Appelés d’Algérie (1954-1962), par Swann Meralli et Deloupy, Marabulles

Début 2018 paraissait Algériennes 1954-1962, scénarisé par Swann Meralli et dessiné par Deloupy. Nous avions loué dans nos colonnesla force graphique et narrative de ce récit et nous avions souligné l’intérêt du traitement adopté :

Sans reprendre ici l’ensemble de l’histoire de la bande dessinée francophone, notons qu’Algériennes est très représentatif de la manière dont on devrait traiter le sujet dans les années à venir. D’abord, en adoptant l’angle, encore inédit en bande dessinée, de la guerre d’Algérie vue par les femmes. Ensuite, parce qu’à l’exception d’Azrayen’, modèle de traitement équilibré du conflit, le neuvième art a longtemps proposé une kyrielle de mémoires individuelles, avant d’évoluer très rapidement ces derniers mois. On pense notamment à l’Histoire dessinée de la guerre d’Algérie, dans laquelle Benjamin Stora et Sébastien Vassant scandent leur récit chronologique par une multitude de témoignages (un appelé du contingent ; un journaliste proche du FLN ; un harki ; Benjamin Stora lui-même, qui raconte sur une planche le jour où lui et sa famille ont quitté l’Algérie ; etc). Cette volonté de proposer un récit choral, confrontant avec nuance les différentes mémoires, s’exprime ici de manière exemplaire et Algériennes rentre d’ores et déjà dans la courte liste des albums marquants sur ce sujet.

Quatre ans plus tard, et alors que sortent différents albums dans le contexte de la commémoration des accords d’Évian, les auteurs ont fait le choix de nous livrer un second récit dans la continuité du premier. Cette fois-ci il n’est pas vraiment question de femmes, du moins pas de manière centrale. Ceux que Swann Meralli et Deloupy ont voulu mettre en avant, ce sont les appelés du contingent. Cet album très pédagogique se situe à hauteur d’hommes et nous montre leurs forces et leurs faiblesses, leur grandeur et leur petitesse. On suit un jeune lycéen, Jérôme, qui découvre que son grand-père a fait la guerre d’Algérie. Celui-ci commence à lui raconter sa jeunesse, mais il est victime d’un AVC qui oblige le jeune homme recueillir la parole d’anciens combattants et à réunir les souvenirs des hommes que son grand-père a croisés en Algérie.

Ce récit de fiction repose sur une très solide documentation et il propose une réflexion fine et nuancée sur les croyances, l’ignorance et les convictions des appelés du contingent. Par moments, cela est presque comique, comme lorsque sur le bateau pour l’Algérie, un soldat déclare « Si c’est français, c’est que ça doit pas être si différent de Paris ». Mais souvent, c’est assez tragique : si 10% des appelés sont des pacifistes, si 10% sont des racistes qui veulent « bouffer du bicot », 80% restent des soldats perdus suivant le mouvement. L’album nous plonge dans leur quotidien, fait d’ennui, d’une peur irrationnelle, d’incompréhension linguistique et culturelle, de déchaînement incontrôlé et d’automatisation de la violence, d’autocensure pour ne pas apeurer les proches, de « corvées de bois » et de « passages à tabac ».

Le tout est très réussi. le parallèle avec Algériennes est évident : ici aussi est présentée la diversité des points de vue et toutes les réactions imaginables face au conflit sont ainsi mises en scène. le dessin nerveux et les couleurs élégantes servent un album qui trouve bien sûr un écho particulier dans le contexte actuel.