Il faut dire que l’on avait plutôt l’habitude d’assister à une scène inverse : l’ayant-droit d’Hergé et Moulinsart poursuivant des éditeurs pour les mêmes raisons... De quoi s’agit-il ici ? Hergé avait un collègue aide-comptable au quotidien Le Vingtième Siècle, René Verhaegen. Les deux hommes se connaissaient bien : ils s’étaient croisés à l’Institut Saint-Boniface, Verhaegen étant une classe au-dessus du futur créateur de Tintin et ils étaient devenus amis.
Au Vingtième Siècle, leur employeur commun, Verhaegen fournit à Hergé le contenu de trois contes : Une Petite Araignée voyage, Popokabaka et La Rainette. Ils furent publiés en 1928 dans la rubrique Le Coin des petits du Vingtième Siècle, rubrique qui était un peu l’embryon du futur Petit Vingtième.
Il s’agissait d’une forme ancienne de la BD : le texte étant surmonté de trois vignettes dessinées par Hergé. Au passage, on notera que Popokabaka raconte les aventures d’un « roi nègre » du Congo qui, à bien des égards, a dû inspirer un épisode ultérieur du reporter en pantalons de golf.
Or, les éditions Moulinsart reproduisent ces documents dans Les Débuts d’Hergé et dans le premier volume de la Chronologie d’une œuvre.
Découvrant ces usages faits sans son autorisation, le fils de l’aide-comptable, écrivain à ses heures, assigna l’éditeur de l’avenue Louise pour "atteinte au droit de reproduction" et pour "préjudice moral".
Le 10 septembre dernier, apprend-on par la chronique judiciaire, Place Poellart, signée par Nicolas Keszei dans le quotidien économique belge L’Écho, le jugement tombe et donne raison à Moulinsart contre le plaignant : "Et à la fin, c’est Moulinsart qui gagne...", titre le journal.
Comme d’habitude ? Voire. Les arguments utilisés par Moulinsart étant ceux... du droit de citation : "Pour sa défense, écrit le chroniqueur, Moulinsart expliquait que les cases reproduites dans les deux ouvrages correspondaient à des emprunts partiels, à ne pas confondre avec des reproductions massives. Et, dans ce cas de figure, la loi sur les droits d’auteur prévoit une exception de citation permettant de se passer de l’autorisation des ayants droit.
Après avoir évacué la question de la prescription, le tribunal a passé au peigne fin les conditions nécessaires pour qu’il soit question d’envisager cette exception de citation. Pour faire simple, le tribunal a estimé que ces conditions étaient réunies.
Pour notre lectorat plus pointu, les conditions dont question ci-dessus sont les suivantes : la citation doit être faite dans un but de critique, de polémique, de revue ou d’enseignement ; le nom et de l’auteur et de la source doivent être mentionnés ; la citation doit être conforme aux usages honnêtes de la profession et enfin, la citation doit être un extrait raisonnable de l’œuvre."
Est-ce qu’à la suite de cette jurisprudence, on va pouvoir en contrepartie reproduire des vignettes de Tintin au prétexte qu’elles sont reproduites "dans un but de critique, de polémique, de revue ou d’enseignement" ?
Pas sûr, car ce droit de citation porte sur un texte et non sur une image, le droit de citation graphique n’étant semble-t-il pas établi dans la loi, alors qu’il l’est dans l’usage. Il arrive parfois que Moulinsart poursuive sur cette base, même si, par ailleurs, elle sait se montrer tolérante avec certains usages.
Nous ne sommes pas juristes, mais il nous semble que nous avons là une inégalité criante puisque voici deux créateurs dont l’un est victime du droit de citation (Verhaegen) tandis que l’autre en bénéficie...
Qu’en pensent les juristes qui nous lisent ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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