Bon d’accord, il y a beaucoup de [controverses autour des NFT, comme cette histoire de tweet acheté 25 millions de dollars, à propos de leur impact environnemental, de leur utilité, de leurs accointances avec les cryptomonnaies et la blockchain, et son soupçon d’évasion fiscale, de blanchiment d’argent, sans compter les pires dérives de la spéculation, bien connue par le milieu des collectionneurs.
Surtout, ces images numériques vendues avec un certificat d’authenticité en bonne et due forme ont prouvé, récemment, la qualité de leur retour sur investissement... Pour celui qui vend pour commencer, en espérant, hypothétiquement, mieux pour ses acquéreurs !
Mais revenons sur Terre et dans un monde qui tourne rond, ou en tout cas qui essaie, comme par exemple celui peuplé de super-héros rassurants : oui, ceux qui se baladent en slip été comme hiver, du fin fond de l’espace au plus profond des océans, histoire pour nous de se raccrocher à la réalité. Les grands éditeurs US vont nous y aider, ils ont toujours les pieds sur terre, paraît-il.
Donc, Mike Deodato jr, un dessinateur brésilien assez reconnu, travaillait souvent pour DC Comics et surtout Marvel. Sur des titres tels que Wonder Woman, Spider-Man, X-Men, Thor, Hulk, Avengers, Thunderbolts... Il travaille aussi sur ses propres personnages, dont il détient les droits.
Mais, embryon du problème amené à prendre de l’ampleur, nous pensons, il a créé récemment des œuvres d’art NFT, et a reçu de nombreuses critiques pour cela. Principalement de la part de DC Comics. qui lui reproche d’utiliser ses licences. Or, il est d’usage que celles-ci soient utilisées librement pour des commissions en échange des droits cédés ad vitam aeternam, y compris pour les créations originales, par les majors. C’est un usage, pas inscrit dans la loi. Mais l’ampleur prise par les NFT suscite les appétits. Deodato se défend en arguant du fait que ces restrictions vont sérieusement affecter les revenus des artistes, ce qui brise le "pacte" tacite installé depuis des années. Déjà derrière lui certains font bloc..
Par l’intermédiaire du site spécialisé Bleeding Cool,Deodato argumente, dans une lettre ouverte : « Les créateurs de héros ont également besoin de héros. J’ai fait des bandes dessinées toute ma vie et j’ai l’intention de le faire jusqu’à mon dernier souffle. Ce n’est pas une carrière qui permet de gagner beaucoup d’argent - au contraire -, mais c’est quelque chose que j’aime absolument. Je suis en général une personne très introvertie et je préfère ne pas être impliqué dans des conflits à moins que ce ne soit quelque chose qui, je le pense, est tellement injuste que je ne peux tout simplement pas ne pas être concerné. Ici c’est le cas. »
Le dessinateur poursuit : « Tout d’abord, laissez-moi vous expliquer comment, en gros, un artiste gagne de l’argent dans les comics en tant qu’intervenant rémunéré : vous dessinez des pages, l’éditeur vous paie pour ces pages. Si vous le souhaitez, vous pouvez également vendre l’art original, ces pages, à des collectionneurs. Le marché de l’art original de la bande dessinée est un excellent moyen pour l’artiste d’augmenter ses revenus. C’est légal, universellement accepté pour tous les éditeurs et ça a généré des millions de dollars dans des maisons de ventes prestigieuses du monde entier. Le problème est que beaucoup d’artistes de bandes dessinées travaillent, de nos jours, numériquement. Il n’y a finalement pas d’art physique, juste un fichier numérique. Vous ne pouvez pas le vendre car il n’a aucune valeur. Maintenant c’est le cas. Cela s’appelle NFT.
