Paradoxe connu : ce sont plutôt les séries d’anime adaptées des récits de papier de Leiji Matsumoto qui l’ont rendu célèbre sous nos latitudes. Lui-même avoue avoir « été surpris de constater que plusieurs générations de Français connaissaient [son] œuvre ».
Né en 1938, le jeune Akira Matsumoto a dessiné son « premier manga à six ans, Sous-Marin 13 ». Lors de ses débuts professionnels, il s’est essayé à différents registres, incluant le shôjo, dont son épouse Miyako Maki fut une des vedettes.
Durant les années 1960, il renoue avec un rêve d’enfance. Il aurait eu alors « en tête d’aller vivre dans l’espace une fois adulte ». D’évidence, c’est dans ce domaine qu’il demeure le plus renommé en Occident !
Comme pour beaucoup de maîtres du manga, la publication de sa production en français reste parcellaire. Néanmoins, un premier effort de cohérence – certaines fois négligé par Matsumoto entre ses histoires – a été entrepris par Kana au début des années 2000 en publiant Capitaine Albator (Captain Harlock, cinq volumes), Galaxie Express 999 (vingt et un volumes) et L’Anneau des Nibelungen (huit volumes).
Le tout s’inscrit dans la mouvance de Star Wars et du regain procuré au Space Opera par le succès de la saga galactique dans les années 1970, notamment au Japon (voir Les Évadés de l’espace de Kinji Fukasaku et la série télévisée dérivée San Ku Kaï).
Dans l’anime, suite à la diffusion en France de Goldorak (UFO Robot Grendizer) d’après Gô Nagai et tel le Cobra de Buichi Terasawa, le pirate de l’espace de Leiji Matsumoto avait marqué de façon durable la génération Récré A2 et les suivantes.
Sa science-fiction ne se révèle certes pas en pointe de la modernité et il prise avant tout cinéma et bande dessinée de genre, très importants dans son pays. Elle est mâtinée de fortes influences occidentales. Ses emprunts récurrents aux thématiques de la flibuste ou du western le démontrent. Sinon, l’animisme shintoïste prodigue l’invention consistant à faire « hanter » le vaisseau d’Albator (Harlock) par l’âme de son ami défunt Alfred (Toshirô Ôyama), son concepteur, amoureux d’Esmeralda (Emeraldas).
Car les références de Leiji Matsumoto peuvent être plus spécifiquement japonaises. Ainsi, Galaxie Express 999 est tirée à la base de la longue nouvelle Train de nuit dans la Voie lactée de Kenji Miyazawa (1896-1933), l’auteur de Goshu le violoncelliste, adapté par Isao Takahata du studio Ghibli. Le Japon retient surtout ses talents de conteur et de poète, voire son engagement social marquant. Mais son implication bouddhiste d’obédience Nichiren, suivant une tradition de nationalisme prononcé, lui a parfois été reprochée, y compris par des proches.
Si on lui accorde volontiers le bénéfice du doute, notons toutefois chez Matsumoto certains clins d’œil relevant, dans cette veine, d’un autre genre. Son pseudonyme de Leiji (« Guerrier Zéro »), titre d’une de ses œuvres, fait songer aux figures militaristes du pilote de chasseur Mitsubishi ou du kamikaze de la Seconde Guerre mondiale. Ses séries et anime relatifs au Cuirassé Yamato (1974) comportaient déjà des renvois implicites au nom du Japon des origines et à un bateau de guerre coulé en 1945 près d’Okinawa.
De manière plus positive, ceci n’empêcha pas ces titres de valoir à Leiji Matsumoto sa première reconnaissance nationale comme internationale. Ils enthousiasmèrent les geeks nippons. Des créateurs ultérieurs de studios d’animation importants furent du nombre (voir, par exemple, Nadia ou le secret de l’eau bleue de Gainax, 1990). Yamato, le cuirassé de l’espace, travail de disciples, est actuellement en cours d’édition chez Clair de Lune (tomes III et IV annoncés en mars et avril).
Quoi qu’il en soit, ses navires spatiaux surannés ou le mélange inhabituel de créatures féminines longilignes ensorcelantes et d’homuncules plus disgracieux participent d’un univers dont nos mémoires se souviennent. La caractérisation graphique ou psychologique qui se dégage de ses personnages, dont l’emblématique et misanthrope Harlock, s’accorde au mieux avec le goût de son auteur pour les contrastes radicaux entre les noirs et les blancs.
L’aspect vintage persiste aussi dans ses « partitions » plus musicales, qu’il se réapproprie Richard Wagner ou lorsque le duo Daft Punk l’utilise pour le film d’animation découpé en clips Interstella 5555… (2003), illustrant l’album Discovery. À défaut d’une version live des aventures d’Albator envisagée un moment par le binôme Jean-Pierre Dionnet-Olivier Dahan, un nouveau projet en animation 3D devrait aboutir.
Le mangaka s’est déclaré « rempli d’enthousiasme » à la perspective de sa participation à Angoulême 2013. Ne doutons pas que lors de prochaines rencontres avec son public francophone, l’effet « rétro-futur » qu’il incarne jouera en sa faveur.
(par Florian Rubis)
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En médaillon : détail de la couverture de L’Anneau des Nibelungen T6 – (c) 2005 Leiji Matsumoto & Kana
Se renseigner sur Leiji Matsumoto lors d’Angoulême 2013
La venue de Leiji Matsumoto à la Maison de la Culture du Japon à Paris, prévue initialement le mardi 29 janvier 2013, pourrait être retardée à cause de « mauvaises conditions climatiques régnant à Tôkyô » rendant plus difficile son voyage. Voir le site de la MCJP
Voir le site officiel de Leiji Matsumoto (en japonais)
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