Nous avions, avant même la sortie, considéré comme une hérésie la réédition en couleurs de Tintin au Pays des Soviets, dans notre article « Toi qui blêmis aux couleurs de Tintin » où nous dénoncions l’effacement du contexte historique de cet album dans la couverture : « La belle gouache originale se substitue à un trait peinturluré par Photoshop. L’élégante maquette originale fait place au standard des séries. Le sulfureux, le longtemps refoulé album anticommuniste d’Hergé n’est plus qu’une histoire comme les autres où les adversaires se font abattre comme des animaux sauvages. Nous avons quitté la grande histoire pour les péripéties d’un journaliste, un vrai, qui envoie ses papiers au journal et à qui tout réussit. Un héros sans aspérité ni reproches. »
L’avis des Roumains
En Roumanie, en revanche, l’historien de la BD Dodo Nita ne cache pas un enthousiasme un peu orienté pour cette réédition : « Là où beaucoup de tintinologues n’ont vu que la maladresse du jeune dessinateur et la soi-disant propagande antibolchévique, nous écrit-il à propos de “Tintin în Ţara Sovietelor”, nous-autres, Roumains qui avons vécu le régime communiste, nous avons été impressionnés par cette description du communisme dans les années 1920-1930, que nous avons vécu durement jusque dans les années 1980, en particulier dans les années noires de 1945-1958… » Et d’avancer sur son blog les témoignages rassemblés de bric et de broc de quatre intellectuels roumains qui découvraient avec ravissement ce monument de la bande dessinée anti-soviétique.
Prétendre que le Tintin de 1929 n’est pas de la propagande anti-bolchévique, comme l’affirme notre cher Dodo Nita un peu porté par son enthousiasme, est une contre-vérité. Non seulement Hergé le reconnaissait –il qualifiait lui-même Le XXe Siècle de « journal d’extrême-droite », son directeur, l’abbé Norbert Wallez, étant un admirateur déclaré de Mussolini dont il conservait une photo dédicacée sur son bureau- mais une analyse objective de l’album le confirme : des élections truquées faites sous la menace aux usines-« Potemkine » montrées aux journalistes anglais répond point par point à la propagande anticommuniste de son époque.
Les Russes de 1929 sont-ils différents des Européens de l’Ouest ?
Là où les Tintinologues bisquent un peu, c’est face à cette belle couverture Art Déco 1930 dénaturée par un bidouillage Photoshop artistiquement pauvre et dont surtout, l’Histoire est proprement effacée. Autre chose interpellante à l’intérieur de l’album : pourquoi, par exemple, le teint de Tintin est-il différent de celui des Russes ? Ne sont-ils pas, comme la plupart d’entre nous de type caucasien ? À quoi rime cette mise en couleurs qui laisserait accroire que les Russes ne seraient pas comme nous ? Nous ressortirait-on in petto l’idée qu’ils seraient des non-Aryens, comme au bon vieux temps d’Adolf ? C’est vraiment étrange…
L’extrême-droite jubile
Cette mise en cause des Tintinophiles et autres hergéologues est aussi le fait d’une certaine frange de l’extrême-droite toute à la joie de voir un livre anticommuniste livré sans filtre au jeune public.
Ainsi le frontiste Bernard Antony, figure du courant catholique traditionaliste, qui, sur son blog épingle l’hergéologue Philippe Goddin qui considère que la mise en couleurs moderne « adoucit » [sic] le caractère « engagé » de cet album.
L’argument confirme l’intention de l’opération castermano-moulinsartienne d’effacer le caractère politique de cet album « d’époque ». Mais en bon bas du Front, Bernard Antony, conteste jusqu’à cette contrition : « Ainsi faut-il maintenant excuser Hergé d’avoir été antibolchevique, mettre cela sur le compte d’une erreur de jeunesse et de la mauvaise influence d’un abbé peu enclin à la sympathie pour le régime communiste lénino-stalinien qui, déjà en 1929, devait avoir à son actif plusieurs millions de déportés dans les camps du Goulag et plusieurs centaines de milliers de massacrés, notamment prêtres et religieux, par les tueurs de la Tchéka et les bandes de la Terreur bolchevique. » Ah ces discours au parfum d’avant-guerre...
Revoilà donc Tintin au Pays des Soviets redevenu une icône facho. Après Tintin le raciste, voici Tintin l’anticommuniste. Décidément, la légende noire d’Hergé ne cesse prospérer.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Toutes les illustrations sont © Hergé / Moulinsart / Casterman
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