas à la définition exacte de bande dessinée, une collection rare de dessins de rescapés des camps de concentration est d’entrée présentée aux visiteurs de l’expo. Ces dessins constituent un témoignage inestimable de l’horreur des camps de concentration nazis. Tout en étant victimes, les rescapés étaient également les premiers témoins de la souffrance des déportés, de leur combat quotidien pour la survie comme de la mort de leurs proches. Il en a résulté une production de dessins beaucoup plus volumineuse que l’on ne pourrait le supposer. L’exposition montre l’original de Mickey au camp de Gurs de Horst Rosenthal, une sorte d’ "ancêtre" de Maus, mais aussi des dessins de David Olère, un Juif polonais naturalisé français, dont les dessins académiques suffisent à faire ressentir la réalité glaciale de ce qui s’est passé dans les camps. On remarque aussi les dessins de Jim Kaliski qui raconte les épisodes douloureux de la rafle des Juifs belges.

Le Mémorial de la Shoah

Bande dessinée et Shoah : une rencontre tardive

"La Bête est morte" d’Edmond-François Calvo (dessin), Victor Dancette & Jacques Zimmermann (scénaristes), première repésentation de la Shoah dans la BD francophone en novembre 1944.
© Éditions Gallimard.

C’est un peu l’impression générale qui en ressort lorsque l’on se penche sur la question de la représentation de la Shoah dans la BD mondiale. Bien sûr, il y a eu la publication en 1944 de l’album La Bête est morte. Réalisé par Dancette et Calvo, cette BD mentionne très clairement bien que brièvement le génocide, mais elle le fait de manière réfractée : la guerre des hommes est devenue celle des animaux. La même année, le magazine Cœurs-Vaillants publie une bande dessinée de Robert Rigot décrivant Mauthausen, le calvaire des déportés chrétiens, tout en oubliant celui des Juifs, assassinés par millions dans les centres et sites d’extermination nazis. Il faut attendre 1952 pour voir une BD franco-belge aborder franchement la Shoah. Ce sera fait dans une histoire de L’Oncle Paul, publié dans l’hebdomadaire Spirou. Les auteurs Jean-Michel Charlier et Jean Graton y évoquent le destin héroïque et tragique de Raoul Wallenberg, l’un des premiers Justes parmi les nations pour ses actions de sauvetage des Juifs de Hongrie. Même parmi les auteurs ayant des origines juives, de Goscinny à Gotlib, le sujet était peu ou pas abordé.

Aux États-Unis, le bilan n’est guère meilleur : la bande dessinée de reportage Photo-Fighter dans True Comics (1944) l’effleure à peine. Pourtant, il n’était pas rare dans les productions de l’époque de voir certains super-héros, à l’image de Captain America, ridiculiser Hitler et son armée dès 1940. Mais aucune mention n’était faite du martyre des Juifs. Là encore, il faut attendre la décennie suivante pour voir les premières traces du génocide juif. Ce sera le cas en 1955 avec Master Race de Krigstein et Feldstein. Il est aussi important de préciser que durant longtemps, auteurs et éditeurs juifs-américains s’interdiront d’évoquer frontalement la Shoah, car sujet douloureux et complexe à traiter dans des publications destinées à la jeunesse et dans une Amérique en guerre mais à l’antisémitisme encore bien présent. La Shoah est érigée en tabou, une situation qui fera qu’aucun super-héros ne sauvera les Juifs européens.

Dès 1945, Captain America fait irruption dans un camp de la mort. Dessin d’Alex Schomburg.
© Marvel Comics

Vers la maturité

La mini-série de télévision Holocaust, réalisée par Marvin J. Chomsky et diffusée en 1978 marque un tournant dans l’évocation du judéocide et influence le 9e Art. Véritable élément déclencheur, les effets de la diffusion de ce feuilleton se verront très tôt car en 1980, les premières planches de Maus, le chef d’œuvre d’Art Spiegelman sont publiées dans les pages du magazine américain Raw. L’œuvre réunie en volumes entre 1986 et 1991, rencontrera un accueil critique unanime : il reçu un Prix Pulitzer spécial en 1992 ainsi que de nombreuses récompenses internationales. Art Spiegelman fut couronné du Grand Prix d’Angoulême en 2011. Le Roman Graphique entre par la même occasion de plain pied dans une phase de reconnaissance internationale, ne cessant par la suite de proposer des œuvres littéraires fortes comme L’Ascension du Haut Mal de David B (1996), Persépolis de Marjane Satrapi (2000), L’Art de voler d’Antonio Altarriba et Kim (2011) ou encore de L’Arabe du futur de Riad Sattouf (2015).

