Ce n’est pas qu’une question de tintinophilie pour collectionneurs compulsifs du héros à la mèche rebelle : l’édition de 1955 a été réalisée avec l’aide de Bob de Moor et peut-être d’autres assistants (Weinberg ?)... qui ont documenté plus sérieusement l’album et ajouté des décors très détaillés dans la tradition de la Ligne claire impulsée par Hergé et Jacobs.
Les différences entre les deux éditions sont importantes et très appréciées des tintinophiles. Mais le fait majeur, c’est que cette édition-ci est du Hergé à 100%, un Hergé ingénu qui n’a pas encore connu la terrible pesanteur de l’Histoire.
Cette édition reprend toutes les planches de l’album paru en 1934. Avec ses naïvetés et ses aberrations : Tintin y suit le premier archéologue venu -on ne connaît pas son nom : « monsieur l’égyptologue » ou « monsieur le savant », un peu zébulon et frappadingue, préfiguration du professeur Tournesol. Il est en costume et parapluie à Port-Saïd alors qu’il fait 40° à l’ombre, c’est dire s’il est « loufoque », terme utilisé par Tintin qui est lui-même en cravate…
On connaît la scène de l’Arabe à keffieh qui flagelle une blonde qui s’avère être une actrice de… Rastapopulos -un mot qui évoque le terme de « rastaquouère », milliardaire à nez busqué et monocle, et cinéaste, ce qui n’est pas sans convoquer les clichés antisémites d’un Louis-Ferdinand Céline…
Il y aussi, on les découvre, les agents X33 et X33bis, soit les Dupondt qui apparaissent ici pour la première fois. Il y a également le senhor Oliveira da Figueira de Lisbonne, un super-vendeur de n’importe quoi que l’on reverra aussi plus tard.
Et puis les clichés de l’Arabie d’Henry de Monfreid et d’Albert Londres -un journaliste modèle de Tintin, avec La Mecque, « la ville sainte des Musulmans interdite aux Européens », dans un parcours qui ira jusque dans l’Inde de l’empire britannique, où notre jeune reporter sauve un éléphanteau de la « fièvre éléphantesque » en lui donnant de la quinine [sic].
Le polyptique des images-cultes défile : le fameux fakir qui hypnotise ses victimes, les vaches sacrées, Milou sacrifié à Krishna, le célèbre poison « radjadjah » qui rend fou, les najas que Tintin arrive à détourner avec un peu de chocolat ([re-sic].ce détail ne subsistera plus dans l’édition suivante) et puis la fameuse séquence de la rencontre secrète de la secte de Kiohsk, où les comploteurs sont habillés façon Ku-Klux-Klan. Sans oublier le signe de Kiohsk qui figure sur les fameux cigares du pharaon… Des images mythiques.
Reste la question de la couleur : cette colorisation n’est-elle pas une trahison ? Elle l’est, car ce n’est plus l’œuvre originale. Mais elle a une vertu : celle de rendre lisible cette œuvre naïve introduite par un passionnant dossier signé Philippe Goddin, l’ « Hergéologue » des éditions Moulinsart (ou Tintinmachinchose). Une contextualisation bien nécessaire pour cette turbine à clichés de l’époque des Années Folles.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Tintin et les cigares du pharaon (édition originale colorisée) – Par Hergé – Casterman
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