On dit souvent que poser la question, c’est déjà y répondre... C’est ce qui ressort de cette nouvelle étude faite en février dernier par le Ministère de la Culture dans le cadre d’une enquête sur les pratiques et le public des lecteurs de bande dessinée.
Ce genre d’enquête, ici réalisée en mai et juillet 2011 et portant sur un échantillon de 4850 personnes âgées de plus de 11 ans interrogées par téléphone ou via Internet avec quelques corrections basées sur un panel complémentaire de 401 enfants âgés de 7 à 10 ans indirectement interrogés par l’intermédiaire de leurs parents, un questionnaire ayant été adapté selon les âges, même si elle a été supervisée par des experts compétents de bande dessinée, à savoir Gilles Ciment, directeur de la Cité de la BD et de l’Image d’Angoulême ou Thierry Groensteen, le célèbre théoricien de la BD, enfonce toujours un peu les portes ouvertes même si elle comporte certaines données intéressantes qui apportent ou confirment certains éléments de réflexion sur la bande dessinée.
Mais par ailleurs, cette recèle quelques aberrations qui font lever le sourcil quant à la validité méthodologie utilisée et, finalement, quant à la crédibilité de l’ensemble de l’étude.
Celle-ci s’interrogeait :
Sur la diffusion de la BD dans les habitudes culturelles des Français :
3 sondés sur 4 déclarent avoir déjà lu une bande dessinée dans leur vie
1 sondé sur 2 déclare en posséder une au moins dans sa bibliothèque
Sur son statut culturel :
92% des sondés la considèrent plutôt comme une distraction
Sur le profil de ses lecteurs :
La grande majorité des lecteurs sont des jeunes
Les hommes lisent légèrement plus de BD que les femmes, mais cet écart se creuse en faveur des hommes à partir de l’âge de 25 ans
La BD est davantage consommée dans une population de cadres diplômés et de professions intellectuelles
Les lecteurs de BD sont des gros consommateurs de culture (cinéma, expositions, etc.)
Sur la pratique effective de leur lecture :
La majorité lisent des "albums traditionnels" viendraient ensuite les "journaux d’humour", les "comics", les "mangas" et les "romans graphiques"
L’histoire prime sur le dessin pour 66% des sondés
62% d’entre eux auraient déjà visité une exposition de bande dessinée
Sur le support de lecture (papier ou numérique) :
14% des sondés liraient des BD sur support électronique, 29% chez les 15-24 ans dont 80% sur PC, 24% sur tablettes numériques, 18% sur téléphone portable
Sur la pratique d’achat (ou d’emprunt) :
Une majorité de lecteurs achètent leur BD (59% des sondés)
Mais 45% en empruntent (60% des 11-14 ans) soit en bibliothèque, soit auprès de proches
L’étude conclut que "la lecture des bandes dessinées apparaît désormais solidement implantée dans le paysage des pratiques culturelles". On s’en doutait un peu.
Questions
Là où l’on s’étonne un peu, c’est principalement sur trois points :
Le "Hit Parade" des séries les plus notoires qui mettent... Les Pieds Nickelés en tête parmi les héros les plus connus des Français [sic] (74% des sondés). Ils sont suivis par Blake & Mortimer (72%), Rahan (51%), Corto Maltese (51%), Naruto (41%), Blueberry (33%), Agrippine (30%), Lanfeust (14%) et L’Incal (6%).
Pas de trace de Tintin, médiatiquement très présent en 2011 comme on sait et N°1 des ventes 2011 pour la jeunesse selon GfK, ni One Piece, meilleure vente manga de l’année avec plus de 1,5 millions d’exemplaires vendus en 2011 selon GfK, ni d’Astérix, ni de Lucky Luke, ni de XIII, ni de Largo Winch,... On en sait pas d’où sort ce panel mais n’importe quel libraire vous dira que les ventes de Tintin ou d’Astérix n’ont rien à voir avec celles des Pieds Nickelés.
Les experts considèrent mollement que c’est la notoriété de l’expression populaire "Pieds Nickelés" qui doit être à l’origine de cette popularité, sans remettre en cause cette bizarrerie.
La place mineure des mangas dans cette étude. Alors que, on le sait, les mangas ont vendu quelque 14 millions d’exemplaires en 2011, selon GfK, contre quelque 25 millions pour la BD et que la fréquentation de Japan Expo fait jeu égal, sinon même dépasse, celle du Festival d’Angoulême, l’étude arrive à placer la BD japonaise en troisième position dans les genres de BD consommées et ceci, fait incroyable, derrière les comics !
Les experts restent bien évidemment muets sur cette anomalie manifeste, se contentant de constater la bonne tenue de la BD traditionnelle et un tropisme des jeunes adultes vers les romans graphiques.
Enfin, on est étonné de découvrir que 14% des lecteurs de BD la consomment sur support électronique alors que la totalité de la consommation du livre numérique téléchargé en France représente 12 millions d’euros de chiffre d’affaires, selon Livres Hebdo (17/3/2012) contre 416 millions pour le chiffre d’affaire de la BD en France en 2011 (chiffre GfK). Où est l’erreur ?
Il est interloquant qu’autant de moyens soient investis pour un questionnement aussi peu relevant et dont les résultats soient autant sujets à caution.
"Moins de tests et plus de testicules !" disait Jacques Séguéla à l’époque où il était encore conscient. La sentence s’applique à cette étude.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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