"Mickey au camp de Gurs" de Horst Rosenthal, réalisé clandestinement dans un camp en 1942.
Collection du Mémorial de la Shoah.

Au Japon aussi la question du génocide des Juifs fut abordée. Le « dieu des mangas » Osamu Tezuka proposa en 1983, une Histoire des trois Adolf, un récit de près de 1200 pages dont la Shoah par balles est au cœur du récit.

Progressivement, plusieurs auteurs de la BD franco-belge, mais aussi italienne, proposèrent des récits dans lesquels les personnages juifs, représentés de façon positive et non stigmatisante, sont les victimes des crimes nazis et de leurs complices, notamment le régime de Vichy.

Sur les cimaises, une suite de dessins originaux de qualité exceptionnelle signés Calvo, Jack Davis (la couverture de Master Race), Jean Graton (L’Oncle Paul), Joe Kubert, Will Eisner, bien entendu Art Spiegelman, mais aussi une multitude d’auteurs contemporains, de Paul Gillon à José Muñoz, de Will à Jean-Philippe Stassen, de Jorge Gonzales à Fanny Michaelis... On y voit aussi le scénario original des X-Men dans lequel Chris Claremont décide de faire de Magneto un juif rescapé d’Auschwitz.

Le Soldat Inconnu de Joe Kubert sauve une petite fille du Ghetto de Varsovie. Cet original est dans l’expo.
© DC Comics. Collection particulière.

Les temps forts de l’expo BD et Shoah

Dès le 19 janvier, à 19h30, une conférence ayant pour titre : « Le roman graphique : lieu privilégié du discours mémoriel ? », vous sera proposée. Un panel composé de Michel Kichka, Jean-Philippe Stassen (Deogratias), Barbara Yelin et Alfonso Zapico, auteurs de bande dessinée débattront autour de cette question. La rencontre sera animée par Benjamin Herzberg, assistant et biographe de Will Eisner.

Portrait d’Art Spiegelman
© Seth Kushner, courtesy of Terra Kushner

Le dimanche 22 janvier à 14h, l’historien Tal Bruttmann, l’auteur et scénariste de bande dessinée Chris Claremont (les X-Men) et Jean-Pierre Dionnet, fondateur de Métal Hurlant et spécialiste des comics, se poseront la question : « Pourquoi les super-héros n’ont-ils pas libéré Auschwitz ? ». Cette conférence sera animée par Philippe Guedj, journaliste et auteur de Dans la peau des super-héros (Timée, 2006).

Toujours le même jour mais à 16h30, les mangakas qui se sont emparés du thème de la Shoah seront à l’honneur. Ainsi, L’Histoire des 3 Adolf d’Osamu Tezuka ou Hitler de Shigeru Mizuki seront évoqués, de même que l’étonnant Anne Frank au pays du manga de Vincent Bourgeau et Alain Lewkowicz, en présence de Yayo Okano, professeur à l’université Doshisha, et Didier Pasamonik, commissaire de l’exposition. Cette conférence sera animée par Renaud Dély, directeur de la rédaction de Marianne bien connu des téléspectateurs d’Arte.

