"Swamp, un été dans le bayou", ou Huckleberry Finn ressuscité, par Johann G. Louis – Ed. Dargaud

Red et Otis, deux garçons de 10 ans, habitent dans une petite ville perdue au fin fond de la Louisiane. Espiègles et aventureux, ils font les quatre-cent coups ensemble et ne se quittent pas.

Un été raconté à travers les yeux d’enfants

Pourtant, un monde les sépare : celui de la ségrégation. En effet, Red est blanc et Otis noir. Mais à leurs yeux d’enfants, ils sont simplement les meilleurs amis du monde et ne comprennent pas pourquoi les adultes les regardent jouer ensemble d’un mauvais œil. Et ils ne comprennent pas non plus trop ce qu’il se passe le jour où ils sont témoins du lynchage d’un homme noir.

Swamp, un été dans le bayou, de Johann G. Louis - Extrait 1

© Johann G. Louis

L’arrivée de la petite Shelley, du même âge qu’eux mais de santé un peu fragile, va changer la donne car elle et sa mère viennent d’un monde plus ouvert et tolérant. Les trois comparses vont ainsi passer un été inoubliable, différent, qui va les faire grandir et perdre une part de leur innocence dans cette région où la violence couve.

Swamp, un été dans le bayou, de Johann G. Louis - Extrait 3

© Johann G. Louis

Un parti pris risqué

Les aventures du trio amènent des questionnements importants sur le racisme, la pauvreté, l’alcoolisme, l’hypocrisie et la trahison mais aucun des héros n’est en mesure d’y répondre car ils ne comprennent pas tout ce qu’ils voient. Otis est le seul à être un peu plus alerte à ce sujet car il commence lui-même à être victime de la ségrégation et à sentir le danger qu’il y a pour lui et les siens à vivre dans un environnement qui déteste les gens de couleur.

Swamp, un été dans le bayou, de Johann G. Louis - Extrait 4

© Johann G. Louis

Ce point de vue d’enfant est à la fois la force et la limite du récit de Johann G. Louis. Otis, Red et Shelley n’ont en effet qu’une compréhension limitée des enjeux et des dangers de la ségrégation et de la situation économique du pays à cette époque. Il est donc cohérent que toutes les situations qu’ils découvrent ne trouvent pas de résolution. Mais pour un lectorat adulte, cela laisse un goût d’inachevé et peut aussi entraîner des questions insolubles pour un public plus jeune. Ce parti-pris de l’auteur est donc assez risqué car il place Swamp, un été dans le bayou dans un entre deux : pas tout à fait pour les adultes, mais plus tout à fait pour les enfants.

Swamp, un été dans le bayou, de Johann G. Louis - Extrait 2

© Johann G. Louis

Un crayonné spectaculaire

Cet équilibre délicat est cependant compensé par des planches ciselées à la perfection. Si le dessin des personnages est assez naïf, il vient contrebalancer les aquarelles des décors qui sont époustouflantes de beauté. Les cases où Johann G. Louis représente Shelley et Red rejoignant un bateau à vapeur échoué sur le fleuve sont de pures pépites visuelles, avec une profusion de détails, de courbes et de lignes qui rend le bayou littéralement grouillant de vie.

La double page pages 116-117 dans laquelle on voit Red et Shelley ramer jusqu’au bateau abandonné est une prouesse visuelle tant on comprend en la voyant que le bayou est un lieu dangereux, fantomatique et inquiétant. Les enfants dans leur barque sont une tache minuscule au milieu de la double page, les arbres qui encadrent le tout sont immenses, sombres et font tomber leurs feuilles ou leurs lianes et surtout, ils sont plus grands que le bateau hanté que cherche à joindre le duo.

On ressort donc de cette lecture avec la sensation d’avoir plongé dans un récit de Mark Twain, à la fois sombre et naïf, violent et innocent mais toujours porteur d’un peu d’espoir.