Le gouvernement taïwanais déploie depuis quelques années des efforts notables afin de faire mieux connaître ses artistes à l’étranger. L’île, située au large de la Chine continentale, compte près de 24 millions d’habitants. Par conséquent, elle peut s’appuyer en premier lieu sur son marché intérieur, y trouvant des débouchés pour sa bande dessinée.
Le Japon, son modèle en la matière, procède de même. Son influence culturelle s’exerce d’ailleurs encore beaucoup sur Taïwan, l’ex-Formose, colonie nippone pendant un demi-siècle (1895-1945). C’est donc le manga qui continue à y prédominer largement. En revanche, les artistes taïwanais ont toujours du mal à percer dans l’Archipel, sa réticence traditionnelle envers ce qui vient de l’étranger étant notoire.
D’autre part, proches aussi du manhua d’expression chinoise (en mandarin) et de la sinosphère, les dessinateurs de Taïwan se heurtent pourtant à des obstacles en Chine continentale, voire dans sa partie sud locutrice du cantonais et à Hong Kong. Leurs productions doivent, en dépit d’une certaine proximité linguistique, en passer par des adaptations, sans compter l’aspect politique de la question. Mais, à ce prix, ceux qui réussissent à s’y imposer peuvent prétendre vendre dix fois plus d’exemplaires qu’un best-seller publié au pays.
Hormis l’Asie, l’attention des Taïwanais s’est maintenant tournée vers l’Occident. Par des traductions ou via leur forte diaspora, notamment aux États-Unis, certains parviennent à se distinguer dans l’industrie des comics. Les femmes se montrent particulièrement à leur avantage dans cet exercice, à l’image de Yi Huan, Nicky Lee (Li Chung-ping) ou Jo Chen (alias Togaï Jun/TogaQ).
La prise de conscience par Taïwan du fait que la BD franco-belge constitue l’un des trois courants majeurs de la bande dessinée mondiale avec les mangas et les comics, avec sa vitrine, le festival d’Angoulême, ont conduit les Taïwanais à promouvoir ses créateurs dans nos contrées.
Ainsi, depuis 2011, les autorités de l’île ont renouvelé leurs participations à la manifestation angoumoisine ou les ont aidés à intervenir dans d’autres événements de ce genre, à Paris et à Bruxelles, voire à Nantes lors de l’exposition Mangasia.
Dans cette logique, le prochain festival BD Boum propose le 23 novembre 2019, une rencontre avec quatre des lauréats de différentes catégories de la dernière édition des Golden Comic Awards.
Parmi les Taïwanais présents, Tsui Li-chun, récompensée pour The Cat and Nini Having Fun Together (Le Chat et Nini s’amusent ensemble) du GCA (Golden Comic Award) pour enfants. Ce titre est à rapprocher de ce que les spécialistes hors Japon regroupent sous le terme générique de kodomo dans le manga, bien que les milieux éditoriaux nippons opèrent des segmentations plus subtiles concernant les très jeunes.
Ses dessins, d’apparence enfantine justement, touchés par une certaine grâce, ne manqueront pas de plaire à un grand nombre, adultes inclus. Il est à noter également qu’ils sont exécutés en couleurs, au contraire du standard plus répandu sur l’île du noir et blanc, influence de la bande dessinée japonaise oblige.
Yeh Ming-hsuan, lauréat du GCA pour adolescents masculins, l’équivalent du shônen nippon, pour The Lord of Master - Li Bai (Le Seigneur du maître – Li Bai), présentera cette série. Elle renvoie à un fameux poète chinois de la dynastie Tang (618-907).
Les références historiques et culturelles orientales s’y mêlent à la Fantasy, d’une manière appréciée par le public taïwanais. Noir et blanc et trames, mise en pages élaborée et foisonnante de détails contribuent à composer un style lyrique. Il se veut le reflet de celui en vogue dans la poésie de la période Tang et s’inspire de la peinture traditionnelle chinoise au pinceau.
Le duo à l’initiative de la série en version colorisée The Actor (L’Acteur), qui s’attache au parcours d’apprentis comédiens, a gagné le GCA pour jeunes adultes, le Young Adult formant à Taïwan un secteur éditorial important, comme souvent dans les pays d’Extrême-Orient. Il est composé de Ko Yen-hsin, scénariste préoccupée de mise en scène et d’adaptation au théâtre, et HOM (Weng Yu-hong).
Nous avons déjà eu l’occasion de rencontrer cette dernière deux fois, à Taichung (Taïwan) en 2014, puis lors du SoBD Paris 2017, où après une première ambassade en 2015, une délégation taïwanaise participait au salon. En dépit d’une incursion actuelle remarquée vers le mainstream, HOM a fait ses classes grâce à des productions antérieures issues d’une bande dessinée plus alternative.
Lin Li-chin, autrice de romans graphiques publiés aux Éditions Ca et là, Formose (2011) et Fudafudak, L’Endroit qui scintille (2017), sera leur modératrice pour l’occasion. Installée depuis de nombreuses années en France, elle n’a de cesse d’y jouer un rôle de passeur avec Taïwan, d’où elle est originaire.
Cette mise en exergue par la Maison de la BD de la production taïwanaise contribuera à mettre dans la lumière des personnalités qui, par la variété de leur approche graphique ou des thèmes abordés, la feront sortir de ses frontières.
Nous ne pouvons qu’encourager cette diversité au sein d’une industrie taïwanaise de la bande dessinée dans sa très grande majorité trop standardisée et obnubilée par les codes du manga. Donc, n’hésitez pas à soutenir cette évolution si vous vous trouvez à Blois. Pour cela, commencez par vous rendre à l’intervention de ces quatre artistes asiatiques ou sur le stand de Taïwan et visitez l’exposition des auteurs primés des Golden Comic Awards 2019.
(par Florian Rubis)
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En médaillon : TSUI Li-chun lors de la remise de son Golden Comic Award à Taipei/© Golden Comic Awards
Café littéraire Golden Comic Awards
Samedi 23 novembre 2019, 11 h
Maison de la bd de Blois
3, rue des Jacobins
Modératrice : LIN Li-chin
Rencontre suivie de dédicaces
https://www.maisondelabd.com/70-festival-2019/rencontres-2019/671-cafe-litteraire-golden-comics-awards
Exposition Golden Comic Awards sur les auteurs primés en 2019 :
https://www.maisondelabd.com/bdboum-expos2019/680-exposition-la-bd-taiwanaise
Après HO Hsueh-yi l’année dernière, nouvelle résidence à la Maison de la BD d’une artiste taïwanaise, Stellina CHEN :
https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=47,50,53,56,59,62,65,68,71,74&post=163296