Couverture de Charlie Hebdo par Georges Wolinski réalisée quatre jours après que Darquier dit de Pellepoix déclare à L’Express : "À Auschwitz, on n’a gazé que les poux".
© Maryse Wolinski

« Peut-on rire de tout ? » se demandait Pierre Desproges... Avec les affaires Dieudonné et Charlie Hebdo, ces questions ont fait un retour brutal au premier plan de l’actualité ces dernières années. Les attaques terroristes de Toulouse en 2012, contre le Musée juif de Belgique à Bruxelles au printemps 2014 et celles contre la rédaction de Charlie et du magasin Hyper Casher de janvier 2015 ont ajouté de la gravité à cette interrogation… Peut-on rire de la Shoah et plus généralement des Juifs ? La question doit être posée. Pour en débattre autour de Delphine Peras, journaliste à L’Express, un plateau composé de Jean-Yves Camus, politologue chercheur associé à l’Iris, collaborateur de Charlie Hebdo, Philippe Geluck, auteur du Chat, Bernard Joubert, spécialiste de la censure dans la bande dessinée, et Pascal Ory, historien, professeur à Paris 1, se réunira le 2 février à 19h30.

"X-Men : Magneto The Testament". En 1981, Chris Claremont fit de Magneto un juif rescapé d’Auschwitz.
Greg Pak & Carmine Di Giandomenico © Panini Comics, 2009, © 2014 Marvel.

Longtemps considéré comme un « mauvais genre », la BD a acquis à partir des années 1960 une reconnaissance importante auprès des institutions. D’extraction populaire, voire vulgaire, la BD est-elle vraiment devenue un art suffisamment respectable pour parler de la Shoah ? C’est la question qui sera posée au cours de la conférence « Art mineur et questions majeures » qui aura lieu le dimanche 5 février à 16h30. Didier Pasamonik rejoindra un panel composé de Jean-Paul Gabilliet, professeur, université Bordeaux-Montaigne et Jean-Pierre Mercier, historien, conseiller scientifique à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image. La conférence sera animée par Jérôme Dupuis, journaliste à L’Express.

Le 7 février, un atelier destiné aux enfants sera organisé autour de livre de Maurice Joffo, Un Sac de billes. Les participants pourront questionner Kris et Vincent Bailly, auteurs d’une adaptation BD parue chez Futuropolis en 2011. Des comparaisons avec le film de Christian Duguay (2017) et celui de Jacques Doillon (1975) enrichiront cette confrontation et permettront la mise en évidence des particularités des diverses formes d’expression. Une animation destinée aux enfants sera ensuite organisée. Durant celle-ci, les jeunes participants réaliseront leurs propres vignettes d’un épisode de ce récit.

Enfin, le dimanche 5 mars à 14h30, une conférence autour du thème « Varsovie en guerre ou en bande dessinée » sera organisée. Cette discussion réunira autour de l’historien et politologue Jean-Yves Potel, les auteurs et dessinateurs de bandes dessinées Krzysztof Gawronkiewicz, Jean-David Morvan (sous réserve), Krystian Rosenberg, Marzena Sowa, Séverine Tréfouël et Didier Zuili.

D’autres conférences seront organisées au cours de l’année 2017.

Dans "Deuxième Génération" (Ed. Dargaud), Michel Kichka raconte son voyage avec son père de retour à Auschwitz.
© Michel Kichka / Dargaud

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782207136683

Expo Shoah et Bande dessinée - Mémorial de la Shoah à Paris.
Du 19 janvier au 30 octobre.

ENTRÉE GRATUITE

L’expo "Shoah et bande dessinée" sur le site du Mémorial de la Shoah

Affiche réalisée par Enki Bilal.

MÉMORIAL DE LA SHOAH
17, rue Geoffroy-l’Asnier
75004 Paris
Tél. : 01 42 77 44 72
Fax : 01 53 01 17 44
Ouverture tous les jours sauf le samedi
de 10h à 18h
et le jeudi jusqu’à 22h
Entrée libre
Métro Saint-Paul ou Hôtel-de-Ville

Commander le catalogue de l’exposition "Shoah et bande dessinée - L’Image au service de la mémoire" (Dirigé par Didier Pasamonik et Joël Kotek, Denoël Graphic) chez Amazon ou à la FNAC

[1Ce terme popularisé par Claude Lanzmann pour désigner l’assassinat des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale signifie "la catastrophe" en hébreu. Il a été préféré à celui d’"Holocauste" utilisé en anglais, qui renvoie à la notion de sacrifice et qui est un terme religieux finalement peu approprié à la réalité de ce génocide unique dans l’histoire.

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