En bref, cela signifie un moyen de faire de votre fichier d’art numérique quelque chose d’unique et de certifié, que vous pouvez vendre à des collectionneurs. Enfin, l’artiste de bande dessinée numérique peut gagner le même argent supplémentaire que l’artiste de bande dessinée traditionnelle en vendant des planches originales. Mais... pas si vite, freine ton enthousiasme, mon gars. »
À ce stade, Deodato se fait plus offensif et considère qu’il s’agit d’un recul das acquis obtenus dans la bataille qui avait été menée dans les années 1970, pour que l’art original soit rendu aux créateurs de comics : des pages de dessin longtemps détruites ou peu considérées par les éditeurs mais qui pouvaient désormais être vendues aux collectionneurs : « Les grandes sociétés de comics (DC , Marvel ) envoient des lettres aux artistes leur demandant de ne pas vendre leurs œuvres d’art originales numériques car elles sont protégées par leur copyright. Ils le demandent gentiment, diriez-vous, alors où est le problème ? Eh bien, ils envoient également des DMCA (Digital Millennium Copyright Act) aux plateformes pour empêcher de vendre tout art dont ils auraient la licence. »
Toujours pugnace, il assène : « Alors, laissez-moi clarifier les choses : si vous êtes un artiste de bande dessinée traditionnel, vous pouvez vendre votre art original sur papier. Si vous êtes un artiste de bande dessinée numérique, vous n’êtes pas autorisé à vendre votre art numérique original. Dans les deux cas, le droit d’auteur n’est pas impliqué. Dans les deux cas. »
Toujours déterminé : « Alors POURQUOI les artistes de bande dessinée numérique sont-ils privés de leurs droits ? Une pandémie ne détruit-elle pas les économies et ne fait-elle pas perdre leurs emplois aux gens ? Peut-être avons-nous besoin d’un super-héros pour défendre nos droits. »
C’était prévisible, la ligne de défense de Deodato divise et continue de susciter le débat.
Mais un super-héros ou plus pour sauver la mise ? Justement : arrivé comme le chevalier blanc prompt à sauver la situation périlleuse et, peut-être aussi pour se faire un bon coup de pub, tout en ambitionnant de recruter les auteurs les plus prestigieux, AWA (pour Artists, Writers & Artisans), l’éditeur actuel de Mike Deodato jr, déclare soutenir la position du dessinateur : « Contrairement aux approches des principaux éditeurs de bandes dessinées, la politique d’AWA permet aux artistes de fabriquer et commercialiser des NFT avec des personnages AWA , créé par un artiste d’AWA. Plus précisément, les artistes AWA peuvent créer des NFT à partir de couvertures et pages de bandes dessinées AWA, et également dessiner de nouvelles œuvres d’art originales avec des personnages AWA et créer des NFT à partir de ces œuvres. Les artistes peuvent le faire eux-mêmes ou choisir de demandez à AWA de gérer les NFT pour eux. »
Vous l’avez sûrement compris, cet éditeur dont le PDG et le directeur de la création sont Bill Jemas et Axel Alonso,, respectivement ex vice-président de Marvel Entertainment Group et président de Marvel Comics pour l’un, et ex editor majeur pour DC ( label Vertigo) et vice-président et editor en chef de Marvel pour l’autre, se nomme AWA ! AWA Studios.
Apparemment, cette histoire de NFT commence à rendre tout le monde un peu fou. Comme la fièvre qui s’est répandue lors de la ruée vers l’or américaine ? Comme si aujourd’hui la pandémie du Coronavirus ne suffisait pas à totalement désorienter les foules ? Même si certains, comme toujours, se débrouillent pour ne pas perdre le nord. Il faut dire que d’aucuns y ont déjà fait fortune, en un rien de temps.
Tel l’ancien artiste de DC, José Delbo, qui a vendu quelques images assez sommaires de Wonder Woman pour... près de deux millions de dollars ! Et chez nous alors, la fièvre, c’est aussi pour bientôt ?
Que cela ne nous empêche pas de garder les pieds sur terre, en commençant par se rappeler que nous pouvons, à loisir, nous procurer de belles BD, imprimées ou numériques, pour seulement pour quelques euros. Ça vaut bien toutes les fièvres de l’or, même les plus contagieuses ; fièvres dont on n’est pas prêt de trouver le vaccin, même en étant un super-héros. Et cela fait des millénaires que ça dure...
(par Pascal AGGABI)
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