C’était la grande affaire de l’année 2022. En janvier, le nouveau directeur éditorial de Dupuis, Stéphane Beaujean, le déclarait en fanfare : un nouveau Gaston Lagaffe allait paraître en fin d’année au moment du centenaire des éditions Dupuis. Lors de la conférence de presse, notre collègue de Télérama souleva la question de l’assentiment de l’ayant droit, Isabelle Franquin, la fille de l’artiste. Malaise dans l’assemblée.
Le droit moral » (article L121-1 code du droit d’auteur), est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible. » Ça c’est pour la loi française. Or, c’est plus complexe que cela : André Franquin est un auteur belge et il a cédé ses droits à une société monégasque, (Marsu Productions), rachetée par l’éditeur belge Dupuis, Gaston revenant donc dans le giron de l’éditeur de Marcinelle… Et avec lui tous les droits dérivés, par exemple l’adaptation cinématographique.
On se souvient que la fille du dessinateur belge avait dit tout le mal qu’elle pensait du film Gaston Lagaffe de Pierre-François Martin-Laval (2017), sans cependant pouvoir empêcher son exploitation. Pour l’album de Gaston, c’est autre chose. Il semble que la fille de Franquin n’ait pas été consultée par les éditions Dupuis -maladresse ou arrogance ?- dans les formes requises par la loi. C’est ce que le tribunal belge a constaté. Mais il a aussi réaffirmé que Dupuis avait le droit de publier le livre. Ce que l’éditeur a fait subito cette semaine dans le Spirou N°4454 paraissant le 23 août prochain.
Quid du droit moral ? Isabelle Franquin peut-elle y retrouver à redire ? En principe, non, car l’œuvre lui a été soumise pour approbation. Et si elle a pu faire des observations à la marge, c’est à éditeur d’apprécier la question de savoir si l’ouvrage « dénature ou porte atteinte à l’intégrité ou à l’esprit de l’œuvre », une notion tout à fait subjective et est laissée à l’appréciation d’un juge en cas de contestation.
Il est évident que lorsqu’un juge lambda aura à juger la page de Delaf publiée dans ce fascicule de Spirou (ci-dessus), en la comparant à un page de Franquin, il n’y trouvera pas de quoi fonder une objection en droit, cette version ressemblant objectivement autant à l’œuvre originale que l’Astérix de Conrad à celui d’Uderzo ou le Lucky Luke de Achdé à celui de Morris.
Une obstination juridique pourrait même se retourner contre la plaignante. Ainsi, «
L’exercice du droit moral doit rester désintéressé. Il répond à des exigences artistiques et non à des intérêts pécuniaires. La menace de l’exercice du droit moral contre le versement d’une rémunération peut être sanctionnée par un abus de droit moral. » Juridisme, certes, mais voilà pourquoi, sauf erreur de notre part, la bataille n’aura pas lieu.
Il faut dire que l’album qui sort le 22 novembre est un gros enjeu pour les éditions Dupuis et le marché de la BD en général. D’après nos sondages, les libraires ont commandé des quantités équivalentes à 50% de l’album d’Astérix qui sera publié un mois plus tôt. En général, un nouvel Astérix, c’est entre un million et 1,5 millions d’exemplaires mis en place, et en général vendus. C’est un produit d’appel qui fait revenir en librairie des gens qui n’y viennent que rarement. Confronté à un Gaston (ils ont en général le même profil acheteur), il est probable que le badaud achètera l’un et l’autre. Une martingale gagnante.
Tout va donc dans le sens d’un succès de librairie pour le gaffeur. D’aucuns complèteront leur collection de Franquin ; d’autres, par curiosité, achèteront la nouveauté. Également pour le plaisir de donner son avis -favorable ou non- sur la reprise de la série…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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